INTERVIEW : GENTLEMAN
Propos recueillis par : Sébastien Jobart
Photos : DR
le vendredi 28 novembre 2014 - 7 558 vues
Premier artiste reggae à se produire à l’émission MTV Unplugged, Gentleman n’a pas laissé passer sa chance. Contacté cet été, enregistré dans la foulée, l’album de superbe confection est déjà disponible - en attendant la sortie du DVD le 5 décembre. Gentleman revient avec nous sur cette opportunité unique.
Reggaefrance / Comment est né ce projet ? / L’émission MTV Unplugged est particulière pour moi. Je suis fan de la série, l’un de mes albums favoris est "Lauryn Hill Unplugged". Il y a tant de grands artistes qui y sont passés et qui ont joué leur musique d’une façon complètement différente. C’est une manière superbe de redécouvrir tes propres morceaux. J’étais d’abord un fan de la série, puis j’ai été invité, lors du concert du rappeur allemand Max Herre. J’ai fait une chanson avec lui, Tabula Rasa. J’ai donc découvert l’envers du décor, et j’étais très impressionné par la production, les arrangements… MTV m’avais dit à l’époque qu’ils envisageaient de le faire avec moi, mais je n’aurais jamais imaginé que cela arrive si vite. Un jour, j’ai reçu un coup de téléphone me proposant de le faire. La fenêtre de tir était très très courte, c’était presque impossible à réaliser. J’ai appelé Dean Fraser, qui était pour moi l’une des composantes essentielles du projet. L’avoir avec nous est la garantie d’arrangements superbes. Le challenge est de rejouer tes chansons. C’est aussi un peu un « best-of », mon premier d’ailleurs, même si je n’aime pas trop l’expression « best of » car le meilleur est toujours à venir. C’est ma première compilation après six albums. Je me suis dit que c’était une bonne occasion de combiner les deux, le best of et l’acoustique. Tout a parfaitement fonctionné.
Le résultat est vraiment impressionnant. Je le pense aussi. J’ai été bouleversé par les invités. Il y avait plusieurs artistes invités qui étaient déjà en Europe. J’ai appelé Shaggy, Ky-Mani Marley, et c’était cool qu’ils puissent prendre part au projet. Comme je voulais aussi ouvrir aux autres genres, j’ai invité Campino, une rock star allemande, et Marlon Roudette, d’Angleterre. C’est très universel pour moi.
Tu es le premier artiste reggae à te produire à MTV Unplugged. Comment tu le prends ? D’un côté, c’est très plaisant, car j’espère que cet album mettra le reggae en lumière, à un autre niveau. MTV Unplugged est un projet très connu. S’ils souhaitent inviter des artistes reggae, c’est une très bonne chose pour le reggae. D’un autre côté, j’ai été très surpris d’apprendre que j’étais le premier artiste reggae à le faire. C’est surprenant car tellement d’artistes méritent plus que moi de le faire ! Personne n’a été demandé… enfin je ne sais pas, si ça trouve, quelqu’un a été demandé et ça n’a pas pu se faire… Jimmy Cliff, Luciano, Damian Marley… Il y a tellement d’artistes que j’adorerais entendre à MTV Unplugged. Mais nous ne devrions pas en faire trop. C’est un super concert, un projet renommé, mais c’est simplement un concert.
Il y a un langage universel qui relie les gens, quel que soit leur passé, leur religion, leur éducation. C’est pour moi le pouvoir de la musique. Certaines chansons sont complètement transformées, avec des arrangements de cuivres et de cordes. Des chansons comme Superior ou Dem Gone sont proches de la version originale, car ce sont des chansons déjà acoustiques, à l’exception de la basse. Il y a beaucoup de chansons avec une production dancehall, digitale, électronique, le challenge était donc de remplacer ces sons synthétisés pour des sons plus organiques, naturels. C’est tout l’enjeu de l’unplugged. « Unplugged » signifie qu’il n’y a pas de console d’effets entre la guitare, par exemple, et l’ampli. Tout est naturel, il n’y a pas de son synthétisé. Au lieu de la basse, on a utilisé une contrebasse ; à la place des sons synthétisés, nous avons ajouté des cordes ; au lieu de l’orgue on a utilisé un piano Fender Rhodes… Parfois, le challenge était de transformer les caractéristiques de la chanson. Par exemple, le riddim de Heart of Rub A Dub est électronique. Dean Fraser a eu cette idée d’en faire un truc profondément roots… Pour You Remember, on l’a retravaillée sur le grand piano et ajouté quelques cordes…
Il y a des chansons exclusives avec Shaggy (Warn Dem) et Ky-Mani Marley (No Solidarity. Elles ont été écrites spécialement pour le show ? Mon ami Ben (le producteur Ben Bazzazian, ndlr) m’a proposé le riddim de Warn Dem. J’ai adoré car cela me rappelle cette vibe à l’ancienne, mais quand même moderne. Ca m’a rappelé la vibe de Oh Carolina que Shaggy chantait à l’époque. Donc je pensais déjà à lui, et à chaque qu’on se croisait, on se disait qu’il était temps qu’on enregistre une chanson ensemble. J’ai pensé que ce concert unplugged était une bonne occasion d’enfin concrétiser cela. Shaggy a adoré le riddim, et boom ! on y était. Pareil avec Ky-Mani Marley. Il m’avait demandé de faire une chanson avec lui sur son album, et de mon côté je voulais le faire venir sur mes projets. C’est encore Ben qui a proposé cette rythmique, et on a travaillé dessus ensemble.
Il y a aussi deux reprises : Big City Life et Redemption Song. C’est la première fois que tu chantes des reprises, non ? En fait, il y a une règle quand tu fais un MTV Unplugged : tu dois faire au moins une reprise. Pour moi c’était un problème car comme tu l’as dit, je n’avais encore jamais fait de reprises de ma vie ! Mais quelqu’un m’a rappelé que je chante toujours Redemption Song acapella à la fin de mes concerts, avec le public, pendant que les musiciens quittent la scène. Pour moi, c’est l’une des plus belles chansons jamais écrites. C’est une chanson réconfortante, rebelle, universelle… Pour moi, c’était un bel hommage à Bob Marley, avec son fils Ky-Mani Marley et Campino, une rock star allemande et un bon ami à moi. Dean Fraser a proposé les arrangements et je trouve la reprise très belle.
A propos de Big City Life, j’ai rencontré Marlon Roudette (l’un des deux membres du groupe Mattafix, ndlr) plusieurs fois sur des festivals, et j’aimais vraiment cette chanson à l’époque. Je suis fan de sa musique et je le respecte en tant qu’être humain. Il était en Allemagne pour faire de la promo, et comme on partage la même maison de disques, ça s’est fait facilement.
Tu as pensé à tes fans de la première heure plusieurs chansons tirées de tes deux premiers albums. Comment vois-tu ces chansons avec le recul ? Pour moi, chaque chanson reflète un épisode de ma vie. Toutes les chansons que j’ai choisies pour l’album sont intemporelles pour moi. Je joue en concert des chansons comme Dem Gone, Intoxication ou Different Places car elles me sont réclamées par le public. Il y a une connexion. Il y a un langage universel qui relie les gens, quel que soit leur passé, leur religion, leur éducation. C’est pour moi le pouvoir de la musique. La musique est réconfortante, c’est aussi la bande-son de toutes les révolutions, c’est un moyen d’exprimer nos pensées et sentiments. C’était difficile de choisir parmi les six albums plus les singles… Je ne voulais pas d’un album avec 50 chansons, je ne voulais pas en faire trop. On a répété 35-40 chansons, et on a sélectionné les meilleures.
Comment as-tu choisi les quelques spectateurs qui ont assisté au concert ? C’était très compliqué, parce que je souhaitais avoir un cadre très intimiste. Je voulais quelque chose qui s’apparente à un studio de répétition. J’avais en tête le clip de Metallica pour Nothing Else Matters : les musiciens jouent dans une atmosphère très intimiste, presque dans un salon… Il n’y avait donc pas beaucoup de place pour le public. J’ai demandé à mes fans leur connexion avec ma musique, ce qui nous rapprochait. J’ai reçu beaucoup de lettres, et c’était très émouvant de voir ce que peut faire la musique. J’ai lu toutes les lettres, et j’ai sélectionné – c’était vraiment difficile – 35 personnes. Il y a notamment ce gars qui m’expliquait que depuis ses 16 ans, sa vie était faite de violences familiales, alcoolisme, drogues, etc. Il passait 9h par jour devant son ordinateur, sans aucune perspective. Et puis il a entendu la chanson Empress (sur l’album "Journey To Jah", ndlr) avec sa ligne de cuivre. Il a voulu savoir quel était cet instrument, a découvert que c’était un saxophone, et a commencé à apprendre à en jouer. Aujourd’hui, il joue dans un groupe, et il parcourt le monde… Et tout ça grâce à une ligne de sax !
Un autre m’a raconté qu’à un de mes concerts, il a rencontré une jeune fille et qu’ils ont tombés amoureux au premier regard. Mais ils ont été séparés et il n’a pas réussi à la retrouver, malgré tous ses efforts. Sept ans plus tard, il la retrouve à un autre de mes concerts. Aujourd’hui, ils sont mariés et ont deux enfants. C’est si beau de voir ce que la musique peut faire.
Est-ce que tu iras en tournée acoustique avec un plus petit plateau ? Pas plus petit ! On a l’ambition de faire la même chose. Peut-être avec seulement 4 cordes, car les scènes ne sont pas si grandes, mais on veut rester aussi proche que possible de l’enregistrement. Dean Fraser sera là, certains invités aussi… Cela devrait arriver en avril. On donnera quelques concerts et puis on avisera si on peut aller plus loin.
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