INTERVIEW
Propos recueillis par : Benoit Georges
Photos : Karl Joseph
le dimanche 15 février 2004 - 12 492 vues
Bien connu des amateurs de sound systems parisiens, le DJ au style inimitable nous reçoit tranquillement et fait le point pour Reggaefrance.com sur ses débuts, ses influences et sa présence sur la scène dancehall.
Reggaefrance / Salut Loo Ranks. Est-ce que tu pourrais nous parler d’abord de tes débuts musicaux, comment tu as découvert le reggae ? / J’ai découvert le reggae justement par hasard, avec des amis. Ils écoutaient à l’époque Nova avec Zeljko. Moi, j’ai été pris par la vibe de l’époque, le dub, le rub a dub. J’ai commencé par être MC, animer un peu dans les fêtes chez les potes. Ca a commencé comme ça et ensuite je me suis un peu appliqué en écrivant des textes et en commençant aussi à interpréter des textes de Légitime Processus au début.
Quels sont les artistes français ou étrangers qui t’ont donné envie de prendre le mic ? Le premier c’était Nardo Ranks, après Shabba Ranks, Cobra, beaucoup de Ninjaman, de Yellowman à cette époque, de Major Mackerel et tous ceux qui ont suivi ensuite.
Par rapport à la scène rap, on te définit souvent comme un artiste ragga/hiphop. En réalité, tu as commencé sur des instrus plutôt dancehall ou plutôt rap ? Franchement à l’époque, j’étais plus influencé par le rap hardcore : Team Dog et compagnie. Il y avait Boogie Down Production, il y avait Public Enemy, il y avait Hijack, Pete Rock et & CL Smooth. Jamalski est arrivé avec la vibe BDP et c’est la que je me suis dit que le ragga/hiphop, c’est vraiment quelque chose d’ambiançant.
Le fait d’avoir une voix de basse et une voix de tête qui se mêlent, ça t’est venu comment ? Ben ça, c’est un coup de pied au cul. Je chantais au début et on me disait : « Loo, tu peux te dépasser, essayes de surprendre, de te dépasser.» On m’a mis un coup de pied au cul et j’ai sorti une voix comme ça. On m’a dis: « Gardes ça, bouges pas.» Après j’ai exploité le truc au maximum et quand j’écoutais Général Levy, quand j’écoutais les premiers Bounty, les Merciless les trucs comme ça, je me suis dis : « ah ouais, les mecs ils modulent… » J’ai essayé d’imiter ces mecs-là et au final j’ai essayé de trouver mon style. Et de fil en aiguille, c’est arrivé à Loo Ranks avec des voix aiguës, basses, médium, tout ce que tu veux, chant…
As-tu mis du temps à maîtriser ce style ? Ouais, parce qu’au début j’avais une voix plus robotique, plus métal et après j’ai commencé à adoucir le truc. Et on me disait souvent : « j’aime ton style, on dirait qu’il y a plusieurs mec. » J’ai joué avec ça et ça me faisait rire à chaque fois qu’on me disait ça. Et encore aujourd’hui les gens sont égarés, donc il n’y a pas de carbon copy, la source elle vient d’ici, de moi, de ma vibe, de ce que je dégage, de ce que je ressens, de ce que je peux percevoir autour de moi et de ce que j’écoute et je suis beaucoup influencé par Bounty en fait. J’écoutais Bounty et c‘est quelqu’un que je représente au maximum et que je met à son piédestal.
T’as fait un peu toutes les étapes de l’underground (mix-tapes, singles, 45t). As-tu des projets pour quelque chose de plus construit, plus officiel, comme un album ? J’ai un projet d’album que je suis en train de mettre en place. Je suis en édition donc je n’ai pas vraiment de moyens pour pouvoir produire, pour rentrer en studio, faire mes maquettes dans de bonnes conditions. Avec ma signature chez Delabel, au début c’était prévu de sortir un album, de faire plein de choses et puis au final ils m’ont mis dans un tiroir et j’ai galèré avec différents compositeurs avec lesquels je devais collaborer pour l’album. Au final, je me suis retrouvé en solo, chez Delabel, pour l’instant jusqu’à mai 2004 et ensuite au coup par coup je rentre en studio, j’appelle les gens avec qui j’aimerais faire des featurings, je concrétise certains morceaux, il y a d’autres morceaux en suspend et puis pour cette année je pense que ça sera d’actualité.
Le public parisien te connaît bien vu que tu as fait pas mal de dates à Paris… J’ai fait que ça ! Je tournais avec Légitime Processus et en parallèle avec Spartak Dub Commando, un groupe de musiciens, des anciens comme Jabar qui jouaient avec Puppa Leslie. Et j’ai roulé ma bosse avec les dates, les concerts, les concerts gratuits, payés au lance pierre…J’ai tourné un peu et c’est vrai que le public hip hop me connaît et le public dancehall me connaît aussi, je suis bien avec tout le monde.
Et en province comment ca se passe ? En province ça commence. J’ai eu une période où je tournais beaucoup sur Paris, même les gens en avaient marre de me voir ! Et puis une petite baisse, un passage à vide, une traversé du désert… Et puis après avec Azrock, on a commencé a collaboré. Il aime bien ce que je fais, j’aime bien ce qu’il fait, on a fait un morceau ensemble, il m’invite sur ses plans, je l’invite sur mes plans. On a commencé à faire une alliance pour pouvoir faire des choses concrètes ensemble : des tournées, des morceaux. On fait un échange de bons procédés.
Aux Antilles ou à l’étranger ? A l’étranger, en Angleterre quand j’étais avec Légitime, en Turquie, en Espagne. Mais pas aux Antilles. Aux Antilles j’y ai joué mais c’était en 95, c’était à l’époque où Beenie Man était big, il chantait Gal Dem Sugar, il y avait le Playground (en fait c’était en 98 ndr). Mais à l’époque, c’était local, je chantais avec des amis à moi qui sont « local ». Ca commençait à l’époque, il y avait le morceau de Buju Banton et Wayne Wonder (il chante « Bonafide love » sur le riddim Movie star). En Guadeloupe et en Martinique, tout le monde voulait faire du Buju et du Wayne Wonder. Moi, je te le dis franchement : en 1995 j’imitais Mory. Quand je suis arrivé en Guadeloupe, en France je chantais que du Mory. A une époque j’étais acteur, donc quand je voyais Sundiata, Mory devant moi je me disais : « moi, j’arriverais à renverser la vapeur, je peux faire jump up aussi, comme eux ils font et me mettre à leur place. »
Donc je faisais du « manamanama » (il imite le fast style). Ca me motivait, je voyais que les gens étaient d’accord, donc tout le monde est d’accord, donc voilà je le fais. C’est autodidacte tu vois, de moi-même j’ai essayé de me mettre à leur niveau. Et Mory, je le dis franchement c’est lui qui m’a inspiré dans tout ce qui est technique. Et après tout ce qui est texture de voix c’est les Jamaïcains.
Et est-ce que tu t’intéresses aux clashs en France ? En France non, en Jamaïque ouais, parce que c’est de là que tout part. Maintenant en France c’est des faux clash : faut pas s’insulter, faut pas ci, faut pas ça, on est pote mais bon...
« Va niquer ta mère. », « va lécher la ch... à ta mère », les insultes… Tu sais que c’est un clash, un battle donc tu vois c’est chaud. Moi j’ai toujours écouté des clashs en cassette quand j’étais jeune, à l’époque les Kilamanjaro, les Black Kat c’était violent, même encore aujourd’hui. Mais en France les clashs : connaît pas.
Est-ce que tu fais beaucoup de dubplates ? Ca m’arrive, c’est au coup par coup encore. C’est selon la demande, là je suis parti à Toulouse j’ai fais des dubplates pendant toute une nuit. A Lille aussi. A paris, comme ils ont tout sous la main… Ils ont leurs chanteurs, leur crew. Moi j’aime pas appeler un mec et lui dire : « Eh tu veux des dubplates ». Sur la province je fais beaucoup de dubplates, mais à Paris pas beaucoup. Bon après, j’ai pas de combines, moi je fais des dubplates même si tu viens d’arriver, ton premier sound system, je te fais des dubplates, tu kiffes ce que je fais, je te donne ce que t’as à cutter. Mais moi je me donne, je fais le truc à fond, je me débarrasse pas du truc.
Par rapport aux dubplates, tu trouves que c’est important pour l’exposition du dancehall français, pour que les gens connaissent de nouveaux artistes, de nouveaux lyrics ? Ouais mais il n'y a pas beaucoup de soirée… Et apparemment les gens ont peur de jouer leurs dubplates. On dirait qu’ils attendent le jour J, le clash de l’année pour jouer leurs dubplates. Bon déjà il y a un boycottage de salle sur Paris pour jouer du reggae, et franchement à part aux championnat de France, je vois pas. Il y a des trucs qui se font underground, dans les sous sol, mais c’est pas grand public. Tout le monde connaît Sean Paul mais quand tu dis « on va à un sound system », c’est toujours l’aspect négatif, glauque. Mais c’est parce nous on anticipe pas assez. Il y a tellement de riddims qui sortent en Jamaïque Ici on est obligé de promotionner un truc, on est obligé de mettre 3 ou 4 mois pour que le truc arrive à son zénith. 4 mois encore c’est juste, il faut avoir les moyens, faut connaître untel, untel, faut passer sur telle radio. Si tout les mois il y avait une série qui sort… comme le Savage. Je pense qu’à partir du Savage ça a commencé vraiment, le dancehall en France et aux Antilles, à faire son bonhomme de chemin, dans les boites et compagnies. Mais faut pas que ça reste ghettoïsé, faut que tout le monde profite. Les séries qu’on entend justement, qu’on les voit à la télé ! Comme ça avec l’audiovisuel les gens savent qui est qui, qui fait quoi.
Pour conclure, peux tu nous parler de tes projets ? J’ai mon album que je suis en train de finir. Je collabore avec Soha pour des combinaisons parce qu’il faut aussi des femmes dans la dancehall, qui s’imposent, que ça reste pas un truc de macho, entre males dominants. Que tout le monde y trouve son compte. Je ne me vante pas, mais ça fait longtemps que je suis dans le sillon. Donc je veux faire profiter tous les gens qui me respectent, même les gens qui me respectent pas… J’ai besoin de mes ennemis, j’ai besoin de mes amis. Faut que tout le monde aille dans le même sens, c’est le mot final. Il y a des moyens en France, il y a de l’oseille. Je pense qu’à Paris c’est plus : « on a tout ce qu’on veut, on a tout sous la main.» Alors qu’en province ils galèrent pour avoir des trucs et ils sont plus chauds et plus motivés que sur Paris. Alors que tout part de Paris…
Mon projet d’avenir maintenant c’est mon album et tout ce qui s’en suit, signer en maison de disque…Enfin, signer en maison de disque c’est pas non plus mon projet d’avenir ! Mais bon il faut bien des gens qui puissent investir sur ce que tu fais et qui croient en toi. J’ai déjà connu l’indépendant avec Légitime...
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