INTERVIEW
Propos recueillis par : Sébastien Jobart
le mardi 07 décembre 2004 - 32 529 vues
Krys, seulement 21 ans, est probablement un futur grand du dancehall. Héritier d'Admiral T, on ne pouvait constater son talent qu'à l'écoute de diverses compilations. Jusqu'à la sortie d'un maxi 10 titres regroupant ses 4 succès underground et 6 titres inédits. Une rampe de lancement, en somme.
Sans prétention et faisant preuve de beaucoup de lucidité sur son activité, Krys, un peu malade, se prête de bonne grâce aux formalités de l'interview. Un mot d'ordre sous-tend son travail : pas de limites.
Reggaefrance / Salut Krys, tu as commencé très jeune, peux-tu revenir sur ton parcours ? / J'ai commencé à 14-15 ans. Je viens d'un quartier ‘‘chaud’‘ de Point à Pitre, qui s'appelle Lauricisque. Il y avait beaucoup de rappeurs là-bas, comme le N-O Clan qui est très présent. On avait beaucoup d'influences rap, alors j'ai commencé à rapper avec mes amis du quartier. J'avais déjà le goût de chanter, d'écrire. J'ai découvert le dancehall notamment avec la tune de Red Rat et Goofy, Big Man, Little Youth. J'adorais ce morceau étant jeune, c'est ce qui m'a ouvert au dancehall. Je suis très vite tombé dedans, et je suis définitivement passé du rap au dancehall.
J'ai ensuite rencontré mon crew Black Micky à 15 ans. C'est un groupe underground en Guadeloupe qui fonctionne assez bien, qui organise des sound systems. Ils ont fait plusieurs mix-tapes et ils tournent bien dans l'underground, ils sont respectés. Avec eux, j'ai fait mes premières armes en sound system. On allait ensemble en sound, on allait en répétitions... Le selecta avait un cousin en Jamaïque qui nous envoyait du son, des dubs, des riddims pour travailler. Je me suis retrouvé dans une dynamique de sound qui a fait que j'ai pu évoluer dans le milieu du dancehall.
Tu t'es ensuite connecté avec Kickilla… A partir de 15 ans, à force d'aller en sound, j'ai rencontré plein de monde : Admiral T, Tiwony, Little Espion… Une année où j'étais en vacances en France, Little Espion m'a emmené au studio de Kickilla. J'ai fait la connaissance des frères, qui avaient déjà entendu parler de moi et de ce que je faisais aux Antilles. Ils m'ont contacté pour leur compilation. Ma première a été la compilation ‘‘R2D2’‘, co-produite par Kickilla et Blackwarell (sound system guadeloupéen, ndlr) que je connaissais du pays. C'était mon premier produit. L'an dernier, je suis venu faire mes études en France. La connexion avec le Kickilla s'est faite tout naturellement. Ca a donné An vlé an gal qui a bien marché. On a continué à travailler ensemble toute l'année. Tout s'est si bien passé avec toute l'équipe de Kickilla, et je parle aussi du niveau humain, qu'on s'est mis sur un projet plus personnel, le maxi 10 titres.
Sur ce maxi 10 titres, il y a 4 titres qui ont tourné dans l'underground. As-tu écrit les 6 titres inédits pour le maxi ou depuis plus longtemps ? Un peu des deux. Il y a des sons qui sont nouveaux, et d'autres qui n'étaient pas posés mais que je chantais sur scène. C'est justement de là qu'est né le concept de ce 10 titres. J'avais des sons sur des compiles qui avaient bien marché. Quand j'allais en prestation, ça se passait bien, les massives venaient me voir à la fin du concert en me disant: ‘‘ J'adore ce que tu fais, mais où est le CD ? ’‘ Je devais lui répondre : ‘‘ Si tu veux Garde-cocottes, achètes ‘‘Dancehall Tracks’‘, si tu veux An vlé an gal, achètes ‘‘Megawatt’‘, etc. ’‘ (rires) L'idée était donc de regrouper ces sons sur un produit Krys. Mais on ne voulait pas se contenter de resservir des sons déjà sortis. Ce qu'on a décidé, c'est de sortir un maxi de 6 nouveaux titres avec en bonus ces quatre titres connus de l'underground. Pour que les gens puissent les retrouver.
On cite beaucoup Admiral T quand on parle de toi. La comparaison est flatteuse mais elle doit t’agacer… Je connais Admiral personnellement, je l'apprécie en tant que personne et je l'admire en tant qu'artiste. Il a énormément de talent et il fait un travail superbe pour notre musique actuellement. Evidemment, quand on est comparé à quelqu'un comme lui, c'est forcément flatteur. Mais je revendique mon style, mon originalité. J'aimerais qu'on parle de Krys en tant que Krys et qu'on ne le cite pas par rapport à quelqu'un. A mes débuts, le fait d'avoir travaillé avec lui m'a beaucoup influencé, tout comme j'avais des influences de Capleton, Sizzla ou de Bounty Killer… Mais je pense que j'ai bien montré qu'il y avait un style Krys, et je le revendique.
Tu parlais tout à l'heure de tes études… Tu les as interrompues ou tu continues ton cursus ? Non, je continue mes études de Commerce International. Je suis en année scolaire au Mexique, ça fait partie de mon cursus, c'est une année à l'étranger.
Tu fais du Commerce International parce que tu penses à passer de l'autre côté du micro ? Je n'y ai pas pensé quand j'ai choisi mes études. Mais quand je vois mon évolution dans la musique et ce que je fais dans mes études, la suite logique pourrait être une reconversion : créer un label, ou faire quelque chose qui allie les deux. Je conçois mal ma vie sans le reggae/dancehall.
Tu chantes en créole. C'était une évidence pour toi ? Je ne m'impose pas de limites à ce niveau-là. Je ne me suis même pas posé la question. On me fait souvent la remarque que pour m'ouvrir à un plus grand public, il faudrait que je chante en français. Mais je suis un deejay qui écrit par inspirations. J'ai des textes en français, mais ils ne sont pas encore sortis. J'écris en français, en créole, j'ai des vibes en anglais. Comme l'inspiration vient, je l'écris. Je ne me pose pas la question. C'est vrai que sur ce maxi, les chansons sont 100% en créole. Ce n'était pas prémédité.
As-tu des pressions pour chanter en français ou en anglais ? Personne ne me met de pression, et c'est ce qui est bien avec cette équipe de production. Le fait que je continue mes études montre que je fais de la musique parce qu'elle me passionne. Je ne fais pas ça pour l'argent. Je ne le prend pas comme un travail : je m'amuse énormément. Le fait d'être avec une maison de disques où ce sont des jeunes fait qu'on travaille dans une bonne ambiance, sans pression. On essaye de faire les choses bien, et ça me convient parfaitement. Je te rassure, des sons viendront en français. C'est prévu.
Que raconte la chanson Garde-cocotte ? ‘‘Garde-cocottes’‘ est un concept, une expression qu'on utilise beaucoup aux Antilles. La cocotte se réfère à la femme, au sexe de la femme pour être exact. Le garde-cocotte est un gars qui sort avec des femmes, sans que la femme ne soit la sienne. Il va l'emmener au restaurant, au cinéma, payer toutes ses sorties, alors que la femme se sert simplement de lui. Il n'a rien en retour. Dans la chanson, je décris tout ça, je me moque un peu et je dit au gars de se ressaisir (rires)
Dans Pé, tu appelles aux paroles positives. A l'opposé du dancehall yardie, tu fais la promotion d'un dancehall positif, avec de véritables messages ? Autant que faire se peut. Ca me vient naturellement. Je vais t'avouer que franchement, je ne me limite pas dans mes créations. Evidemment, je ne vais pas tomber dans le slackness ni dans les badman songs. Je ne vais pas promotionner la violence, parce que ça ne me correspond pas. Mais je ne me limite pas dans les créations. Je ne me dit pas : ‘‘ Si mon message n'est pas super positif, super propre, je ne le chante pas. ’‘ J'écoute mon inspiration. J'aurais plus tendance, personnellement, à promotionner des messages positifs. J'écris sur la réalité, ça peut être traité avec humour comme sur Garde-cocottes. Je crois que le reggae et le dancehall ont montré que ce sont de bons véhiculeurs de messages. C'est une partie positive de notre musique, et si je peux faire ce geste dans certains de mes morceaux, tant mieux. Mais ce n'est pas un objectif en soi.
Le premier objectif de ta musique est donc de faire danser les gens ? Je pense que la musique reggae / dancehall a plusieurs cordes à son arc. C'est une musique qui peut véhiculer des messages, mais il ne faut pas oublier qu'elle a aussi ce rôle de fête. Si le rythme est comme ça, qu'on arrive à percer maintenant à un plus haut niveau, c'est que ça fait bouger les gens, qu'elle véhicule une énergie qui donne envie de bouger. C'est une de ses forces. Sincèrement, je kiffe faire bouger les gens. Même si je ne vais pas véhiculer de messages négatifs, je ne suis pas le rasta ‘‘conscious’‘ qui écrit ‘‘righteousness’‘ à tout-va. Je pense que le dancehall a cette faculté d'envoyer des messages et de faire danser. VIP est par exemple un morceau pour faire danser.
Ca ne me choque pas que l'on dise ça, même si ma musique ne se limite pas à faire danser. Elle est aussi porteuse de messages comme Pé que tu viens d'évoquer, ou encore Pa goumé ba fanm. Le morceau a bien marché dans la communauté, il raconte l'histoire de deux cousins qui se bagarrent pour une fille. Elle trompe son gars avec son cousin. Le gars tue son cousin à cause de la fille, alors que le cousin n'était pas au courant. C'est pour dire de réfléchir avant d'agir. Moi, j'envoie des messages, et j'ai envie de faire danser les gens. Je ne me limite pas.
Tu n'as pas de préférence musicale dans tes riddims, entre reggae et dancehall ? J'aime beaucoup les deux. C'est vrai que j'ai plus posé sur des riddims dancehall. J'ai posé sur le Military d'ailleurs. Mais je n'ai pas de préférences.
En imaginant un album, on y trouvera des deux styles ? Oui, certainement. On y pense déjà.
Tu peux nous en parler un peu plus ? Ca sera la même équipe ? Oui, il n'y a pas de raisons que ce soit autrement. Tout se passe bien. Le maxi est le premier produit Krys, pour marquer le coup au niveau de la communauté. Je n'étais que sur des compiles, donc il fallait, sur le court terme, faire un produit ‘‘Krys’‘. L'album ne sera pas pour tout de suite, parce qu'on a quand même travaillé sur le maxi. On y croit et on va promotionner les morceaux. Par la suite, c'est vrai qu'on pense déjà à un album avec du reggae et du dancehall.
Tu fais une petite tournée en France. Est-ce que ça représente quelque chose de parcourir la métropole ? Plus de pression ? Plus de plaisir ? Ca serait plus le plaisir. J'adore ce que je fais, je chante par passion. Plus je peux me retrouver face à un public pour partager la vibe avec eux. Sur scène, je m'amuse beaucoup, le public participe. C'est toujours un plaisir de se retrouver sur scène. Faire ça à un plus haut niveau, tout simplement parce que le public est plus vaste, est un gros gros kiff.
Tu as remarqué des différences entre les deux publics ? En terme de réaction et de participation du public, c'est similaire. La différence se fait surtout dans la position du public par rapport à moi. En France, les gens me découvrent, alors qu'en Guadeloupe ils me connaissent déjà depuis un moment. Ce sont forcément deux attitudes différentes.
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