INTERVIEW
Propos recueillis par : Alexandre Tonus
Photos : Karl Joseph
le lundi 04 octobre 2004 - 18 994 vues
Découvert par le producteur Philip Fattis Burrel, Turbulence est un jeune singjay qui a longtemps été perçu comme le successeur possible de Sizzla au sein du label Xterminator. Ce dernier étant loin d’en avoir fini avec le succès, Turbulence a donc dû s’attacher à se distinguer de lui, et il a beaucoup travaillé pour cela. Depuis ses premiers singles dévastateurs, Think of peace et My way to Zion, la notoriété de ce jeune chanteur n’a cessé de grandir, notamment en Europe ; ce qui lui a permis de sortir de nombreux albums, en collaboration avec des labels d’un peu partout, et surtout, de fonder son propre label, Higher Trod, qui semble être aujourd’hui sa principale préoccupation.
Reggaefrance / Bonjour Turbulence….
/ Avant tout, je voudrais vous remercier de votre présence et je voudrais saluer Paris et les gens au nom de Sa Sainte et Toute Puissante Impériale Majesté, l’Empereur Hailé Sélassié I, Jah, Rastafari. Et Reggaefrance, je voudrais vous dire merci à vous, merci à vous d’être ici.
La première fois que nous avons discuté ensemble, tu nous avais confié que tu voulais devenir un bobo shanti... Est-ce que c’est fait aujourd’hui ? Tu n’étais pas encore bobo la dernière fois…
Ce dont je me suis rendu compte, c’est que bobo shanti…j’étais déjà un bobo shanti. Parce que plus tu vis, plus tu apprends, bobo shanti, c’est juste rasta. Bobo, bingi, orthodoxe, douze tribus : c’est une seule chose. Sa majesté dit : «Un cœur, un but, une destinée». Donc, ça ne veut rien dire quand tu vois certains bobos porter le turban, c’est juste qu’ils prennent leur distance face à la corruption, comme toutes les femmes, qui portent des robes pour couvrir leurs cuisses. Ils couvrent leurs cheveux avec un turban, car c’est une couronne. Cette chose, qui couvre leurs têtes, est une couronne, car nous sommes tous rois sur terre et l’Ethiopie attend son créateur, et nous sommes tous d’Ethiopie. L’Ethiopie est le berceau de la civilisation, donc nous sommes tous originaires d’Ethiopie. Et c’est pourquoi je suis un bobo shanti, je suis un bingi, je suis un orthodoxe, je suis un douze tribus. Nous sommes tous rastas, pas de dénomination, pas de conceptions religieuses, car la religion, c’est la division. Je prie l’Empereur Hailé Sélassié I, ils prient Jésus, certains prient Allah, certains prient Bouddha... séparation. Nous n’avons pas besoin de séparation, venez tous ensemble, pas de racisme. Donc, j’étais déjà un bobo shanti.
Depuis ton premier album, “Turbulence” chez Xterminator en 2000, tu as beaucoup travaillé, d’abord avec ton album “Rising” chez VP en 2001 et puis en 2003, avec pas moins de 5 albums : dans l’ordre, “Different Things”, “The Future”, “Join Us”, “The Truth”, “Hail To The King”, mais pourquoi as-tu choisi autant de labels differents ?
J’ai choisi tant de labels différents à tant d’endroits différents, car je veux que le message aille partout et je peux chanter, je peux DJ et chanter, et faire des chansons à partir de tout. Reggaefrance, je vois Reggaefrance sur ton t-shirt, je chanterai pour ça, c’est une inspiration pour moi. Ce n’est pas parce que j’aime l’argent, la gloire et la fortune que j’ai fait autant de chansons, c’est parce le reggae élève l’âme et je chante pour élever l’âme des gens. Il y a un message sur le CD, pas de blague. Il y a un message sur le CD, écoute-le par toi-même, c’est bad, fou, dingue, malade, un amour fou, un amour énorme. Ce n’est pas parce que je veux de l’argent et tout ça, c’est parce que je veux diffuser le message à travers la foule. Des labels différents, venus de sociétés différentes, des gens différents, des endroits différents… Sur “Join Us”, ils viennent de Jamaïque, des Allemands sont venus sur “Different Things”. Nous venons pour les toucher tous, nous voulons diffuser le message partout, pour qu’il explose. Mais cette année, je travaille sur un album, et c’est notre album, à nous Higher Trod Family : “Turbulence And The Higher Trod Family”. C’est mon album pour le moment, le projet personnel sur lequel je travaille, cet album pour l’année prochaine. Donc, un énorme fire, un énorme plaisir, une énorme joie !
Tu es donc satisfait de chacun de ces albums ?
Je suis satisfait, je suis vraiment satisfait, car tu en es venu à en parler dans tes papiers, tu connais ça, je suis satisfait, car si tu ne connaissais pas, je ne serais pas satisfait. Et les chansons - je peux te le dire, car ce sont mes chansons - ce sont de bonnes chansons, jouées par de grands instrumentistes : Sly and Robbie, Axe Man, Danny Bassie, George, Fire House.
Pourquoi des chansons qui t’ont révélé, comme Think of peace ou My way to Zion n’apparaissent sur aucun de ces albums ?
Je voudrais dire que Think of peace était mon premier single, et c’était un bon single pour moi, car ça m’a assuré une reconnaissance, depuis Yard jusqu’à l’étranger. Et pourquoi il n’est sur aucun album ? C’est parce que le producteur de l’album a décidé de ne pas le mettre dessus. C’était déjà un tel single, qu’il a décidé de ne pas l’y mettre. Et il n’est sur aucun album. Tout le monde connaissait My way to Zion et tout le monde savait que c’était moi qui le chantais, tout le monde connaissait Think of peace et tout le monde savait que c’était moi qui le chantais. Donc, on voulait entendre ce que j’avais d’autre dans mon sac et on ne l’a pas pris. Personne ne m’a dit : «Oh ! Je veux entendre My way to Zion !» Non, donc on a mis un grand nombre de nouvelles chansons. Toutefois, c’est un bon producteur, Philip Fattis Burrel est un grand monsieur ! Il a produit Sizzla, Capleton, Luciano, Anthony B., Beres Hammond, Cocoa Tea, Jah Mason, Junior Kelly, Bushman…tant de gens, tu n’imagines pas… J’aurais aimé qu’ils apparaissent sur un album, mais ce n’était pas ma décision à cette époque. A cette époque, nous étions des jeunes et de petits artistes, essayant de se faire entendre et de se faire un nom. En fait, Philip savait comment on faisait un album, je ne connaissais rien à la musique, je savais juste comment chanter, et c’est lui qui a produit l’album, on ne sait donc pas pourquoi il a fait ce choix.
En même temps, tu continues à faire des singles sur tous les derniers riddims reggae et dancehall. Es-tu sûr que le dancehall soit vraiment un bon moyen pour faire passer le message que tu veux faire passer ?
Le dancehall est devenu grand en Jamaïque, et partout dans le monde. Elephant Man et tous ces gens, Sean Paul…pour ma part, je suis content pour eux, parce que le reggae et le dancehall viennent de Jamaïque, notre pays, et tout le monde est fier d’eux. Donc, je ne peux pas dénigrer ça, sous prétexte qu’ils ne chantent pas ce que je chante. Je suis positif, eux, ils parlent seulement de danse et de toutes ces conneries dans leurs chansons. Mais c’est toujours du dancehall, et si je prends un riddim dancehall, je vais chanter dessus, mais avec mon message, tout comme Sizzla et Capleton. Prendre un dancehall du ghetto et chanter dessus, ce n’est rien, c’est de la musique malgré tout, le message passe quand même. Si je pouvais faire passer le message sur de la country ou de la musique de western, sur de la musique française… Si je savais bien parler français, je chanterais en français… Si je savais faire du hip-hop, je ferais du hip-hop et je ferais passer le même message. Et le message, c’est : amour pour tous.
Est-ce que tu sais que récemment Tony Rebel a repris une chanson en français justement, qu’un français a traduite pour lui... la chanson Jah is by my side ?
En espagnol aussi, non ? C’est bien pour lui. J’essaye aussi, je vais travailler… Car j’ai déjà essayé d’apprendre l’italien, donc je vais apprendre le français et je vais apprendre l’espagnol et alors, je vais boom up la place !
Cette hyper productivité fait que beaucoup de gens te voient comme le digne successeur de Sizzla. Es-tu d’accord avec ça et en es-tu fier ?
Sizzla est un grand monsieur, je tiens à le dire. Et un bon DJ, un bon chanteur, un bon lyriciste… Donc je ne peux pas me battre contre les gens, si les gens veulent dire ça, ça me fait plaisir. Mais je compte devenir plus grand que Bob Marley ! Je ne vais pas en rester là. Quand tu viens en France par exemple, j’étais dans un magasin, en train d’acheter des vêtements, des gens m’ont dit : «D’où viens-tu ?», j’ai répondu : «De la Jamaïque», «Qu’est-ce que tu fais ici, en France, à Paris ?», «Je suis ici pour le reggae», «Oh, reggae, Bob Marley !». Ils ne connaissent pas, ils ne connaissent que Bob Marley. Je veux que les gens disent : «Oh, pourquoi es-tu ici ?», «Oh, Turbulence !». Donc, j’essaye d’atteindre le sommet et vous aussi, les gars, vous cherchez à atteindre le sommet… Ne baissez jamais, jamais, jamais les bras.
Parallèlement, tu as acquis une certaine indépendance, tu as fait beaucoup d’albums, tu fais une tournée européenne, appartiens-tu toujours au Xterminator Crew ?
Je fais partie du Xterminator Crew, oui !
Mais j’ai entendu dire, et tu en as parlé, que tu avais un projet qui s’appelle Higher Trod Music : peux-tu nous en dire plus à ce sujet ?
Higher Trod est mon groupe. C’est un bouquet d’artistes talentueux, que les producteurs ne font pas chanter sur leurs riddims, car ils ne sont pas big. Ils ne sont pas comme moi, ou Sizzla, ou Jah Mason, donc ils ne veulent pas les enregistrer, ils ne veulent pas qu’ils chantent. Je les ai donc trouvés, je les ai réunis et les voilà. Puis, je suis en train de créer mon propre label, donc ils vont pouvoir chanter sur mon album, sur mon propre projet. Alors, ils pourront avoir leur reconnaissance. Ils sont très talentueux, ils sont bad ! La plupart des artistes que tu entends ici sont des imposteurs comparés à ces artistes, c’est eux le boom ! Ils vont faire pleurer la Jamaïque, personne ne les connaît, personne ne connaît ces mecs, et ils vont mash up la Jamaïque.
Et vont-ils chanter avec toi sur scène ?
Ils ne sont pas là ce soir. C’est lui qui représente Higer Trod. Il est manager pour Higher Trod. Je lui ai demandé d’être manager. Il n’est pas DJ, mais le manager, et mon road manager actuellement, il prend soin de moi sur la route. Mais Prince Jahved, Natty Paul, Sunny Terrible, High Star, ces mecs sont vraiment doués en musique. Si tu écoutes l’album “Join Us”, plage 7, ils chantent dessus, ils chantent aussi sur l’album “The Future”, ils disent : «We are, we are the Higher Trod, dutty Babylon». C’est eux qui chantent ça, ils sont bad ! Ecoute, ils sont terribles ! Pas de plaisanterie avec eux !
Et pourquoi n’as-tu jamais, jamais fait un duo avec Sizzla, sur scène ou sur album ?
Toute chose prend du temps. Il n’y a pas de…nous sommes amis, nous sommes de bons amis, nous ne sommes pas ennemis, si c’est ce que pensent certaines personnes. Mais nous prenons seulement notre temps, nous sommes actuellement en train de travailler sur un duo. Donc, quand je rentrerai en Jamaïque, tu pourrais entendre un duo de Sizzla et Turbulence. Le problème, c’est qu’il pourrait y en avoir un chaque semaine, alors nous en parlons. La musique prend du temps.
Est-ce une forme de respect de prendre tout ce temps ?
Pas vraiment… Mais je suis occupé à faire mes projets avec mes compagnons, il est occupé à ses projets avec Judgement Yard. En tournée, on se retrouve, en Jamaïque, on ne se croise pas vraiment, car nous avons chacun nos choses à faire, mais nous sommes des frères. Donc, quand on se retrouve, ça crée des tremblements de terre, des éclairs et du tonnerre. Big up Sizzla Kalonji ! Turbulence est ici. Sizzla Kalonji a vraiment eu une grande influence sur moi quand je grandissais. Déjà quand j’allais à l’école, j’entendais Sizzla à la radio et je disais : «Quoi ? Ce mec sonne bien, trop bien !». Et à l’école, les gens disaient que je sonnais comme Sizzla. Mais quand j’étais à l’école, personne ne me parlait de ça… Et à ma grande surprise, quand j’ai rejoint Xterminator - je ne savais pas que Sizzla faisait partie d’Xterminator - j’étais donc en train de chanter dans le studio, de chanter et chanter encore, et Sizzla est entré et m’a regardé. Puis, il a dit : «Ce mec sonne comme moi, man ! Et il sonne bien !». Il s’est approché et m’a dit : «Je ne sais pas ce dont tu as besoin, mais tu es bad ! Il faut que tu viennes en tournée avec moi, ouvre les shows pour moi !». Et donc, en tournée avec Sizzla, j’ai beaucoup appris. Je l’ai regardé et j’ai vu comment il se comportait avec les gens, et j’ai appris de lui. Tout le monde a besoin de quelqu’un pour apprendre. Tu ne peux pas juste te lever et te dire journaliste, quelqu’un t’a enseigné comment devenir journaliste. Quelqu’un doit enseigner comment enseigner... Donc, j’ai appris de Sizzla, assez pour me représenter tout seul. Et maintenant je chante, je chante plus que je DJ, je chante, je chante vraiment. Je chante des chansons maintenant ; alors que je ne chantais que le refrain et que je faisais du DJ dans les couplets. Désormais, je chante tout, car je me suis rendu compte que le chant touchait plus les gens que le DJ.
Et comment est le public depuis le début de ta tournée européenne ?
Ils sont dingues ! Je n’ai jamais vu des gens aussi fous. L’Europe est l’endroit le plus fou que j’ai vu. Les gens aiment le reggae comme des dingues, follement bien. Ils aiment Turbulence, ils adorent Turbulence. En Jamaïque, ils aiment Turbulence, mais ils ne sont pas aussi fous que vous par ici les mecs. Les gens nous supportent, toutes les dates affichent complet. Ca a commencé en Suisse, puis on est allé en Allemagne, d’Allemagne en Italie, on est revenu par la France, pour retourner en Allemagne, puis encore en Italie, pour enfin rentrer en Jamaïque. Nickel !
Mis à part Higher Trod, as-tu des projets pour l’avenir ou un big up à passer ?
Plus de singles ! Plus de singles, plus de prospérité, et juste plus de fire.
Merci beaucoup.
Merci à vous Reggaefrance, pour m’avoir donner votre temps, pour m’avoir donner le plaisir de parler pour votre site internet. Alors, je voudrais que vous écriviez que George Bush doit arrêter la guerre, arrêter d’être une personne aussi diabolique, car il faut qu’il arrête avec ses bombes nucléaires, alors que les gens manquent de nourriture. Si tu prenais l’argent des bombes nucléaires et que tu achetais de la nourriture, que tu étais bon ! Des milliards de dollars pour une bombe nucléaire… Prends les milliards et achète de la nourriture pour les gens qui souffrent, car je viens de Jamaïque et je sais ce que c’est de souffrir. Mon quartier s’appelle Hungry Town. A Hungry Town les gens souffrent. En France, des gens souffrent, mais ils mangent. Ils mangent et ils disent qu’ils souffrent : «Ohhh, je souffe tous les jours ! », et ils mangent une fois par jour. Là où je suis né, les gens ne mangent pas pendant des semaines, et c’est ça la vraie souffrance, c’est la pire que j’ai jamais vue. Les Ethiopiens sont mal, ils souffrent beaucoup. Dites à George Bush de prendre l’argent des bombes nucléaires et de le mettre dans la nourriture si c’est un chef de gouvernement, si c’est un homme roi. La reine Elizabeth, le pape Jean Paul, tous ces gens, qu’ils prennent l’argent et nourrissent les pauvres, et la nation ira mieux. Parce que si tu as de la nourriture d’un côté et un flingue de l’autre, qu’est-ce que tu crois que les gens vont choisir ? La nourriture ! Parce qu’ils ne peuvent pas manger le flingue, pourquoi ils auraient un flingue ? Alors, ils voient le flingue et ils se disent : «Oh ! Le flingue peut m’apporter de la nourritture.», alors ils y vont et volent quelqu’un. George Bush est un idiot, que le feu s’abatte sur lui. Blaaaze !
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