Il n’a qu’une mixtape et deux EP à son actif mais Randy Valentine s’est déjà signalé comme un artiste à surveiller. Son nouvel EP, "Still Pushing" (lire notre chronique), sorti en mai 2015, ne fait que confirmer tout le bien qu’on pense de lui.
Issu de la scène londonienne, Randy Valentine sort une mixtape en 2013 ("Bring Back The Love") puis un premier EP, "Break The Chain", l’année suivante. Le grand saut pour celui qui était d’abord producteur, puis compositeur avant de se lancer derrière le micro. Un choix payant puisqu’il montre des qualités de chanteur indéniables mais aussi une très bonne plume. Ainsi armé, Randy Valentine touche avec brio à plusieurs sous-genres du reggae : lover’s rock, new-roots, dancehall… Dans son deuxième EP "Still Pushing" produit par Joe Ariwa (le rejeton de Mad Professor), c’est surtout un son roots et dub qu’il aborde.
Il était temps de faire les présentations.
Reggaefrance / Pourquoi as-tu appelé ton nouvel EP "Still Pushing" ? Randy Valentine / C’est tout simplement pour la raison évidente que j’évolue dans ma carrière musicale et que je suis toujours en train de pousser les « high-brations », mon produit et ma musique…
Qu’est-ce qui t’as amené à travailler avec Joe Ariwa pour ce nouveau projet ? Nous sommes amis depuis de très nombreuses années et nous avons toujours parlé de monter un projet ensemble un jour. Et là où j’en suis actuellement, en tant que personne et en tant qu’artiste, je pense qu’il y a beaucoup de ce que je ressens que je peux exprimer au travers du dub et du roots & culture. Donc je me suis dit que c’était le moment idéal pour retourner chez mon ancien propriétaire Mad Professor et réaliser ce projet de longue date dans les studios d’Ariwa Records.
En fait, Mad Professor était mon proprio quand j’étais plus jeune et que j’avais monté un petit studio tout près du sien. A l’époque je ne connaissais pas grand-chose de la musique dub. Et quand je suis rentré la première fois dans son studio, j’ai été très impressionné par les lieux. Surtout quand on pense au bric à brac de matériel que nous avions dans notre petit studio. Je ne savais pas grand-chose de lui, juste qu’il s’appelait Mr Fraser et que c’était à lui qu’on payait notre loyer. Je me suis rendu compte de qui il était et j’ai aussi fait la connaissance de Joe à cette époque. J’ai donc décidé d’étudier et de m’instruire quelque peu sur leur musique, parce que quand j’étais jeune, en Jamaïque, je n’ai jamais été mis en contact avec ce genre de musique. Donc entre ces premières rencontres et le travail que nous avons fait ensemble cette année, je pense qu’il y a eu tout un cheminement et une évolution personnelle. J’étais mûr pour ce projet.
On t’a découvert avec la mixtape “Bring Back The Love”. Est-ce que tu étais déjà impliqué dans le milieu reggae avant cette mixtape ? Non, pas réellement. Avant j’étais DJ. Je n’étais pas du tout connu dans la scène reggae mais j’ai toujours été un grand fan de cette musique. J’étais un outsider. Je fais de la musique depuis longtemps mais je n’étais pas dans le reggae. Mais quand je m’y suis mis, tout est venu de manière très naturelle, parce que l’influence du reggae a toujours été forte en moi, et dans les styles de musique que je jouais.
C’est bien de frimer au sujet de Major Lazer, mais c’est mieux de rester concentré sur notre propre mission.
Est-ce que tu étais chanteur également avant? Tu enregistrais ? Oui, j’ai aussi chanté à l’époque. Mais surtout dans des styles néo-soul, acoustique ou dans le hip-hop. Notre label faisait un peu de tout. C’est pour cela que nous l’avions appelé JOAT, Jack Of All Trades (« homme à tout faire » ou « touche-à-tout », ndlr).
Et maintenant tu es impliqué à 100% dans le reggae ? Oui, on peut dire cela. Mais je vais surprendre avec des nouvelles productions à sortir. Parce qu’il va y avoir une évolution…
En parlant de voyage au travers des styles musicaux, tu as tout récemment enregistré un morceau pour Major Lazer. Ce titre en fait est une dubplate. Ils la voulaient pour leur album "Peace is the Mission". Le producteur allemand Junior Blender m’a contacté et m’a dit qu’ils voulaient m’enregistrer. Ils voulaient vraiment le faire et j’ai tout de suite adhéré parce que j’adore faire des dubplates et je suis un grand fan de la culture des soundclash. Cela a aussi été une occasion parfaite de faire la connaissance de cette équipe de super-producteurs, Major Lazer. Et puis, cerise sur le gâteau, le titre est sorti avec la voix de Taranchyla en featuring. Taranchyla est LA voix des soundclash. Je suis un de ses fans et cela a été une grande joie pour moi qu’on se retrouve ensemble sur cette production.
Mais par contre tu ne fais pas trop la promotion de ce morceau… En fait, nous allons faire quelques concerts ensemble cet été. Mais pour le reste, je travaille avec une équipe indépendante qui essaie de faire la promotion de sa propre musique, avec toute l’énergie dont nous disposons. Tous les jours nous poussons, "Still Pushing", notre musique. Donc c’est bien de frimer au sujet de Major Lazer, mais c’est mieux de rester concentré sur notre propre mission. Nous ne voulons pas faire trop de hype à propos de ce titre.
En plus, l’EP pourrait avoir une plus longue espérance de vie dans l’histoire de la musique… Tout à fait. L’EP est fait pour durer. Avec tout le respect dû à Major Lazer, il faut dire que leur musique est d’un autre genre, c’est plus une vibe à la mode en ce moment…
Comment as-tu travaillé sur cet EP avec Joe Ariwa ? Je suis allé dans leur studio. Joe Ariwa était là, et Mad Professor également. Ils m’ont donné environ 25 riddims à écouter. Donc je les ai emmenés à la maison et je me suis posé et j’ai écouté et choisi ceux qui me semblaient les plus appropriés. Et puis j’ai commencé à écrire. Nous sommes arrivés très vite à un produit fini. Il y a même quatre chansons qui ont été enregistrées mais ne se trouvent pas sur l’EP.
Tous les riddims, sauf l’intro, étaient déjà enregistrés avant que j’aille en studio. Ils ont été joués par des gars comme Wayne Horseman, Dennis Bovell ou Black Steel. L’intro, je l’ai enregistrée dans mon propre studio. J’ai d’abord enregistré les voix, puis j’ai chanté les chœurs derrière. Et j’ai terminé par composer un accompagnement au piano. Je voulais garder ce style a capella dans l’intro, comme je l’avais fait sur la mixtape ou sur mon premier EP, "Break The Chains". J’aime l’ambiance et l’atmosphère que crée un tel morceau. J’aime cette façon d’accueillir l’auditeur dans mon projet.
Vous auriez quasiment pu sortir un album. Qu’est-ce qui vous en a empêchés? Oui, on aurait pu faire un excellent album. Mais nous préférons encore travailler au format EP. Nous travaillons toujours à présenter notre musique au public, nous essayons de rallier des fans, progressivement. Parce que si je sors un album maintenant, sans encore être très connu du public et sans avoir créé une attente pour cette sortie, il y a le risque que l’album passe inaperçu. Et donc ce serait un coup dans l’eau. Nous voulons qu’il y ait d’abord une envie du public pour un album.
Mad Professor a également été impliqué dans ce projet? Oui, il l’a été et est également crédité sur l’EP. Il nous a aidé pour les riddims et certains des mix. Mais le plus gros du projet a été géré par Joe Ariwa et son frère Karmelody, qui a fait beaucoup aussi dans la production.
On voit assez peu d’artistes qui prennent réellement soin de leurs textes. En général, un refrain accrocheur leur suffit. Mais quand on t’écoute, on remarque que tu ne rigoles pas avec l’écriture… Ce qui m’aide vraiment à écrire des textes, c’est le fait que j’ai passé plus d’années à être producteur que chanteur. Donc j’arrive bien à visualiser comment je veux que ma musique sonne et comment faire passer mon message. Je peux rester pendant des heures en studio, à jouer avec des flows, créer des espaces pour les textes dans la musique,… Je ne sais pas vraiment comment l’expliquer. C’est juste une vibe naturelle. En général, je commence avec une mélodie, et puis je joue cette mélodie sur le riddim, et finalement j’ajoute le texte par-dessus.
On parle de chant, mais tu as également des talents de deejay. Où as-tu développé ce style ? Cela remonte à mes années à l’école, quand j’étais encore étudiant à Clarendon en Jamaïque. Je pense que tous les jeunes en Jamaïque, même s’ils ne sont pas artistes actuellement, vous diront qu’à un moment de leur vie ils ont écrit des lyrics et ont été deejay.
Je ne mets pas forcément un passage en mode deejay dans chacune de mes chansons. Ca dépend un peu du riddim. En fait, ce qui doit arriver, arrive. Parfois je m’en tiens uniquement au chant, parfois il y a un break ou une variation dans le riddim et donc j’enchaîne et je passe de chanteur à deejay.
Tu aimes raconter des histoires, comme cette histoire de gangsters dans Consequences, sur ton dernier EP. D’où vient cette envie ? Dans la musique, je suis passé du rôle de producteur à celui de compositeur et ensuite de compositeur à artiste. J’écrivais donc avant de chanter. Dans le temps, j’aimais beaucoup écrire des histoires et de la poésie. Quand j’étais à l’école en Jamaïque, la littérature anglaise était ma matière préférée parce que j’aimais les histoires, les trucs de Roméo et Juliette et tout ça… J’aime l’écriture créative.
Après avoir tourné en Europe, tu es allé en Australie récemment et tu pars dans quelques jours vers les Etats-Unis. Le succès se confirme.Comment vois-tu ton futur? Ce qui est bon dans toute cette aventure, depuis l’époque où j’étais producteur, c’est que rien n’a été programmé ou planifié mais que cela a toujours été bon pour moi. Donc je suis reconnaissant pour chaque autre bénédiction qui doit encore venir. Mais je suis aussi motivé à continuer à développer mon label en Angleterre, JOAT, et à y promouvoir de nouveaux artistes. Je voudrais aussi développer le label Hemp Higher et aider certains jeunes à trouver leur place dans la musique également.
Tu es récemment rentré en Jamaïque, après dix ans loin de ton pays. Est-ce que tu y as enregistré ? Avec quels producteurs rêverais-tu de travailler? Personnellement je voudrais vraiment te voir travailler avec Digital B ! Oui, j’adorerais aussi. Ça serait génial et d’ailleurs il y a des chances que cela se fasse. A part cela, il y a ce producteur, DJ Frass, qui a sorti l’an passé un riddim appelé 7th Heaven riddim, qui est un de mes favoris depuis lors. Quand j’étais en Jamaïque, j’ai été très impressionné par cet homme qui produit pour Chronixx : Romaine « Teflon » Arnett. J’aime son Zinc Fence Band en général, le son qu’ils ont est fantastique. J’aimerais vraiment faire des productions avec eux. Pendant ce voyage, j’ai également revu Warrior King que j’avais rencontré il y a quelques années. Il est venu me voir à la maison de Cali P et nous avons enregistré une chanson ensemble sur un nouveau riddim du label Hemp Higher. J’ai aussi fait un titre intitulé Jah Is Gonna Take Control pour le producteur Clive Hunt, qui doit sortir sur VP Records bientôt.