Les trois mousquetaires du dub ont encore frappé. Avec leur nouvel album, "A Matter of Scale", les membres de Stand High Patrol ont signé un album à leur image. Introduit par le singulier single Sleep On It, "A Matter of Scale" s’ouvre à des sonorités jazz. « Cet album, il est fait pour être écouté chez soi, c’est aussi ce qui le distingue du premier », renchérit Pupajim.
Programmée aux Nuits Zébrées de Nova, on retrouve la patrouille backstage, accompagnée par Meriadeg Guillanton qui signe les solos de trompette sur l’album. L’occasion de revenir sur la genèse de "A Matter of Scale".
Reggaefrance / A quoi faire référence le titre de l’album, « A Matter of Scale », littéralement « une question d’échelle » ? Stand High Patrol / Pupajim : On a mis du temps à trouver ce titre. On voit juste un morceau, mais on voulait que ce soit un album qui soit un ensemble qui puisse s’écouter de A à Z, avec une histoire. C’est cette idée de prendre du recul, d’avoir l’esprit ouvert. Ecouter d’autres styles de musique : le reggae vient de quelque part, du blues, du jazz, et ces musiques aussi viennent d’autres choses. Macgyver : Il y a l’idée de mettre les choses en perspective. Pupajim : Il y a aussi l’idée d’échelle temporelle. Les musiques se construisent sur des cycles. On ne crée pas de nulle part, on s’inspire toujours de quelque chose pour aller plus loin. Enfin, « scale » renvoie aussi à la gamme musicale. Il y a plusieurs significations, qu’on laisse à l’appréciation de chacun.
L’ouverture d’esprit est justement on le voit dès le premier morceau qui introduit ce son jazzy. Pupajim : J’ai écouté beaucoup de jazz pendant la composition de l’album. A côté de ça quand on joue en sound system avec Roots Atao, Goldie (son selecta, ndlr) joue beaucoup de rocksteady, et ça a aussi influencé les choses. A la base, on voulait faire des morceaux un peu rocksteady. J’ai mis cette batterie jazz pour avoir un groove spécial, pour que le skank ne soit pas calé à chaque fois sur les temps. Et ça marchait bien !
Meriadeg, comment tu te retrouves à jouer de la trompette sur Tempest et Geography ? Meriadeg : C’est Théo (Macgyver, ndlr)) qui m’a présenté au groupe. Il me faisait écouter ce sur quoi ils travaillaient. Ils utilisaient beaucoup de samples, pour leurs compositions, plus qu’avant, ce qui amène un grain. Pour moi, dans leur manière de composer, d’autres esthétiques, d’autres couleurs sont arrivées. On a fait des essais, pour l’album et pour le live.
L’idée, c’est de plonger les gens dans notre univers, à la fois sonore et graphique.
Comment est né le morceau Geography ? Pupajim : Rien que le mot « Geography » me plaisait pour le refrain, je trouvais que ça sonnait bien. Ça me trottait un peu en tête, j’avais cette mélodie… Les couplets se rapportent aussi à cette notion d’ouverture d’esprit, d’observation, d’être curieux en fait. Ça peut se transposer à tout : la musique, la cuisine… Au niveau musical, je voulais avoir un truc épuré. Je voulais retrouver le son d’une production d’Augustus Pablo que j’ai entendue, jouée par Aba Shanti-I à Londres, en 2004. Sur ce dub, il n’y a que deux notes de basse, de temps en temps, avec tout qui flotte autour. Je voulais retrouver ça.
Ce qui frappe sur ces morceaux, c’est l’espace… Pupajim : Oui, et ça laisse de l’espace pour Meriadeg. Laisser des silences, laisser respirer la musique, c’est important. Geography est mon morceau préféré. A la première écoute, il peut un peu dérouter, parce qu’il n’y a pas grand-chose, il tient sur des fils… C’est un peu comme une session d’Iration Steppas en Angleterre : le morceau démarre avec l’intro puis tout s’arrête, sauf la cymbale qui reste, avant que tout parte. Ce moment avec seulement la cymbale, ces quelques secondes, le temps s’arrête…
Que Sleep on it, dans la même veine, soit le premier single de l’album, c’était pour marquer le coup ? Pupajim : Le travail de vidéo a été important sur ce titre. On a donné l’album à Kazi et Charlie (Kazy Usclef et Charlie Mars, les réalisateurs du clip, ndlr) et c’est ce titre qu’ils ont voulu mettre en images. C’est la première fois qu’on avait quelque chose de graphique et animé, on a voulu mettre ça en avant direct. En fait, c’est eux qui ont choisi le single (rires). Mais je pense qu’on aurait choisi un de ces morceaux jazz.
Dans les textes de Sleep On It, il y a quand même une mélancolie, une forme de tristesse. Pupajim : De la tristesse mais aussi de l’espoir ! C’est ce qui me touche dans la musique, notamment dans le rocksteady.
Vous savez comment vous allez les jouer sur scène, ces morceaux ? Pupajim : C’est difficile... Sur scène, on peut en jouer un ou deux, mais en sound system c’est plus difficile. Moi, vocalement, je dois presque crier en sound, et je ne pourrai pas faire Geography par exemple. Mais quand on la joue sur scène, quand Meriadeg est avec nous, ça passe bien. Cet album, il est fait pour être écouté chez soi, c’est aussi ce qui le distingue du premier.
De toutes façons vous ne jouez jamais les morceaux à l’identique en live… Pupajim : Certains morceaux avec des mixs différents… Mais c’est vrai qu’on n’a jamais trop travaillé comme ça. Rootystep : On joue plein de morceaux en ce moment qu’on sortira peut-être après.
Comme No Matter How Long It Takes que vous jouez depuis un moment… Sur ce morceau, Jim, ton chant est un peu différent. Pupajim : Oui, je testais des choses... En fait, moi j’apprends toujours à chanter (rires). Je voulais tester des nouvelles choses, descendre un peu plus dans les graves. Et je ne vais pas m’en cacher, Michael Prophet m’a beaucoup inspiré sur celle-là.
Ruckus et Blue Wax représentent la facette hip-hop. Pupajim : Je pense vraiment que si on s’était lancés six mois plus tard dans l’album, il y aurait eu encore plus de hip-hop, car on est beaucoup revenus au hip-hop, pour se faire plaisir. Là, c’est bien avec les deux morceaux. Il y a eu beaucoup de tests, mais si ces morceaux marchent bien en live, ça fonctionnait moins sur l’album.
Et on finit naturellement sur les fondamentaux, l’école anglaise, sur des tempos plus élevés… Pupajim : C’est ça, mais je ne suis pas sûr que les tempos soient plus élevés… Je crois même que c’est plus lent que le reste de l’album, mais ça peut être démultiplié. Mais tu as raison, c’est l’école anglaise, celle d’Iration Steppas et consorts… Ce sont des dubs qu’on a toujours pris plaisir à jouer plusieurs fois, ce qui est rare. Rootystep : Ces morceaux sonnent bien partout, sur tous les types de sono.
Justement, vous en êtes où avec votre sono ? Rootystep : C’est de mieux en mieux. Même si c’est toujours à améliorer, à réparer, à tester… On avait déjà une sono avec Goldie (Roots Atao, ndlr), qu’on a fait progresser. La nouvelle sono, c’est surtout des basses en plus. On a réutilisé le matériel d’avant en l’améliorant. Sur les sonorités, il y a beaucoup d’influences. Le choix des boomers, des amplis a une incidence sur le son. On recherche la clarté et la chaleur, pas seulement la puissance en soi. Macgyver : Il n’y a pas de formule idéale. Ce sont des goûts, pas seulement des caractéristiques techniques. Le but, c’est de contrôler tout : de la composition à la sonorisation, en passant par la projection des images dans la salle…
Les projections, ça fait aussi partie de l’expérience en live. Rootystep : Les rencontres ouvrent des opportunités. On a commencé avec Diazzo, dont les projecteurs permettent de projeter des images fixes de 8 mètres par 10 mètres. Kazi bossait avec eux, on a essayé une fois, à La Carenne (à Brest, ndlr), pour la première fois avec notre sono. Et puis il y a eu le Télérama Dub Festival en 2013 : ce soir-là, on a pris une claque. L’idée, c’est de plonger les gens dans notre univers, à la fois sonore et graphique.
Finalement, ce que vous souhaitez c’est garder le contrôle ? Rootystep : Et proposer des choses comme on a envie de les proposer. Avec le label on aime bien le côté artisanal de fabriquer un objet, faire appel à un bon graphiste, se prendre la tête jusqu’au papier, la sous-pochette… Macgyver : Quand tu dois travailler avec quelqu’un, t’adapter à une salle, à un horaire, tu dois faire des choix, en fonction de ce que tu sais faire. Quand tu contrôles tout de A à Z, la composition, la sonorisation, la scénographie, tes choix sont presque des automatismes. Tout est cohérent, tu sais déjà ce que tu aimes et que tu n’aimes pas, tu te poses moins de questions. Rootystep : Et si tu as un problème tu ne peux t’en prendre qu’à toi-même ! (rires)