INTERVIEW
Propos recueillis par : Benoit Georges
le mardi 15 juin 2004 - 17 353 vues
A l’occasion de la sortie de sa mix-tape, le 21 avril, nous avons rencontré le redoutable DJ vétéran Daddy Yod, qui nous a offert pour l'occasion deux titres inédits extraits de son prochain album à paraître : « Fraîche ».
Précurseur du raggamuffin en France avec le sound Youthman Unity (Pablo Master, Supa John, Mickey Mosman…) dans les années 80, Daddy Yod est aujourd’hui « le survivant » le plus prolifique de cette période avec six albums. En 2004, le King est toujours actif avec un album en préparation et une mixtape qui viens tout juste d'arriver dans les bacs.
Reggaefrance / Salut Daddy Yod, peux-tu te présenter ? / Pour ceux qui ne me connaissent pas, je suis né sous le nom de Sténard Saint Félix à Gwada. Vers l’age de 9 ans, je suis rentré en France avec ma mère pour rejoindre mon père. On était hébergé dans le 93. En 2004 tu vois, on est toujours dans le 93. Après j’ai rencontré la philosophie rasta, la musique reggae à travers des gens tels que Bob Marley, Peter Tosh. Et avec Yellowman, j’ai découvert le rub a dub et c’est ce qui m’a donné envie de tchatcher.
Quelles étaient les premières soirées que tu as fréquentées sur Paris à cette époque là ? Disons que j’ai fréquenté les boites de nuit très tôt. C’était plutôt pour aller swinguer, l’époque disco… Mais après les soirées dans le reggae c’était à quai de la gare, avec des gens tels que Pablo Master, Supa John. A l’époque on avait un sound qui s’appelait Youthman Unity, il y avait Murphy, Mossman… Il y avait des groupes aussi : Next Soweto, Savane… Les premiers sound systems : Youthman Unity, Jah Wisedom, King Dragon, et il y en a d’autres que j’ai oublié peut–être.
Le premier morceau que tu as enregistré ça s’est passé comment ? Le premier morceau que j’ai enregistré ça s’appelait « Elle n’est pas prête », c’est un maxi vinyl. Le producteur avait déjà enregistré Pablo Master « En a, en i, en o », après il avait enregistré Mosman « La cocaïne c’est le chemin de la mort » et après il m’a enregistré, c’était mon premier truc. Après il y a eu Rapattitude et après les albums « Redoutable », « Le king »…
Par rapport à Rapattitude, ça c’est fait comment ? Parce que ce disque–là avec du recul, c’est considéré souvent comme un disque légendaire pour pas mal de gens qui ont commencé à écouter du rap ou du reggae avec ce disque. Ca s’est fait simple. Bon on était là, il y avait les rappeurs d’un coté, nous qui venions du reggae de l’autre coté. Il y a eu un producteur qui nous connaissait un peu qui as eu une idée, il nous a réuni et comme on ne demandait que ça, de s’exprimer et d’être écouté… Il nous a amené le projet, ça nous a tous emballé, on s’est retrouvé là-dedans et il se trouve qu’aujourd’hui c’est devenu un classique.
Aujourd’hui en 2004, tu es l’un des plus anciens toasters en activité, tu fais partie d’une poignée de vétérans de la scène française. Avec le recul comment tu vois ces 20 ans de scène française dans le ragga ? Comment tu pourrais les décrire ? Ca a bien mûri. On a bien eu raison de croire dans ce truc-là et de planter cette graine qui aujourd’hui est devenue un arbre. A l’époque il fallait faire du rock ou du rap, nous on a eu raison de toujours croire dans notre délire et de le faire avec les moyens qu’on avait, qui étaient les sound systems, les dubplates… Aujourd’hui c’est devenu un gros business. Personnellement ça me fait plaisir de voir ça. Maintenant ce qui serait kiffant, c’est que certains disques ressortent, comme ça se passe souvent. Des fois c’est trop tôt, les gens arrivent trop tôt. Il y a peut-être des morceaux de l’époque qui devraient ressortir.
Tu parlais des dubplates, est-ce qu’aujourd’hui tu fais encore souvent des dubplates ? Est-ce que c’est important pour toi d’en faire ? J’en fais même plus. Avant on ne faisait pas de dubplates, aujourd’hui les gens sont prêts pour ça. Aujourd’hui j’enregistre pleins de dubplates : j’en ai enregistré pour le championnat, j’enregistre régulièrement. Tous ça, ça fait partie du mouvement. Mais avant on n’enregistrait pas autant de dubplates, donc ça veut dire que ça a vraiment pris. La graine que les jamaïcains ont planté c’est devenue depuis vraiment international, ça se fait vraiment avec les traditions, ça suit.
Aujourd’hui quels sont tes projets ? Aujourd’hui j’ai une mixtape qui doit sortir pour l’été. J’ai un album inédit aussi qu’on est en train de finir pour la rentrée, il doit y avoir un single pour l’annoncer à la rentrée. Je fais quelques scènes comme ça en attendant la rentrée.
C’est autoproduit ces projets ? La mixtape et l’album sont autoproduits, ouais.
Pourquoi as-tu eu cette idée de faire une mixtape ? C’est pas parce qu’on a un travail bien clair pour les médias (qu’il ne faut pas le faire). De toute manière, il y a du piratage partout. Donc pirater pour pirater je préfère donner une mixtape aux gens avec des trucs qu’ils vont entendre mieux travaillés peut-être sur l’album parce que ce sera sur des musiques originales. C’est bien de donner un avant-goût aux gens à travers les mixtapes de ce qui va arriver et de faire connaître d’autres artistes qui ne sont pas connus. Justement c’est ça le but du dancehall : on ne va pas attendre qu’ils ouvrent une maison de disques. Si moi j’ai envie de faire connaître quelqu’un comme les Kouzines ou quelqu’un comme Admiral Jack Nelson et Lil Jo, si la maison de disques, pour une raison ou une autre, ça ne rentre pas dans leur truc et bien ça rentre dans la mixtape et après le public choisit. Il y a Internet, il y a les mixtapes, il y a 10 000 trucs pour faire vivre la dancehall, le raggamuffin sans passer par des espèces de gens qui sont là, qui fabriquent des choses…
Pour conclure par rapport à ce que tu as pu faire avec les clips, « Faut pas taper la doudou » et tout… est-ce que tu pense que le meilleur est à venir ou que ta meilleure période est déjà passée ? Ca dépend comment on le voit. Personnellement je sais qu’à l’époque c’était beaucoup d’expérience, aujourd’hui je sais exactement ce que je veux, où je vais. Je sais que je chante mieux qu’avant. Maintenant peut-être que les professionnels, certains gens qui sont là soit disant pour faire la pluie et le beau temps pensent que c’est avant que j’étais prêt. Non, avant j’étais un bébé qui apprenait à marcher qui découvrait le business, qui apprenait à chanter dans les tonalités. Maintenant il se trouve que des fois tu tombes au bon moment sur les bonnes personnes, les bons trucs. Au début on était prêt pour la dancehall, mais les gens n’étaient pas prêts, tous les professionnels n’étaient pas prêts. Aujourd’hui ils sont prêts. Mais la musique, partout, plus ça vieilli, plus le vin vieilli, plus c’est bon. Ce n’est pas plus c’est jeune c’est une illusion. Et c’est pour ça peut-être qu’ils ne veulent même plus signer des trucs, parce que c’est trop jeune et après ça leur échappe quand il y a les caprices des jeunes, ils ne contrôlent plus. Les choses mûrissent. Si Bob était là sa musique serait balèze mais peut-être que les gens ne seraient pas prêts pour ce qu’il ferait aujourd’hui.
Enfin, as-tu un message à faire passer aux lecteurs du site et aux autres ? Je dis big up à votre site car ça permet encore une fois de faire en sorte que le reggae soit connu que ce soit pas filtré. Je big up tous les artistes qui sont là, qui y croient.
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