Notre tour du monde du reggae se poursuit : nous quittons la Chine pour le Vietnam, pays habitué aux influences extérieures puisqu'il a été envahi successivement par la Chine, la France, le Japon, et les Etats-Unis. Pays de révolte aussi car les Vietnamiens ont chaque fois réussi à repousser les assaillants et à garder leur propre identité. Il en résulte un endroit fourmillant, emplit de bruit et de vie, qui se transforme et s'adapte au monde d'aujourd'hui en accueillant des cars de touristes de plus en plus nombreux.
Des maisons étroites et colorées, un essaim de deux-roues, un mélange de calme et d'énergie, nous sommes à Hanoï, capitale historique et ancien bastion de la colonie française. Nous y rencontrons Zamina, anciennement "The Only Reggae Band" : une bande internationale d'expatriés qui, comme leur nom l'indiquait, sont les précurseurs et quasiment les uniques représentants du mouvement ici. Entretien détendu dans un café-concert au bord d'une rivière, avec Jude, le chanteur du groupe et Ryan, le bassiste.
Reggaefrance / Vous venez tous de pays différents, comment est né le groupe Zamina ? Zamina / Nous nous sommes rencontrés à Hanoï il y a environ deux ans et demi et nous avons eu de suite l'envie de faire de la musique ensemble. Nous venons d'endroits différents et avons chacun nos influences, il y a Jude et Tommy, qui viennent du Nigéria,, Dave notre bassiste est Australien, Steeven le guitariste, arrivé de Grande-Bretagne, le batteur Zeb est Anglo-Argentin et je viens moi-même d'Australie. Sans oublier les anciens membres du groupe qui viennent de revenir, Ryan et Luke et l'esprit de Jam, notre Philippin, qui composait, chantait et jouait de la guitare. Alors les idées fusent, c'est une source de créativité permanente. Zamina veut dire « Vous êtes prêts ? », alors préparez-vous...
Comment se porte la scène musicale au Vietnam ? Je dirais que c'est plus facile qu'avant : pas mal de concerts sont organisés, il y a de plus en plus de lieux pour jouer et des groupes se forment régulièrement. Le problème est que la plupart d'entre eux sont créés par des musiciens expatriés, qui sont donc amenés à partir un jour, ce qui peut perturber, voir détruire un groupe. Au niveau du public, c'est un peu le même souci, il y a environ 60 % d'étrangers qui assistent à nos concerts, qui viennent et repartent, alors ce n'est pas très stable. Mais la population vietnamienne est très jeune et elle s'intéresse à ce que l'on fait, à ce qui est nouveau en général. Je pense que le meilleur est à venir. Pour être franc, notre son est novateur ici, à part la musique traditionnelle, le pays s'est ouvert à des styles comme le rock, le métal, le punk et le hip-hop mais le reggae, la musique africaine sont encore confidentiels. Par contre, il y a du potentiel, nous avons joué cette année au CAMA festival, la plus grande scène du pays et le public a été très réceptif à notre musique.
Votre style est hybride, à la croisée du reggae et de la musique africaine. Quelles sont vos influences ? Oui, c'est un mélange de reggae roots et d'afro-beat. On y trouve également du makosa (Nigéria), du soukous (Congo) et aussi du calypso. Nous composons avec chaque membre du groupe alors ce n'est pas vraiment un style défini. Aux niveaux de nos influences, il y a Fela Kuti bien sûr, Jacob Miller, Bob Marley, Toots and the Maytals et aussi Asa, Jimmy Cliff… Nous aimons beaucoup de choses en fait !
Le Vietnam est un endroit spécial qui change en permanence. On ne peut pas prévoir ce qui va se passer dans 5 ou 10 ans.
L'année dernière, vous avez sorti l'album "Are you ready?". Cet album est venu d'un concert, en fait. Adrian, un Australien qui était présent a aimé nous entendre, il a voulu utiliser notre musique pour son entreprise mais nous n'avions rien pour diffuser. Il a donc payé le studio (Kien Quyet Studios, ndlr), l'enregistrement et l'album est né ! C'est une belle histoire non ?
Pouvez-vous vivre de la musique ? Nous ne gagnons pas trop d'argent avec l'album, qui est plutôt promotionnel, mais il nous permet de couvrir les frais et de jouer dans d'autres villes. Le truc, c'est qu'on ne joue pas pour l'argent mais pour le plaisir. Si nous avons envie de faire un concert, nous ne regardons pas trop le cachet, nous jouons. Et les envies sont différentes selon les membres de Zamina, certains veulent en faire plus pour nous développer mais d'autres prennent comme ça vient, nous avons des perspectives différentes. En tous cas, nous travaillons tous à côté, il y a très peu de musiciens à temps plein au Vietnam, qu'importe le talent. Le groupe compte beaucoup pour nous, il est une part importante de nos vies et nous apporte énormément dans nos vies respectives. Nous sommes connectés ensemble.
Comment se passe la phase de composition et d'écriture des morceaux ? De quoi parlent vos textes ? Nous essayons de créer le plus naturellement possible, des trucs viennent pendant les répétitions, pendant les jams, ça peut être des lignes de basse ou un rythme à la batterie. On discute pour créer autour, on y ajoute chacun notre touche et les textes sont posés dessus. Parfois, certains arrivent avec des lyrics et les sujets sont très variés, la politique, le système, la démocratie, mais aussi les feelings du moment, la vie, les femmes... J'adore écrire pour les femmes !
Quelle est votre actualité et quels sont vos souhaits pour l'avenir ? Nous sommes en phase d'écriture en ce moment et on fera des concerts dans la foulée pour essayer les nouveaux morceaux. Mais nous devons encore travailler sur les harmonies, les enregistrements... Je crois que ça serait une bonne chose d'enregistrer seulement quelques bons morceaux et de faire de la vidéo pour diffuser. On doit encore en discuter tous ensemble mais nous avons conscience d'être encore un petit groupe et pas une grosse machine.
Pour finir, quelques mots sur le Vietnam ? Il faut du temps pour appréhender le pays et comprendre son histoire. C'est un endroit spécial qui change en permanence. On ne peut pas prévoir ce qui va se passer dans 5 ou 10 ans. Même si je pars d'ici un jour, je suis sûr d'y revenir tôt ou tard parce que c'est addictif. La culture, l'histoire, les habitants, c'est fascinant. Mais pour s'intégrer, il faut être là depuis longtemps, sortir des sentiers battus et respecter l'endroit, ceux qui y vivent. Et quand tu réussis ça, les Vietnamiens te rendent tes efforts au centuple, avec leur hospitalité, leur sourire et leur envie de t'aider, de te faciliter la vie. C'est un grand pays et un grand peuple.
Zamina – Live au CAMA Festival 2012, Hanoi, Vietnam :