INTERVIEW
Propos recueillis par : Benoit Georges
Photos : Karl Joseph
le mercredi 17 mars 2004 - 24 559 vues
Reggaefrance a rencontré Winston McAnuff aka Electric Dread, lors de son passage en France à l’occasion de la sortie de l’album réédité What a man a deal with pour le label français Makasound (voir chronique). Musicien, chanteur et compositeur, Winston McAnuff n’a sorti que trois albums sur une vingtaine d’années mais il a beaucoup tourné dès le début des années 80 notamment en France et au Japon. Il nous annonce d’ailleurs une tournée en avril 2004 avec le groupe bordelais Niominkabi et Linval Thompson, la sortie d’un album de Niominkabi qu’il a produit, ainsi qu’un nouvel opus en collaboration avec Linval Thompson. Bien décidé à remonter dans le « reggae train », Winston McAnuff revient pour Reggaefrance sur les grands moments de sa carrière et sur ses projets.
Reggaefrance / Peux te présenter et nous présenter les grandes lignes de ta carrière ? / Je m’appelle Winston McAnuff aka Electric Dread. J’ai commencé à chanter dès mon plus jeune âge, à l’église familiale, vu que mes parents étaient pasteurs. Quand mon père est tombé malade, je suis parti à Kingston où j’ai fait des auditions pour des producteurs comme Joe Gibbs et Derrick Harriott. C’est comme ça que j’ai commencé les enregistrements professionnels, en écrivant des chansons pour Dennis Brown, pour Earl Sixteen, en enregistrant et en écrivant pour Derrick Harriott.
D’où vient ton surnom « Electric Dread » ? Eh bien, c’était lors d’un de mes passages sur scène : des gars qui étaient là sont allés à la boutique de Derrick Harriott le lendemain. Ils lui ont dis qu’ils m’avaient vu sur scène et que j’étais aussi vif que l’électricité (« moving like electric »), qu’on avait voulu prendre des photos mais que ce n’était pas possible car je ne restai pas une seconde en place. Ils lui ont donc dit : « ce gars bouge comme l’électricité » et Derrick Harriot a eu l’idée de me surnommer « electric dread ». C’est comme ça que j’ai eu mon nom, d’après mes mouvements sur scène.
En quelle année tu es arrivé à Kingston ? Je suis parti pour Kingston en 1972, parce que mon père a eu une apoplexie et ma mère, seule, ne pouvait pas gérer les 5 enfants. Ma grande sœur a donc proposé que je vive avec elle à Kingston pour soulager ma mère.
Avec qui tu t’es lié à Kingston ? D’abord, j’ai rencontré Earl Sixteen, à la première école où j’allais, et puis j’ai été au lycée et il y avait Franklin « Bubbler » Wall. Tôt le matin, avant la prière, on chantait et on jouait sur le piano de l’école et quand le principal arrivait on transformait ça en musique religieuse (rires), C’est comme ça qu’on a commencé, on allait aux auditions. Je les traînais en studio, chez Joe Gibbs d’abord, où on a fait « Malcolm X », notre première chanson, moi et Hugh Mundell. Car il a lui aussi enregistré sa première chanson ce jour là. Elle s’appelle « Natty dread is not on first street », tu connais cette chanson ? Non ? Et bien même Joe Gibbs ne sait pas qu’il l’a, même lui ne se souvient pas de cette chanson.
Tu es connu aussi comme parolier. Comme t’es-tu retrouvé à écrire des chansons pour d’autres chanteurs ? En fait j’étais très inspiré quand j’étais au lycée. J’écrivais beaucoup de chansons, les idées venaient d’elles-mêmes. Quand j’ai mis les pieds pour la première fois dans un studio d’enregistrement, je devais avoir 30 ou 40 chansons d’écrites. Derrick Harriott à ce moment là avait besoin de matériel. Il y a des chansons comme « Roma », « Heavenly love », « Mr Wind Bag ». J’ai écrit toutes ces chansons. Pour Earl Sixteen, j’ai écrit « Charming », « Dreadlocks unite », il avait lui aussi une version de « Malcolm X » et aussi une chanson qui s’appelle « Africa is calling » qui n’est jamais sortie.
Tu as écrit les textes et la mélodie de « Malcolm X » ? Oui mais à ce moment là je ne connaissais rien de Malcolm X, j’en avais juste entendu parler. Je n’avais aucune connaissance de sa lutte, j’étais jeune et même quelqu’un comme Dennis Brown ne savait pas vraiment qui était Malcolm X. Mais après avoir fait la chanson, il a été en tournée et quand il est revenu en Jamaïque il m’a dis : « Winston, je ne savais pas que c’était des militants radicaux aux Etats Unis ! C’est seulement après avoir joué « Malcolm X » que je les ai vu venir à mes concerts. ». C’est grâce à la chanson « Malcolm X », que certaines figures du radicalisme « black muslim » se sont mises à venir à ses concerts, il était étonné ! Il ne se doutait pas qu’il y avait des gens comme ça aux Etats-Unis. On peut dire que cette chanson était un peu comme une vision, quelque chose dont j’avais une pré connaissance qui m’a permis d’écrire, quelque chose que j’ai entendu.
Quelle est la première chanson que tu aies chantée et enregistrée ? « Ugly days ». En fait, j’ai composé cette chanson pour la faire chanter par Earl Sixteen, mais pendant que je faisais cette chanson avec les autres musiciens ils me disaient que je devrai la chanter, qu’elle allait bien avec ma voix. J’ai essayé de faire une prise juste pour tester. Ils m’ont dit : « c’est bon, c’est la bonne version » et moi je disais : « non c’était juste un test » et ils m’ont dit : « non man, tu ne pourra pas la rechanter comme ça, c’est la bonne prise ! » C’était donc mon premier enregistrement. J’ai écrit cette chanson vers 1975, comme Malcolm X mais elle n’a été enregistrée qu’en 1977.
Tu voulais la garder ? Non c’est arrivé comme ça. A cette époque les producteurs n’avaient pas autant d’argent. La plupart du temps, ils attendaient de toucher de l’argent : pour Derrick Harriott, c’était les droits de scène, d’édition. . Ensuite, ils réinvestissaient l’argent dans les studios, nous, on était obligé de suivre le mouvement.
Tu produis, toi-même, n’est-ce pas ? Oui, je fais aussi de la production. Cette année, je fais des productions pour Souleymane, un chanteur du Sénégal qui vit à Bordeaux (plus connu comme chanteur de Niominkabi) ! Il a fait mes premières parties il y a longtemps, en 1982-1983. C’était à Bordeaux, et personne ne me connaissait à ce moment là. Et on a continué à partager des scènes. On a été jusqu’en Italie. Donc il est venu en Jamaïque cette année et je l’ai aidé à faire son album. C’est original, c’est un très bon album. On a fait trois morceaux entièrement dans mon studio et on a fait le reste à partir de riddims. Des riddims d’Horace Andy, de Burning Spear, de Johnny Clarke. Un mix de bons riddims, des riddims wicked. Même Joe Gibbs, chez qui on a enregistré un morceau, voulait lui faire faire un album parce qu’il aimait le mélange africain avec le son jamaïcain roots. Même si on ne comprenait pas ce qu’il disait, ça nous faisait voyager d’entendre ça. Tu te sens en vacances.
Tu as sorti un album, "Diary of the silent years" (le journal des années silencieuses). Qu’as-tu fait pendant ces années silencieuses ? Ce que j’ai fait… Simplement réfléchir sur la bonne direction à prendre et attendre qu’une bonne chose arrive. Quelque fois tu dois attendre à la gare et ne pas monter dans le train. C’est la même chose dans la vie, quelque fois tu dois attendre la bonne personne. Mais il y avait autre chose, beaucoup de mes amis sont morts. Mon proche ami Jacob Miller est mort, Bob Marley, Peter Tosh. Je me demandais ce qui se passait en Jamaïque. Ca ressemblait à des complots pour éliminer certaines personnes : Hugh Mundell par exemple. Et pour cette raison j’ai choisi de faire profil bas en attendant que ça passe. J’avais quand même écrit « Malcolm X », alors on ne sait jamais. Et puis, j’ai rencontré ce gars, Nicolas (de Makasound) et d’autres personnes quand ils sont venus de Jamaïque. Je leur ai dit que j’avais un album et ils ont voulu l’entendre. Je leur ai joué et ils ont voulu savoir le nom du producteur alors je leur ai dit que j’étais le propriétaire de l’album et que j’allais leur donner pour qu’ils le sortent. Ils ont d’abord refusé en disant qu’ils n’étaient pas prêt. Moi j’ai insisté : « vous allez le faire, vous prenez la bande et vous la ramenez en France ! ». Quelques mois plus tard il m’appelaient pour me dire que ça ne donnait rien, je leur ai dit de ne pas s’en faire et de continuer. Ils me rappelaient peu de temps après pour me dire qu’ils avaient trouvé un distributeur.
Il y a une réédition d’un ancien album, "What a man a deal with"… …qui a été piratée.
Piratée, comment ça ? Ah, tu ne le savais pas ? On est passé devant les tribunaux pour cet album. Il y eu un gros procès l’année dernière : Hélène Lee et le journal Libération contre ce gars, Hanson Hamilton, du label Culture Press qui les attaquait pour diffamation car ils avaient écrit que c’était un voleur. Le tribunal devait avoir la preuve de cette affirmation. Il a sorti cet album en 1995 en disant qu’il avait été produit par Tommy Cowan. Et je n’ai jamais travaillé avec Tommy Cowan, jamais de ma vie, pas même pour un single ! Je suis retourné en Jamaïque et j’ai demandé à Tommy Cowan de faire une lettre qui expliquait cela. J’ai ramené la lettre au tribunal pour prouver que cet homme est un voleur et pour qu’on arrête de vendre ce CD. C’est pourquoi j’ai pu faire rééditer cet album avec Nicolas (Makasound), c’est le résultat d’une décision de justice. Car la justice est un train très lent, mais il est sûr.
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