INTERVIEW
Propos recueillis par : Sébastien Jobart
le samedi 15 mai 2004 - 11 202 vues
Après quatre albums et plus de dix ans de vagabondage sur les routes de France, K2R Riddim s’est installé parmi les formations incontournables du reggae français, revendiquant une musique à la fois festive et engagée. Interview à deux voix, avec Thibault (guitare) et Loïc (trombone- chant).
Reggaefrance / Comment est né K2R Riddim ? / Thibault : K2R Riddim est né en 1991. On est encore 3 du noyau du groupe. C’est 3 copains, au collège, qui sont fans de ska, des Specials, de reggae. On a découvert le ska jamaïcain et le reggae des origines. On a décidé de s’acheter des instruments et de monter un groupe de ska et de reggae. On a mis 2-3 ans avant de savoir faire tourner les choses et de maîtriser un minimum les instruments. Petit à petit, la famille s’est agrandie, la formation actuelle n’a pas bougée depuis 8 ans.
Pourquoi le nom de K2R Riddim ? Loïc : C’est vraiment anecdotique. Un jour, on a fait un concert pour l’anniversaire d’une amie dans une salle. C’était un peu comme un tremplin, il y avait plein de groupes pas très connus. Et on nous a demandé un nom. On avait un vieux pote, plus âgé, qui nous faisait écouter plein de sons, et qu’on écoutait avec attention. Il nous a dit que si un jour il devait monter un groupe, il l’appellerait K2R, pour différentes raisons : le ska, le reggae, le côté décapant de la chose. Riddim, c’est pour l’appartenance aux musiques jamaïcaines. Au moment où on a voulu changer, les gens qui commençaient à venir nous voir nous en ont dissuadé, parce que c’est délirant et que ça se retient bien.
Thibault : Ca ne dénote pas une couleur et un style de musique, ça laisse un peu d’interrogation chez les gens. Le « Riddim » est apparu avec la sortie du 1er album « Carnet de Roots ». On a demandé à la multinationale qui gère le produit détachant si ça ne les dérangeait pas, même si on était auto-produits. Ils ont bien aimé notre projet, mais ils étaient contre. On s’est pas pris la tête et on a rajouté « riddim ». On a déposé le nom à l’INPI et la société Johnson, pour ne pas la citer, n’avait même pas déposé le nom !
La scène, c’est ce qu’il y a de plus important pour vous ? Thibault : On est vraiment un groupe de scène. C’est au travers de ça qu’on s’est émancipé, qu’on a grandit et qu’on s’est formé musicalement. Ca fait plus de dix ans qu’on fait de la scène, depuis les MJC, les pubs, jusqu’aux gros festivals. Mais pour le dernier album, on a pour la première fois réalisé un vrai travail de studio.
Vous y passez beaucoup de temps ? Thibault : Pour enregistrer le dernier album, on a mis entre trois semaines et un mois.
Loïc : Certains morceaux avaient été testés sur scène, d’autres non. Sur cet album, on a fait un gros travail en studio, notamment avec le réalisateur artistique, Tyrone Downie, ancien Wailer. De la scène, on en fait tous depuis longtemps. Ca nous permet d’avoir l’énergie directe avec le public. C’est vraiment positif, on ne revit jamais la même chose à chaque concert. On aime vraiment voir les gens sauter en l’air, s’éclater, partir en ayant bien sué. En studio, tu peux enregistrer paisiblement pour envoyer un bon groove, se détendre.
Thibault : Pour la première fois de notre vie, on a fait une vraie pré-production. On s’est retrouvé avec 40 versions. Tyrone Downie nous a aidé à choisir, à trancher, à définir les directions. On a un peu plus compris, grâce à lui, ce qu’est un réel travail de studio. Par exemple, je suis le seul guitariste du groupe, et je me suis permit de m’enregistrer comme s’il y avait trois guitaristes sur le morceau. C’est un réel travail, mais aussi un plaisir. Les gens qui écouteront « Decaphonic » retrouveront du K2R dans la diversité, on a gardé notre identité. Mais il y a aussi un côté moins live, plus studio, avec un son plus posé. Tout comme un live de Marley est complètement différent d’un album studio.
Les collaborations sont multiples : Tyrone Downie, Karl Zéro, Manu de Tryo… Loïc : On a travaillé avec Tyrone Downie pour avoir la touche d’un professionnel, et essayer de joindre toutes les distorsions à l’intérieur du groupe. Sur certains morceaux, on avait plusieurs optiques, plusieurs hypothèses de directions possibles. Il a permit de jongler avec tout ça et de nous proposer des chansons sans détourner l’identité de K2R, ce qui nous a énormément apporté. L’idée, c’était d’avoir non seulement la patte d’un très bon musicien, mais surtout quelqu’un qui a une super culture reggae, capable de nous remettre sur la route.
Thibault : Pour le morceau Clash Infos, qui est ironique, on voulait marquer clairement le second degré. On a pensé à un hypothétique présentateur télé et journaliste, qui présente le morceau, pour le transformer en une espèce d’interview. Tyrone Downie nous a proposé de nous mettre en relation avec Karl Zéro, qui préparait un album avec les Wailers. On l’a pris au mot et deux jours plus tard, Karl Zéro est venu gracieusement au studio. En deux heures c’était bouclé. C’était un gros coup de pouce de leur part. A côté de ça, Manu de Tryo est venu jouer de la guitare sur un morceau. C’est un très grand guitariste, et ça nous faisait plaisir de l’inviter. On a également eu une section cordes, un clarinettiste et un aubois sur le morceau de dub. Phil, le saxophoniste de Mister Gang, est venu sur certains morceaux.
Loïc : On avait plein d’autres idées de connections, mais entre le nombre de chanteurs déjà présents dans le groupe, et toutes les idées qu’on avait, on n’a pas pu réunir tous les projets. Ce sera pour un autre album.
Sur l’album, les textes sont très engagés, peut-être plus que sur les précédents… Loïc : K2R a toujours eu un message revendicatif, un message qui prête à faire voyager les gens et des morceaux instrumentaux qui sont là pour le plaisir de l’oreille et pour l’évasion. Le côté revendicatif était plus porté sur le chant de Ange et Justin. Sur cet album-là, on a voulu toucher les gens avec des textes et faire passer des messages d’une manière différente de ce qu’on avait fait auparavant. Il y a des manières de faire passer les message avec une connotation engagée ou spirituelle, ce que savent très bien faire Justin et Ange. On a voulu faire passer des messages différemment avec un jeu de texte, d’écriture. C’est ce que donne des morceaux comme Clash Infos. D’être engagé, pour nous c’est important. Si on a la possibilité de s’adresser à un public, il ne faut pas oublier qu’il y a des choses à faire bouger dans le monde. On ne prétend pas y arriver, mais on fait passer nos messages.
Thibault : Par contre, j’ai pas l’impression qu’il y en ait plus que sur le précédents albums. C’est une suite logique. Sur « Carnet de Roots », on a des textes comme La discrimination, ou La Gangrène sur « Appel d’R ».
Loïc : Les messages ont toujours été là, mais sur « Decaphonic » ils sont portés d’une manière différente. On a une identité, mais on se doit aussi de renouveler notre façon de dire les choses.
Thibault : Et puis, le reggae, c’est une rebel music ! (rires).
L’actuel gouvernement est-il une source d’inspiration ? Par exemple le mouvement des intermittents du spectacle ? Loïc : On est complètement impliqués, donc on soutient forcément le mouvement des intermittents. Sans rentrer dans les détails, on essaye de toucher à un statut qui a permit de donner au pays un éventail, une richesse culturelle. Ca ne le tue pas encore, mais beaucoup de gens, nous y compris, sont maintenant en galère. On commence à priver les gens de possibilités qui, en France, font évoluer les choses…
Thibault : … et qui permettent de se développer indépendamment des majors, de tous les circuits déjà tracés.
Loïc : Ce qui est flippant, c’est qu’on se dit que en commençant comme ça, ils risquent de continuer encore plus fort.
Thibault : On va vers une culture complètement formatée. On n’aura plus le droit, car plus la possibilité, de développer des carrières artistiques indépendamment des grosses majors ou des Star Ac et compagnie. Ce n’est pas seulement la musique qui est en jeu, il y a le théâtre, les techniciens… Pleins de choses vont disparaître. On pourra rayer tous les festivals off : que ce soit à Avignon pour le théâtre ou dans n’importe quel festival musical, il y a des intermittents ou des gens qui essayent de le devenir. Et ces gens font évoluer et avancer la culture en France. Ils veulent formater tout ça, faire de nous des bons petits moutons.
Quelle est votre opinion sur la scène française ? On a l’impression que peu de groupes français ont su profiter de l’engouement autour du reggae il y a 4-5 ans pour s’imposer durablement… Loïc : J’entend des gens dirent qu’on est passés à une grosse programmation rock, des trucs comme ça. C’est au bon vouloir du discours qui est transmit. Je pense que ce n’est pas l’avis du public. Même au moment où il y a eu un engouement, ce n’était pas facile de faire sa place, et ça ne l’est toujours pas. Je pense qu’il y a eu un intérêt des majors à avoir leur groupe de reggae. Les choses se font en cycle. Le reggae a toujours existé, il existe encore, il fait énormément bouger les gens en live. L’industrie du disque a pris une énorme claque aussi. Il y a un décalage entre le choix du public et le choix personnel de certains programmateurs ou disquaires qui fait que les choses tendent vers ça. Pleins de groupes ont réussi à percer et à rester dans le circuit parce qu’ils font les choses avec le cœur, parce que c’est sincère. Pour moi, il y a encore énormément de talents sur le circuit qui ne sont pas encore assez connus, faute d’un soutien des maisons de disques.
Thibault : Dans l’underground le reggae n’a jamais bougé depuis le début des années 80. Ne serait-ce que sur Paris, les communautés africaines et antillaises ont beaucoup fait pour le reggae. A côté de ça, il y a certains gars qui montrent que le reggae peut tenir tête à la variété en termes de chiffres. Tryo, par exemple, sont considérés ou non comme un groupe de reggae selon les puristes, mais ils font partie de la grande famille du reggae : ils en sont à 270.000 albums vendus. Le reggae est vite pris comme le cliché avec le soleil la plage, les cocotiers. Pris sous cet angle, ça fonctionne un été et c’est tout. Le reggae n’est pas mort, il y a plein de groupes qu’on ne voit pas forcément sur les chaînes nationales ou sur les radios. Lokos sont dans la place depuis des années, nos potes Orange Street sont toujours là aussi…
Le reggae ne s’est pas installé au top pour y rester définitivement, mais ces « pics » l’ont installé un peu plus dans le paysage musical français. C’est quand même une victoire du reggae. Quand on allume la télé, qu’est-ce qu’on entend ? La plupart des pubs ont des riddims reggae pour vendre du savon ou autre. C’est vraiment une musique qui s’est implantée. Et l’underground est encore là.
Après 4 albums et plus de 10 ans d’existence, êtes- vous arrivés au reggae qui vous plaît, ou la formule peut encore évoluer ? Thibault : On n’a rien de prédéfini. Tout est évolutif.
Loïc : Après c’est personnel. Moi, il y a plein de choses que je n’ai pas concrétisées sur ces albums, et ça me donne plein d’inspiration pour les prochains. Des gens, qui nous ont écrit ou vus après des concerts, nous ont dit qu’on leur avait donné la patate, que c’était un moment de leur vie où ils n’avaient pas la pêche, mais qu’ils étaient repartis du concert avec le smile. Si on a réussi à partager ça, je suis content. D’une manière plus personnelle, j’ai rencontré des gens que j’avais envie de rencontrer, artistes ou autres. Musicalement, l’objectif ça serait de faire pleins de connections. On avait une idée pour l’album, de faire un morceau et de partager les couplets entre un chanteur allemand, Dr Ring Ding, un chanteur japonais, et un chanteur malgache, Abdou Day. Ca ne s’est pas fait par manque de temps, mais on espère que ces projets se concrétiserons. On a également un projet de maxi, où K2R ferait les versions musicales, et des chanteurs, rappeurs, ou conteurs viendraient exprimer leur point de vue sur le problème du SIDA en Afrique. L’objectif serait de récolter des fonds, et de sensibiliser les gens sur le fait qu’une logique économique crée un embargo sur des médicaments génériques là-bas. Il y a plein de choses qu’on aimerait faire bouger.
Thibault : On a tellement de projets qu’on ne peut pas avoir un sentiment d’aboutissement. C’est comme les sportifs, ils sont jamais satisfaits ! On est satisfait dans le sens où on a le sentiment de progresser musicalement. On s’en rend compte et ça fait plaisir. On a aussi un DVD qui va sortir bientôt. Pendant 2 ans, des gens nous ont suivis sur les concerts, la pré-production de l’album, les prises de son en studio…
Pensez-vous à des projets individuels ? Thibault : On y pense tous...
Loïc : La priorité, c’est le groupe et les gens avec qui je joue. Pour moi c’est indissociable...
Thibault : On a encore du chemin à faire ensemble…
Loïc : On est sollicité les uns et les autres pour des sessions d’enregistrement ou partager des scènes…
Thibault : Loïc est déjà allé chanter avec Lokos, il a enregistré des cuivres pour Mister Gang ou Orange Street. Pour des projets concrets personnels, je sais que Dorothée aimerait bien, moi aussi, et j’imagine que tous les autres aussi, forcément… Là on a un projet tous ensemble, on a invité sur scène Lord Bitume de Lokos et Timike de Mister Gang. On peut se permettre ça parce qu’on a deux de nos chanteurs, Ange et Justin, qui nous ont quittés, qui en ont eu marre de faire de la route. On leur souhaite bonne chance dans leurs projets personnels. Nous on continue notre bout de chemin, comme on l’a toujours fait, avec la vibe.
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