INTERVIEW :
Propos recueillis par : Benoit Georges
Photos : Ben
le lundi 15 novembre 2004 - 11 999 vues
Avec une carrière discographique remontant à 1969, Johnny Osbourne a été le témoin de l’évolution de la musique jamaïcaine : il a connu la naissance du reggae, du dancehall, puis du digital. Après un séjour de 10 ans au Canada, il revient en Jamaïque en 1979 et entame une seconde carrière ponctuée de hits qui lui vaudront une reconnaissance internationale. Il signe des albums prestigieux d’abord pour Studio One, puis pour Volcano avant une longue collaboration avec King Jammy, marquée par des hymnes au dancehall qui restent encore aujourd’hui des références incontournable dans toutes les danses de la planète. A l’heure où le label Massive B propose une nouvelle version du riddim Truh & rights avec une combinaison entre Johnny Osbourne et Burro banton, Reggaefrance publie cette interview de « Mr buddy bye », le parrain du dancehall, réalisée à New York.
Reggaefrance / Bonjour Johnny Osbourne. J’aimerais d’abord qu’on parle de vos débuts dans la musique et dans le reggae… / En fait je n’ai pas commencé à chanter en chantant du reggae. Car comme tu le sais, dans les Caraïbes on commence souvent à chanter à l’église. C’est de la que m’est venu le chant car ma grand-mère faisait partie de la paroisse et on se devait de l’accompagner à l’église. La musique est à l’église, elle est en nous. C’est comme ça que nous avons commencé à chanter, et plus tard je me suis vraiment passionné pour la musique et j’ai commencé à chanter du reggae pour les gens qui allaient dans les danses.
Dans un morceau de dancehall justement qui s’appelle Sing along, vous parlez de vos débuts musicaux. Vous dites que tout le monde chantait votre chanson en 1969. C’est vrai ? Bien sur c’est vrai parce que mon premier album est sorti en 1969 pour Winston Riley. J’avais juste fait trois ou quatre chansons avant ça. C’est à partir du moment où j’ai sorti cet album “Come back darling” en 1969 que tout le monde s’est mis à chanter ma chanson. C’est comme ça que je me suis fait connaître. J’ai explosé en 1969.
Et votre premier enregistrement professionnel c’était pour Winston Riley ? Non, je n’ai pas enregistré mon premier disque avec Winston Riley. J’avais un groupe qui s’appelait Wildcat. Le manager du groupe voulait m’enregistrer seul. J’avais une chanson qui s’appelait All I have is love. Alors il a loué Studio One juste pour une chanson. On a enregistré cette chanson All I have is love, c’était une production indépendante. Le manager avait donc la chanson et il en a pressé environ mille. Mais ce n’était pas un vrai producteur, il faisait ça comme ça... Après en avoir pressé mille, il ne s’est pas occupé de la commercialisation, donc je me suis rendu compte que rien ne bougeait. Finalement après quelques années, comme il s’est aperçu que c’était une bonne chanson, il l’a redonné à Studio One pour la sortir. Elle est apparue sur le label Studio One. Et là les gens ont pu l’entendre.
Quelles étaient vos influences à part la musique d’église ? A part la musique d’église c’est le RnB américain que j’écoutais. J’aimais les Nat King Cole, Brook Benton, Sam Cooke, Johnny Matis pour ne citer qu’eux. J’ai toujours aimé ces chanteurs et je voulais être l’un des leurs. J’ai donc continué à chanter en essayant de le faire bien.
C’est pour cela que vous avez formé le groupe The Sensations ? En fait je n’ai pas formé The Sensations. Le groupe était formé avant mais c’était mes amis. On avait l’habitude de se poser et de chanter ensemble. Quand j’ai enregistré mon premier album, The Sensations sont venus chanter les chœurs et les harmonies avec moi. Mais je n’étais pas un membre du groupe.
Après cela, vous êtes parti au Canada. Quand êtes vous partis ? 1969, le même jour où j’ai terminé mon album ! J’ai émigré au Canada parce que ma mère, mon frère et ma sœur y vivait déjà, à l’époque. Au Canada, j’ai eu un groupe qui s’appelait The I-cient group. On a laissé un bel album pour une compagnie, GRT de là-bas, un disque produit par David Clayton-Thomas de Blood sweat and tears. Je me suis consacré à cette musique jusqu’en 1979, date de mon retour en Jamaïque et de mes enregistrement pour Studio One, Volcano et Jammy’s.
A propos de Studio One, pourquoi avez-vous décidé de commencer par Studio One à votre retour ? Ce studio c’est le Motown du reggae. J’habitais juste à côté. J’y suis allé tous les dimanches pendant 5 ans en essayant de passer une audition. Je n’ai pas été pris à cette époque. Donc quand je suis revenu en Jamaïque, je voulait être sur de chanter pour le Motown de Jamaïque. Je voulais être sur d’avoir un jour un album chez Studio One. J’ai fait mon premier album pour Winston Riley de Techniques et en 1969 je n’avais pas accès à Studio One. En 1979, pour mon retour, l’objectif était de rentrer à Studio One. J’y suis rentré et j’ai composé l’album “Truth and rights”.
Cet album a bien marché à l’époque et encore aujourd’hui c’est un grand album. Après vous avez eu un autre hit avec Folly ranking… Folly Ranking a été enregistré pour King Jammy’s car Jammy est mon ami. On a tous les deux vécus au Canada à la même période. On est revenu en Jamaïque presque au même moment. Jammy travaillait pour King Tubby. Mais j’ai enregistré la chanson Folly ranking pour Jammy’s et on a enregistré l’album “Folly ranking” qui est mon premier album pour Jammy’s. Ensuite il a construit son studio et j’ai travaillé pour lui.
Les paroles de Folly ranking sont-elles inspirées de faits réels ? Oui, ce sont des faits réels. Un ‘‘ranking’‘ c’est un homme important, un homme hautement considéré. Si tu es considéré pour de bonnes choses tu es un bon ‘‘ ranking ’‘ mais si on te considère pour de mauvaises actions alors tu es un ‘‘folly ranking’‘. C’est de ce genre de personnes que je parle dans cette chanson.
A cette époque la musique était en plein changement avec ce qu’on a appelé le dancehall. Vous étiez un chanteur plutôt ‘‘ culturel ’‘ et vous vous êtes particulièrement bien adapté au style dancehall. Comment avez-vous vécu ce changement. ? Ce qu’on appelle dancehall maintenant, c’est comme si on ne savait pas que les gens comme moi sont les origines du dancehall. A mon époque, on n’avait pas encore la télé en Jamaïque, on n’avait que les danses. On allait aux danses tout le temps quand on était jeune, car il n’y avait pas de télé pour rester chez soit. Donc on sortait dans les danses. Je connais le dancehal depuis tellement longtemps que quand ils ont transformé la musique dans un style dancehall, j’étais déjà moi-même dancehall. C’était facile, je n’ai pas eu à m’adapter au dancehall car je connaissais le dancehall bien avant qu’on le baptise ainsi.
Vous avez donc conservé vos influences et des textes plutôt conscients avec une attitude dancehall. Et vous avez réussi à marier ces ingrédients avec Jammy’s, ce qui reste un moment important de votre carrière… Cette période est une décennie très particulière : c’est à ce moment là que je me suis refait un nom en Jamaïque avec mes albums pour Studio One, Junjo Lawes et King Jammy’s. J’ai quitté la Jamaïque pour le Canada et pendant 10 ans je n’ai pas enregistré en Jamaïque. Je devais donc redorer mon blason et ramener mon nom sur le marché car j’étais parti depuis 10 ans.
Vous avez enregistré des versions spéciales pour Jammy’s, par exemple No sound like we, qui peuvent être considéré comme des dubplates. Vous faites encore des dubplates aujourd’hui… C’est important pour moi, je suis un peu un ‘‘dub doctor’‘. J’ai construit le business des dubplates de manière à ce qu’aujourd’hui tu peux difficilement trouver un sound system qui ne joue pas de Johnny Osbourne. La plupart du temps dans un sound clash, on entendra un dubplate de Johnny Osbourne. C’est important pour moi et pour les gens des sound systems car le public sait déjà que Johnny Osbourne est le parrain du dancehall et un ’‘dub doctor’‘.
Est-ce qu’on aura la chance de voir Johnny Osbourne en Europe ? C’est la grande question ! Oui, je sais qu’on m’attend en Europe. Beaucoup de gens en Europe m’appellent pour m’avoir. Maintenant 2004 se finit donc j’espère qu’en 2005 ce sera le moment de passer en Europe comme que l’ouragan qui est passé sur les Etats-Unis et les Caraïbes. Je dis donc ‘‘ One Love ’‘ à tous les gens qui en Europe soutiennent le reggae.
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