INTERVIEW :
Propos recueillis par : Yann Bossuat
le jeudi 28 avril 2005 - 24 880 vues
Après avoir annulé sa tournée pour des raisons de santé à la fin de l'année dernière, Gentleman était de retour sur la capitale, et particulièrement attendu. Peu d'artistes européens peuvent se vanter d'une telle notoriété. Il faut dire que le deejay allemand multiplie les passerelles avec la Jamaïque, où il s'est imposé. Il sait également se distinguer en singles, entre des albums toujours bien accueillis. Heureux d'être à nouveau sur les routes, Gentleman nous livre ses dernières confidences.
Reggaefrance / Bonjour Gentleman, merci de nous recevoir. Ta tournée de cet automne a été annulée à cause d'un problème d'audition. Peux tu nous en parler ? / La raison principale de l'annulation est la maladie de mon musicien qui joue au clavier, mon problème d'audition n'est arrivé qu'après. Il était vraiment très fatigué, très faible et nous avons alors décidé de reporter à plus tard cette tournée en Europe. Nous sommes contents d'être à nouveau sur la route. On a déjà joué à l'Elysée Montmartre et nous sommes très heureux d'être actuellement à Paris. Ma surdité est arrivée à cause du stress, de l'excès de travail… C'était un signe disant que l'on devait faire s'arrêter. Après cette petite pause, me voila de retour
Et comment vas-tu maintenant ? Bien !
Pourquoi as-tu choisi Gentleman comme nom d'artiste ? Aucune idée. Parfois je me dis que c'est un nom ridicule mais c'est plus en rapport avec la musique qu'avec le nom en lui-même. Mon vrai nom est Tillman et les gens m'ont nommé Gentleman. Je pense que même si je n'avais pas ce nom, les gens en Jamaïque m'appelleraient ainsi. Je pourrais changer sur le prochain album… Comme je dis, tout est en rapport avec la musique.
Ton premier album ‘‘Trodin On’‘ est assez orienté dancehall, pourquoi as-tu ensuite plus axé les deux autres sur le reggae ? Le dancehall est une branche du reggae. Je pense que le roots a une durée de vie plus longue. Le dancehall est plus éphémère, il se démode plus vite. Etant donné qu'à mon âge, j'écoute plus de roots, je préfère chanter sur du reggae roots que sur du dancehall. Le reggae vit plus longtemps et j'ai vraiment envie de faire une longue carrière. J'ai également connu le reggae grâce au roots et non grâce au dancehall. Pour moi le roots est plus important, plus fort que le dancehall.
Il y a toujours beaucoup de combinaisons sur tes albums. C'est un exercice que tu aimes particulièrement ? Je pense que deux artistes peuvent beaucoup s'apporter, deux voix sont plus fortes qu'une seule. Dans les studios en Jamaïque, il y a beaucoup d'inspiration, on trouve toujours beaucoup de monde : des artistes, des producteurs, des musiciens, on improvise des chansons… Ce n'est pas quelque chose qui est planifié, c'est une simple vibe, quelque chose d'automatique. C'est une bonne expérience de travailler avec d'autres chanteurs. Je chante évidemment tout seul mais j'aime aussi travailler avec les autres… Cela apporte de nouvelles influences.
Comment écris-tu tes textes ? Y a-t-il des thèmes que tu aimes plus aborder que d'autres ? Je n'ai pas de thème particulier. J'écris sur ce que je ressens, ce que je pense, et je mets tout en chanson. J'essaye de faire passer un message dans mes chansons. Je veux laisser quelque chose, une empreinte dans ce monde. Je peux chanter sur l'amour, sur Jah, sur une interview, sur une histoire… J'ai toujours beaucoup d'idées pour les textes. Je parle aussi d'exemples de mon expérience personnelle, de ce que j'ai vécu.
Tes textes empruntent beaucoup aux thématiques rasta. Par exemple, tu parles beaucoup de la jeunesse (Younger Generation, For The Children). C'est ton inspiration ? J'ai beaucoup appris des rastas, ce sont des personnes proches de la nature. Quant aux jeunes générations, elles représentent le futur. C'est important que je fasse des textes que les jeunes puissent écouter. Certains artistes ne sont parfois pas assez responsables et pas conscients de la responsabilité de leurs paroles. C'est pour cela que je fais des lyrics conscients car ces jeunes préparent l'avenir, le monde de demain.
Tu n'es pas rasta et pourtant tu parles souvent de Jah dans tes chansons. Que représente ce mot pour toi ? Jah est dieu, l'esprit, l'amour, l'énergie… Je n'appartiens à aucune religion mais je suis croyant, je ne crois en aucun Dieu particulier mais je sais que Dieu existe. Je parle de choses qui ne peuvent pas être éphémère. J'écris sur l'amour, l'énergie, Jah et tout ce qui tourne autour de ce sujet. Devant Dieu, tous les hommes sont les mêmes. C'est naturellement un thème central car je suis très croyant. Je suis très reconnaissant d'être sur cette terre et d'avoir trouvé la voix de Dieu.
Tu chantes en patois jamaïcain. Pourquoi ? J'ai passé beaucoup de temps en Jamaïque. Quand tu passes du temps dans un pays, tu comprends mieux les gens et au fur et à mesure, tu apprends la langue. Sur le dernier album ‘‘Confidence’‘, on entend plus d'anglais que sur ‘‘Journey to Jah’‘. Je veux que les gens puissent mieux comprendre les paroles. Au fond, je chante en anglais avec un accent très prononcé. Le patois est une musique très rebelle qui évolue au fil du temps. De plus avec le patois, il n'y a pas de loi ou de limite pour écrire. C’est très symbolique et j'adore ça.
La dernière fois que nous t'avons rencontré, tu as répondu aux questions en patois… Tu sais presque mieux parler patois qu'anglais. Je pense aussi. Parfois, il est difficile pour moi de revenir à un anglais ‘‘normal’‘. Je peux parler patois et tu ne comprendras rien, ou parler plus lentement. L'important c'est que les gens comprennent. L'anglais est la langue que la plus parlée dans le monde, c'est pour cela que nous l'utilisons. Pour toucher le plus de gens.
Pourquoi ne chantes-tu pas en allemand ? Je n'aime pas les sonorités. Trop de ‘‘r’‘ (rires) ! D'autres personnes peuvent le faire et de meilleure manière, comme par exemple Seeed… Il y a beaucoup d'artistes allemands. Si je me mettais à chanter en allemand, je devrais repartir de zéro et comme je me suis bien habitué au patois, je ne veux pas changer. De plus, c'est quelque chose d'international, les gens en Afrique, en Jamaïque, en Amérique et même en France ne me comprendraient. Tandis qu'en anglais, tout le monde peut saisir mon message.
As-tu déjà écrit des textes en allemand ? Je n'ai jamais écrit ou chanté en allemand. Pour moi c'est plus facile en anglais, question d'habitude.
Tu développes ta musique sur le modèle jamaïcain. Ne penses-tu pas que le reggae européen pourrait avoir sa propre identité ? Je crois que le reggae est international. Bien sûr, chaque pays possède sa propre identité, mais on trouve des productions françaises, des chanteurs allemands et des producteurs jamaïcains. Les productions sont bien souvent internationales, elles font le tour du monde. Et c'est une bonne chose.
Comment est perçue la scène européenne en Jamaïque? De mieux en mieux, mais les Jamaïcains sont encore un peu en avance, leur reggae est le plus écouté. La Jamaïque est la priorité, la mère du reggae, tout le monde s'y rend et la plupart des studios se trouvent dans ce pays. On trouve maintenant des productions du monde entier, de France, d'Allemagne, du Japon, d'Espagne, d'Italie…qui deviennent vraiment meilleures. Si le son est bon, il est joué, peu importe d'où il vient…
Quelle différence fais tu entre le reggae jamaïcain et européen? Je ne fais aucune différence. Malgré tout on peut trouver quelques changements en ce qui concerne les enregistrements, les studios. En Jamaïque il y a des structures qui sont plus développées que d'autres. Ils sont en avance et ont plus d'expérience qu'en Europe. De mon point de vue, c'est plus rapide pour moi de travailler en Jamaïque. Mais comme je l'ai dit tout est international.
Les méthodes de travail sont-elles les mêmes? Je crois que chaque studio a sa propre méthode de travail. Certains travaillent avec Pro Tools, d'autres avec du matériel analogique. Beaucoup de personnes peuvent faire facilement des bons riddims avec leurs ordinateurs. Les techniques sont aujourd'hui de plus en plus variées.
Tes chansons et ton son sont très orientés pour le marché jamaïcain. Est-ce important pour toi d'être reconnu par les jamaïcains ? Oui, je remarque que j'ai intégré le son jamaïcain, j'ai passé beaucoup de temps en Jamaïque. J'aime ce pays, c'est un peu comme ma deuxième patrie. Le reggae vient de ce pays, alors c'est important pour moi d'être accepté. Selon moi, c'est important lorsqu'on fait du reggae d'être reconnu en Jamaïque car si on arrive à s'y imposer, on est accepté par le reste du monde. Pour moi c'est vraiment la première instance du reggae. Mais on peut très bien faire du reggae sans aller en Jamaïque.
Où vis-tu actuellement, en Jamaïque ou en Allemagne ? Dans le bus (rires)…J'ai une maison en Allemagne, je me sens chez moi en Jamaïque et même dans le bus. J'ai de la famille en Jamaïque et en Allemagne, à Cologne. L'Allemagne est juste un pays parmi les autres et le reggae est international. C'est important pour moi de me rendre dans tous les pays, en France, en Amérique… L'Allemagne n'est pas une priorité. J'ai fait la plupart des shows en Allemagne, j'ai joué dans quasiment toutes les villes. Je parle avec les gens qui viennent au concert et je suis touché par l'accueil qu'ils me font.
C'est important pour toi de travailler avec des artistes locaux? Oui, et je n'arrêterai jamais. Du premier jusqu'au dernier album je travaillerai avec des artistes allemands comme Pow Pow, Silly Walks, Tolga… Il y a beaucoup de talents en Allemagne…mais je n'aime pas faire des différences entre les nationalités des artistes…On vit tous dans le même monde, on fait tous de la musique. On se doit d'être unis.
Beaucoup d'artistes n'ont pas eu la chance d'aller en Jamaïque comme toi… On apprend tous au contact des autres. Au gré des rencontres. Si tu veux aller en Jamaïque, vas-y.
C'est ce que tu as fait à l'âge de 17 ans… Ca a été le coup de foudre ? Oui, je n'avais jamais quitté l'Europe auparavant, c'était une expérience nouvelle pour moi, un nouveau monde. J'ai ressenti quelque chose de fort, d'important. Je n'ai été pas à Kingston directement j'ai d'abord été à la campagne, dans des régions que je ne connaissais pas. J'ai vécu selon un style de vie que je connaissais pas avant, et cela m'a beaucoup apporté.
Quels sont tes projets à venir ? Je ne me projette pas trop dans l'avenir. Pour l'instant je suis en tournée en France. Je peux partir dès demain en Jamaïque et préparer un nouvel album… On ne peut jamais savoir. Je ne sais pas de quoi est fait l'avenir.
As-tu envie de te lancer dans la production comme certains artistes ? Oh mais je produis déjà. J'ai mon propre studio et je mets en place mon label Bushhouse Records. Je suis venu tout naturellement vers la production après avoir passé dix ans à chanter sur scène. Sur ‘‘Confidence’‘, j'ai un morceau autoproduit et sur le prochain il y en aura encore plus. Je compte également produire d'autres artistes.
En tant que producteur, avec qui travailles-tu ? J'ai déjà crée un riddim sur lequel je me pose aux côtés de Barrington Levy et Daddy Rings, que l'on trouve sur mon dernier album (cf Caan Hold Us Down). J'ai fait des remix pour des artistes hip hop allemand… Ca se développe lentement mais sûrement. Nous voulons en lancer d'autres, il y a plein d'artistes, d'opportunités… Nous voulons profiter de ces occasions.
Est-ce que tu comptes construire un studio en Jamaïque ? (Rires) Non, il y a déjà trop de studios en Jamaïque, on en trouve partout…dans chaque endroit il y a un studio. Je compte le construire en Allemagne, dans ma maison. Je suis prêt à travailler.
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