INTERVIEW :
Propos recueillis par : Sébastien Jobart
Photos : Benoit Collin
le jeudi 19 octobre 2006 - 12 460 vues
Après des années passées à occuper la scène reggae underground et quelques projets inaboutis, Toma sort son premier album, "Identité". Celui qui revendique clairement sa diversité musicale signe un album hétéroclite, avec autant de reggae et dancehall que de ballades pop.
Reggaefrance / Ton premier album vient de sortir. Certains pouvaient t'attendre avec du reggae, mais ça fait longtemps que tu affirmes que ce n'est pas ton intention… / Oui, je n'avais pas du tout l'intention de faire un album de reggae. Donc je ne veux pas décevoir les gens qui m'attendent là-dessus : n'allez pas acheter l'album si vous pensez qu'il n'y a que du reggae. Par contre, il y a du reggae dans mon disque. Pas forcément toujours dans les musiques, mais en tout cas dans l'âme de tout ce que je fait. Il y a un ou deux titres où je m'en suis pas mal éloigné, surtout les titres un peu rock. Et pourtant, Blessé, qui est très rock, je l'ai écrit à la base sur le Storm Alarm. On a ensuite décidé de faire un arrangement qui me convenait. Vu le thème de la chanson, je voulais de la saturation, il me fallait un gros beat. Cet album contient toutes les inspirations qui m'ont porté depuis que je suis enfant.
Tu fais les premières parties de Diam's. Tu tiens donc vraiment à te démarquer du public reggae ? J'y tiens comme à ma vie.
Mr Toma cache ne fait trois Thomas. C'est un album que vous préparez depuis combien de temps ? Ca fait deux ans qu'on travaille dessus. Il n'y a que trois titres de l'ancien album (qui n'est jamais sorti, ndlr) que j'ai gardés : J'attendais, Identité, et Viens. Tous les autres sont nouveaux. On a fait pas mal de musique par rapport aux paroles. Eux, c'est une entité qui fonctionne d'elle-même, ils s'appellent Tn'T, ils travaillent avec pas mal de monde. Le départ de cette histoire, la première ébauche du projet, c'est vraiment nous trois. L'album est né de trouver une identité musicale à un artiste. Il fonctionne un peu comme un projet de groupe mais tout le monde est bien conscient que le projet porte le nom du chanteur. Dans chaque interview, je me fais un devoir de parler d'eux et ils ont là sur scène comme dans le clip. J'ai envie qu'on voit que ça fonctionne comme un groupe. Mais il faut aussi que les gens sachent que je co-compose et coréalise tout, que je fais tous les textes… C'est vraiment mon album.
Tu avais des projets d'album avec Frenchie, avec Bost & Bim… Non en fait, Frenchie voulait produire mon disque en Jamaïque. Mais ça ne va pas avec ma démarche. Avec les deux Thomas, la base du truc c'est de se plaire musicalement. Quand je vois ces mecs-là faire une maquette, je suis dix fois plus content de leur boulot que la plupart des réalisateurs avec qui j'ai bossé, et pourtant je peux te dire que j'ai bossé avec quelques-uns. Qu'est-ce que je fais ? Je vais aller m'isoler avec un mec qui est sûrement un très bon réalisateur, mais qui va me demander de changer mes couplets ? Avec qui je ne vais pas passer tout ce temps, qui me connais moins, dans un pays étranger où je vais être sous pression parce que je vais être devant un mec qui a vu passer des Marley et autres…
Le résultat n'aurait sûrement pas été le même. On aurait fait un album de reggae dancehall, certainement. Moi je ne veux pas.
On te sent vraiment à l'aise sur les morceaux guitare / voix. Oui. C'est facile, tu n'entends que ta voix donc dès que tu sens que tu chantes faux tu te recales, c'est bien (rires). J'adore ces ballades pop.
Il y a un morceau très fort, Identité, où tu parles de ton enfance. Je parle de l'élément de ma vie qui est important dans ma construction : mon abandon à la naissance par ma mère génitrice, et puis mon adoption à l'âge de trois mois. J'ai eu la chance de ne pas aller de foyers en familles d'accueil, à vivre une vie improbable et difficile. Ma famille m'a porté, mais pour moi ça a été dur. Quand t'es gosse t'essaies de savoir qui tu es. Nous on habitait dans le 77, et dans mon quartier il y avait des Ivoiriens, des Maliens, des Algériens, des Vietnamiens, des Japonais… Au milieu de tout ce monde qui se retrouvait dans une culture, moi je me retrouvais dans la culture française mais tout le monde venait me voir en me disant que j'étais Arabe ou autre. A un moment, tu es complètement perdu. Et plus tard, tu comprends que ton identité est d'être un être humain. Moi je me sens frère avec tout le monde et je suis un loin du patriotisme.
Les featurings avec Joey Starr et Kery James, c'est une manière de rendre hommage à tes premières amours ? Tout a fait. C'est une fierté pour moi. Joey Starr… c'est lui qui m'a foutu dans la musique. La première fois que j'ai découvert NTM et lui surtout… J'étais abasourdi par ce mec que tous les parents de mes potes détestent, que les miens ne veulent pas que j'écoute… En interview avec Michel Denisot, dans Mon Zénith à moi, il m'a scié. Lui, c'est une rock star. Il a un charisme incroyable.
Que penses-tu du travail de Winston McAnuff avec Camille Bazbaz ou Java ? Ce genre de démarche me plaît. J'aime le métissage. Les plus belles rencontres sont celles qui sont le plus improbables. A l'époque, Aerosmith et Run DMC c'était complètement improbable, et c'est l'une des plus belles rencontres. Gainsbourg aussi… Je ne suis pas sûr d'avoir entendu un album où Sly & Robbie jouent comme ça. Pourtant j'en ai écouté. Mais je ne suis pas sûr qu'il y ait un album aussi bien arrangé, avec des lignes de basse aussi techniques sur toutes les chansons. Ce genre de rencontre, c'est ce qu'il y a de plus beau. Et le reggae est vraiment une musique qui permet ça. Autant vocalement que musicalement. Le reggae est déjà un métissage, quand les mecs reprenaient des standards américains pour les remettrent à leur sauce. Ca va avec le monde d'aujourd'hui, qui est de plus en plus métissé.
Pour revenir à ton album, on s'attendait à quelque chose de plus authentique, de moins variété. Plus authentique ? Le mot ne me va pas parce que à partir du moment où j'aime les morceaux, personne ne peut me dire que ça ne me va pas. Je ne me trahis pas en faisant ces chansons. Ce que tu entends par variété, c'est peut-être des refrains un peu plus populaires. Moi, j'adore les arrangements pop, de la variété française. J'ai toujours adoré les cordes, la mélodie plus que le rythme. J'adore la pop depuis toujours. J'écoute James Blunt, The Servant, en kiffant comme un malade. C'est vraiment un choix artistique, et cet album me plaît. J'ai validé toutes les pistes, c'est vraiment ce que j'ai envie de donner aux gens.
As-tu une idée du public à qui tu veux t'adresser ? A tout le monde. Moi je veux présenter ma musique au plus grand nombre, mais ça ne veut pas dire faire des trucs qui ne te ressemblent pas. Un artiste qui dure, c'est un artiste qui se ressemble. Des concessions sur la musique je n'en ferai pas. Les seules critiques que je prends, c'est celles que je viens demander. Avec les deux autres Thomas, j'ai cet écho sur mon travail. C'est artistiquement viable, et c'est une cellule qui me convient. Je n'ai pas envie d'en changer, même pour le prochain disque.
Quel est ton état d'esprit au moment de la sortie de l'album ? Je suis un chien enragé. J'ai faim de scène. Faim de tout. J'ai envie de porter ce disque, il est important pour moi. Vraiment.
Tu penses déjà au deuxième album ? J'y pense des fois. Je pense qu'il va être… je pense qu'il faut qu'il soit un peu plus dépouillé. Un peu moins d'arrangements, avec un peu plus de featurings. Mais ce ne sont que des affabulations.
Ce sont des choses que tu vois déjà comme des "défauts" sur cet album ? Je ne dis pas que je les ferai pas, mais je les ferais peut-être moins, je mettrais moins de pistes partout. Je pense que sur ce disque-là on n'avait pas envie de se louper, on essayait de donner le meilleur de nous-mêmes. Le résultat me plaît, donc ça va. Mais si je refaisais un autre disque, je ferais plus de morceaux live, avec toute une équipe. Ce serait plus live, plus acoustique. Je pense qu'il y aurait tout autant de chansons pop, voire plus. Mais ça va toujours être assez mineur, assez mélancolique et nostalgique. C'est mon truc.
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