INTERVIEW
Propos recueillis par : Alexandre Tonus
Photos : Benoit Collin
le dimanche 12 décembre 2004 - 12 882 vues
Lors de notre escapade londonienne, nous avons également été rencontré Ras Shiloh, rasta inspiré et artiste conscient. Auteur de pas moins de quatre albums, ce chanteur à la voix magique est encore jeune. Il a pourtant connu des hauts et des bas avant la notoriété toujours grandissante à laquelle il accède aujourd’hui. L’occasion pour nous de faire le point sur une carrière bien fournie, mais aussi d’évoquer son mentor Garnett Silk, dont il est perçu comme le digne successeur. Garnett Silk, dont, quelques jours auparavant, on fêtait les 10 ans de la mort ; déjà.
Reggaefrance / Shiloh, merci de prendre un peu de temps pour parler avec nous, c’est vraiment un plaisir pour moi. / C’est un plaisir pour moi aussi, mon frère.
Peux-tu tout d’abord te présenter au public français, lui dire qui tu es et d’où tu viens ? C’est Ras Shiloh. Ras Shiloh est un jeune qui est né et a grandi à Brooklyn, à New york. Je faisais de la musique dès mon plus jeune âge. Tout a commencé dans une cave de Brooklyn, à New York, avec un sound system qui s’appelait Ballis, Ballis International. Des artistes comme Tenor Saw, Nitty Gritty, King Kong, tous ces artistes m’ont fait monté sur scène, alors que j’étais encore jeune. Professionnellement, je fais ça depuis environ 10 ans maintenant.
Tu as commencé en étant affilié au mouvement bobo ashanti, mais hier, tu as parlé de l’unité des rastas, en dénonçant la division… Je ne me vois plus comme un bobo. Je suis un rastaman. Je sais que le nyabinghi était à l’origine et cet ordre ne pourra jamais changé, c’est le battement de cœur. Je sais aussi que notre père possède beaucoup de maisons ; ce qui signifie donc que nous tous, les douze tribus, les bobos, les binghis, les orthodoxes, nous sommes tous une seule famille. Pour Haile Selassie premier, nous sommes une seule famille. Ras Shiloh va donc dans toutes les maisons, je chante dans toutes les maisons.
Ton premier projet, sorti en 1997, s’intitulait “Ras Shiloh And Idrens Chant”, avec Knotty B. et Ras Shaka ; peux-tu nous parler de cette expérience ? Qu’est-ce que cela apporté à ta carrière ? “Ras Shiloh And Idrens Chant”, oui, pour Melchezidek Music. C’était une vibration spéciale, car Knotty B. et Ras Shaka étaient là depuis le début. Ils ont aidé cette vibration à être ce qu’elle est aujourd’hui. J’ai tant appris en traînant avec ces rastamen. Shiloh n’est pas un nom que je me suis octroyé, il m’a été donné par deux anciens rastamen. Ras Shaka était l’un d’entre eux. Selon la version des Septante de la Bible, Shiloh viendra et rassemblera les gens. Donc, je me considère comme devant rassembler les gens et leur faire savoir que le rapatriement est indispensable.
Ton deuxième projet, l’année suivante, intitulé “Babylon You Doom”, fut un peu l’album de la révélation pour toi. Comment as-tu perçu le succès qu’a engendré cet album ? “Babylon You Doom” est un album super. C’est juste que la distribution n’a pas été assez efficace. Mais les tunes, Travel lite, Aluta continua, Slavery, Babylon you doom, tous ces tunes, les gens les adorent. Je suis tellement désolé de ne pas les avoir chantés hier soir, mais c’est à cause de l’heure et de ces choses-là. Le rasta ne regarde pas l’heure, car Jah est l’heure et l’heure, c’est Jah. “Babylon You Doom” est un album puissant et c’est ce que j’aimerais faire savoir aux gens. Il supporte la vertu, et il y a trop de bêtises qui sortent ces temps-ci, il faut arrêter ça. Il faut de l’amour, de l’unité et ce sont le seul but et la seule destinée pour nous tous.
Peux-tu nous parler de Shiloh B., le label qui a produit cet album ? C’était après les vibrations Melchezidek, car Melchezidek est l’ordre le plus haut. Il n’y a rien de plus haut que Melchezidek. Mais après ça, l’un de mes frères, Ras Shaka, est allé en prison et les choses ont commencé à tourner différemment. Knotty B. et moi nous sommes unis et nous avons fondé
Est-ce toujours actif aujourd’hui ? C’est toujours actif, mais à présent, j’ai un tout nouveau label, que je monte en ce moment, Black Survivors Music. Il ne s’agît pas que de Shiloh, c’est plus grand que Shiloh. Je suis en train de monter un tout nouveau label, Black Survivors Music, donc bientôt les gens pourront se procurer du bon son grâce à ce label. Et puis, j’ai un tout nouvel album avec Bobby Digital qui devrait sortir bientôt, donc il faudra qu’on en reparle. J’ai quatre albums dans les bacs, donc les gens me soutiennent.
Ton troisième album, “Listen Well”, contient quelques expérimentations hip-hop ; est-ce que ce sont tes racines brooklyniennes qui t’ont motivé à tenter ce genre d’expérience ? J’étais à Manhattan, à Priority Records. Moi-même avec Smith & Wesson et mon cousin Twenty Ranks, que je big up où que je sois. C’est lui qui nous a réuni et qui m’a dit : ‘‘Gars, nous allons écrire quelque chose sur la vie.’‘ On a donc sorti la chanson What’s the meaning of life. Nous avons écris les chansons ici et là, nous avons juste collaboré et nous l’avons fait. Enfin, le tout puissant l’a fait, car c’est plus grand que nous.
Et quelle expérience gardes-tu de cet album aujourd’hui ? Le tout était une expérience, mais il y a cette chanson sur l’album, qui s’appelle Sound of silence. She couldn’t take my sound of silence, she couldn’t take my heart to be broken. A cette époque, je traversais certaines choses et j’ai écrit cette chanson. Je big up Knotty B., où que je sois, car Knotty B. et moi, nous avons écrit un paquet de chansons ensemble.
Enfin, en 2002, tu as sorti “From rasta To You”. Ce fut ton premier disque pour une major, pour VP Records. Je l’ai fait pour Penthouse, pour Donovan Germain, mais il l’a donné à distribuer à VP.
Sur cet album, tu as réédité deux chansons de “Babylon You Doom”, Are you satisfied et Child of a slave… Ce qui s’est passé, c’est que ces deux chansons, Are you satisfied et Child of a slave, n’avaient pas eu ce qu’elles méritaient. Personellement, je ne voulais pas que ces deux chansons reparaissent sur l’album, mais Donovan Germain m’a dit : ‘‘Gars, ces deux chansons n’ont pas eu assez de justice’‘. On les a donc remis sur l’album, afin que les gens sachent d’où Ras Shiloh vient. Je n’ai jamais fait de “shotta music”, j’ai n’ai encore jamais trempé là-dedans. Depuis que je suis là, c’est toujours avec le tout puissant. Il nous bénit toujours avec les mots, les sons et les pouvoirs. “From Rasta To You” suit ce chemin. Et si tu veux savoir, sur chacun de mes albums, j’essaie de reprendre une chanson. Sur “Babylon You Doom”, j’ai repris A change is gonna come de Sam Cooke, sur “Listen Well”, je reprend The good Lord des Abyssinians et sur “From Rasta To You”, je reprends I love you more that I can say. J’essaye juste de faire perdurer la vibration... Sur “Listen Well”, je reprends aussi Tainted love
Avant “From Rasta To You”, entre “Listen Well” et “From Rasta To You”, il semble y avoir eu une pause dans ta carrière ? Un espace. Cet espace – il ne faut parler que des bonnes choses – mais dans cet espace, je traversais certaines choses. Des gens voulaient me contrôler. Des gens voulaient me faire signer et m’enfermer. Et c’est comme s’ils avaient voulu me berner depuis les premiers jours. Je ne veux pas trop en parler, mais je sais que de chaque chose, tu tires de l’expérience, que c’est pour une raison. Ca m’a ouvert les yeux et ça m’a fait voir qui était avec moi et qui était contre moi. Ainsi va le monde. Pendant ces temps troubles, je faisais toujours de la musique, mais comme ce n’était pas pour certaines personnes, ça n’arrivait pas là où ça aurait dû. Je veux juste faire savoir au monde que Ras Shiloh est vivant et bien portant. Je suis là. Parce que la vie est le bien le plus précieux, peu importe ce que quiconque essaye de faire. Du moment que tu vis, les choses finiront toujours par aller mieux.
Sur cet album aussi, sur “From Rasta To You”, tu fais un duo avec Garnett. Qu’est-ce que cela représente pour toi ? Ca représente tout pour moi, car Garnett est une grande force pour moi. Garnett est mon chanteur préféré, comme tu dois le savoir. Aucun autre chanteur dans ce monde. J’ai grandi avec Sam Cooke, Al Green, Marvin Gaye, ce genre d’artistes. Puis, je me suis mis au reggae, Bob Marley, Dennis Brown, j’ai écouté toutes les fondations. Mais quand j’ai entendu Garnett, et quand j’ai rencontré Garnett - car je connaissais Garnett personnellement aussi – à partir de Garnett, les autres ne représentaient plus rien pour moi. Il n’y avait personne comme Garnett pour moi. Comme tu peux le voir, je ne l’éloigne jamais de mon cœur. Il vit à travers moi.
Tu es donc particulièrement fier de la comparaison qu’on fait entre vous ? Oui. Quand des gens me disent que je sonne comme Garnett Silk, je suis vraiment content. Parce que Garnett Silk, je sais ce pour quoi il se battait, je sais quel genre de personne c’était. Une personne aussi vertueuse ne peut jamais mourir. Il doit revenir.
Tu sonnes comme lui plus que ses propres frères… Une chose que je sais, le roi Selassie I est le tout puissant. Il sait ce qu’il fait. S’il n’y avait pas le tout puissant, je ne pourrais pas sonner comme je sonne. Il dit que si tu tues un de ses soldats, il en dressera un millier de plus. Je ne suis donc que l’un de ceux qu’il dressa à ce moment, pour continuer le travail.
Quels sont tes projets, mis à part l’album avec Digital B. ? A présent, je veux construire mon studio, je veux commencer à dénicher de nouveaux talents. Je voudrais commencer à trouver de nouveaux talents et je voudrais les faire sortir. Je ne viens pour voler personne. Je veux juste montrer aux gens ce qu’ils font, parce que je suis un artiste et je sais ce que c’est d’être sous-estimé. Donc quand je m’attarderai sur un jeune, je le ferai pour le redresser et lui montrer la bonne voie.
Tu comptes le construire en Jamaïque ? Oui, car c’est là-bas que je suis en ce moment, je vis en Jamaïque. Depuis la Jamaïque jusqu’à l’Afrique. J’aime tout autant les Etats-Unis, car ma mère, ma sœur et mes frères sont là-bas, donc j’ai toujours à faire un tour là-bas. Un jour, à l’Est, en Ethiopie, c’est ainsi que ça doit se passer, mais jusqu’à ce jour, c’est la Jamaïque.
Pour finir, as-tu un message particulier pour le public français ? Te verrons-nous bientôt en France ? J’espère vraiment que oui, car je veux big up tout le public français et vous remercier les gars pour soutenir la vraie musique. Car là-bas, vous savez ce qu’est la vraie musique. Ras Shiloh veut juste dire big up à toute la France et à toute l’Europe, car ils aident à garder cette chose où elle est et telle qu’elle est. Parce que dans d’autres endroits du monde, ils pensent que tout repose sur la “jump up music”. C’est ma première fois en Angleterre et une chose que je sais – je n’ai encore jamais joué en France, mais je ne peux plus attendre – c’est que je big up toute l’Europe. Selassie I vit et dirige tout.
Merci beaucoup. Merci, mon frère. Selassie I le premier.
Remerciements : Olivia
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