INTERVIEW
Propos recueillis par : Benoit Georges
Photos : Nof-Nof (couleur) & Camille Chauvel (n&b)
le mercredi 24 novembre 2004 - 10 597 vues
Interrogé lors de sa courte venue en France alors que son album "Signs" venait de sortir, le « Nyahman » Bushman nous faisait part de sa satisfaction de pouvoir enfin produire sa musique. Six mois après, "Signs" a fait son chemin et a permis à Bushman de renouer avec le succès avec des singles comme Downtown, Creatures of the night ou Lighthouse. C’est un nouveau tournant pour sa carrière, comme il nous l’explique ce jour-là.
Reggaefrance / Bonjour Bushman, merci de nous recevoir… / Yes France, c’est Bushman, le “medecine man”, un amoureux de la musique et une voix consciente. One love.
Comment as-tu fait ton éducation musicale ? En matière d’éducation, j’ai des connaissances générales. Je n’ai jamais vraiment été jusqu’au bout à l’école. J’ai quitté l’école après l’ouragan Gilbert qui a dévasté la Jamaïque. J’ai compensé ce manque en lisant, en suivant l’actualité, en m’intéressant à ce qui se passe. Pour la musique, c’est plus difficile à dire. Tu connais la bonne musique quand tu en écoutes. Moi, j’ai écouté beaucoup de Jacob Miller, de Bob Marley etc. C’est cette musique qui m’a enseigné la musique. Au début, je faisais du dancehall mais j’ai découvert que le roots c’était plus mon truc car quand j’étais gamin j’écoutais du roots. Peu après, j’ai eu besoin d’apprendre à jouer d’un instrument et j’ai appris la guitare. Ca a vraiment contribué à développer mon éducation musicale. J’ai joué de la guitare pendant un moment et en jouant avec le métronome, j’ai appris le rythme. Mais c’était aussi un concept inné…
Tu as commencé comme selector, comment en es-tu arrivé à chanter ? En fait, j’ai toujours chanté, à l’église, à l’école. Je chantais dans les chorales du dimanche de l’église, la « Sunday school » car ma famille est chrétienne. Dans le livre des records, la Jamaïque détient le record d’églises par mètres carrés. Je suis devenu selector, parce que je voulais prendre pied dans le dancehall et à St Thomas d’où je viens, il n’y avait aucune structure pour développer mes talents. C’est en bougeant à Kingston pour enregistrer des artistes en dubplates, que j’ai commencé dans le businness. Quand tu es selector il faut souvent bouger pour chercher les sons. J’ai donc commencé en enregistrant un spécial pour le sound pour lequel je sélectais. Et à l’âge de 21 ans, j’ai complètement arrêté d’être sélecteur pour enregistrer ma propre musique. C’est à ce moment là que j’ai rencontré Steely & Clevie, pour lesquels j’ai fait l’album ''Nyahman chant''.
Justement il y a une petite histoire pour ton premier morceau (il a rencontré Steely & Clevie en jouant au foot avec eux)… Oui, mon premier morceau c’était du dancehall, ça s’appelait Call the hearse (il le chante). J’ai chanté cette chanson dans les sounds, en dubplates. Encore aujourd’hui, on me la demande pour des dubs. C’est un big tune. Après il y a eu Grow your natty et Black Star liner (il chante) et puis Remember the days, une sorte de RnB. Depuis ce temps-là, j’écris des chansons mais le problème c’est que pour rentrer dans la compétition, tu dois faire des reprises, des reprises en studio, des reprises en dubplates. Tu vois, Call the hearse c’est une reprise d’une mélodie (il chante Baby come to me de James Ingram). Et c’était comme ça au début, car personne ne veut se risquer à produire des chansons originales de la part d’un jeune artiste. Il a fallu attendre les succès de Garnett Silk ou de Luciano pour que les chanteurs conscious aient la chance d’enregistrer des chansons qu’ils ont écrites. Parce qu’à ce moment là, c’étaient les chanteurs comme Sanchez, Thriller U, Ghost, Lukie D, Singing Melody, Mikey Melody qui étaient au top du dancehall en faisant beaucoup de reprises. C’était entre 88 et 95. Et c’est pour ça qu’on a le plus grand respect envers Garnett Silk, car c’est grâce à lui que la musique consciente est revenue sur le devant de la scène (il chante A man is just a man). Puis Luciano a continué à porter le flambeau et aujourd’hui c’est des gens comme moi ou Warrior King, Jah Mason, Jah Cure… Donc Garnett Silk, il faut lui accorder cette reconnaissance : il a changé l’orientation musicale de son époque.
Est- ce que tu vas continuer justement à poser des textes conscients sur des riddims hardcore ? Depuis le début, j’ai posé sur des riddims digitaux, depuis l’époque de Steely & Clevie. Maintenant, ce que je veux, c’est avoir des vrais musiciens derrière moi, à 100%. Parce que la musique live c’est ce qui correspond à ce que je chante, c’est un message qui vient du cœur. Quand les musiciens sont en studio et qu’ils jouent ta chanson, pour eux il y a plus de feeling, ils ressentent mieux ce que tu chantes donc ils jouent avec plus de feeling. Le digital, ça ne m’intéresse plus trop.
C’est quand même bien pour les jeunes artistes, ou pour ceux qui n’ont pas d’argent : pas besoin de payer des musiciens pour avoir une instru. Oui peut-être pour celui qui n’a pas l’argent pour faire de la musique live. Mais le digital je vois ça plutôt comme une influence du hip-hop. La musique avec des instruments c’est la vraie racine. Et je ne me sens pas de changer ça. Tu vois, beaucoup de grands chanteurs sont avant tout des musiciens, regardes combien de chanteurs jouent de la guitare : Dennis Brown, Gregory Isaacs, sans parler de Peter Tosh qui était l’un des meilleurs guitaristes qu’on ait connu en Jamaïque. C’est comme une tradition, là on ne parle pas de chanteurs on parle de musiciens ce qui implique que tu joues de quelque chose. Avec l’ordinateur ça a tout changé : un gars fait une instru, l’apporte à un chanteur et le chanteur enregistre dessus. Et souvent, il y a des choses qui sortent, ce n’est pas dans la tonalité, c’est vite fait ou mal joué…La musique live t’enseigne ce qu’est la musique pas seulement la pratique mais toute la partie théorique
Ton dernier album ''Signs'' a été produit par tes soins. Oui, avec un peu de co-production de la part de Ian Coleman.
Et tu veux t’orienter dans cette voie ou tu vas continuer à travailler avec d’autres producteurs ? Je pense que de travailler avec beaucoup de producteurs différents ça favorise ton expérience. Je vais continuer à travailler avec d’autres producteurs car la musique n’a pas de limites, pas de frontières et parce que ça me donne d’autres perspectives. Mais travailler avec des musiciens différents pour produire mon propre album, et j’aimerais maintenant produire tous mes albums, c’est vraiment bien. Je suis ouvert, donc s’ils me proposent quelque chose que j’aime, pas de problème. Mais j’ai besoin de musiciens qui peuvent jouer ce que moi j’entend. C’est pour ça que j’ai repris la guitare, pour pouvoir m’exprimer directement. Je vais travailler avec des producteurs mais je vais produire de plus en plus de sons, car il n’y a que comme ça que tu peux exprimer directement ce que tu sens, sans qu’un autre te dicte ce que tu dois chanter, quel riddim tu dois utiliser. Et je pense que l’album ''Signs'' c’est vraiment mon reflet.
Quels sont tes projets ? J’ai une collaboration avec Morgan Heritage, eux aussi ils sont originaires de St Thomas. On a fait une chanson, c’est plus moi et Gramps, qui avons une voix de baryton. Je la trouve superbe cette chanson. J’ai une combinaison également avec Turbulence chez Penthouse, qui est aussi un grand producteur. Et aussi Prezident Brown. Et puis je travaille d’ores et déjà sur le prochain album. Entre temps je serais sur la route pour faire la promotion de ''Signs''. Car pendant longtemps, il n’y a pas eu de grosses compagnies derrière Bushman pour la promotion. Maintenant j’ai conclu un deal avec VP, je dois leur donner 5 albums sur les 5 prochaines années. Et s’ils plaident bien ma cause… Mais de toute façon si je suis en tournée c’est pour bien plaider ma cause ! C’est une collaboration entre Burning Bushes qui est le label que j’ai monté, Kings of Kings et VP. Tu peux voir ces logos sur la pochette de ''Signs''. So it’s a next level, definitely !
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