INTERVIEW : KONSHENS
Propos recueillis par : Sébastien Jobart
Photos : DR
le mercredi 02 juillet 2014 - 8 663 vues
Actuellement en tournée en Europe, Konshens prépare son deuxième album "From The Hotel Room". Non pas un recueil de chansons classées X, comme il nous explique que tout le monde le croit, mais un album « nomade » réalisé dans les nombreuses chambres d’hôtel au gré de ses concerts ses deux dernières années.
Quand Konshens déboule à la rédaction, c'est avec femme et crew au complet (y compris Javada, un jeune artiste récemment intégré à son label qui va sortir sa mixtape) : pas moins de cinq personnes qu'il faut accueillir avec lui. On manque de sièges et on est un peu serrés, mais l'interview peut démarrer.
Reggaefrance / Ton nouvel album s'intitule "From the Hotel Room". L'hôtel, c'est l'endroit où tu passes le plus de temps ? / Yeah ! Tu es la première personne à le comprendre, la plupart des gens pensent qu'il s'agit de chansons classées X. On est sur la route depuis deux ans et demi et il nous a fallu emmener le studio avec nous. L'album a été produit dans des chambres d'hôtel, dans différentes parties du monde.
Quels sont les producteurs de l'album ? La plupart sont des productions de Subkonshus Music, qui est mon label. Mais il y a aussi des productions de Frankie Music, Truckback, Rvssian, un producteur de soca appelé Kubiyashi, D&H, Dready, un jeune producteur, Washroom… je crois que c'est tout.
Quels sont les thèmes que tu développes sur l'album ? Je ne veux pas trop en dire, mais sache qu'il y a une vibe pour chaque pays, vu à travers mes yeux. Chaque chanson illustre la vibe que je pouvais ressentir dans chacun des pays que j'ai visités. Il y aura des chansons pour chaque humeur, pour chaque occasion.
 Si tu as de l’ambition, tu as moins de temps pour faire des choses stupides.  Tu as parlé des Français de D&H, avec qui tu travailles depuis un moment. Cela fait très longtemps que je travaille avec eux. J'apprécie la qualité de leur travail, yuh understand ?. Ils peuvent s’enorgueillir de leur travail, que ce soit du dancehall, du reggae, ou quoi que ce soit. C’est de la bonne musique. Donc naturellement, je ne suis pas très loin !
Récemment on t'a entendu avec d'autres Français, Dub Akom, sur le Way Back riddim… Ce titre devait également faire partie de l'album, mais le riddim est sorti avant l'album donc...
Tu ne souhaites que des titres exclusifs sur cet album ? Pas exclusif à 100 %, mais je souhaitais que chaque chanson soit reliée à l’ensemble de l’album. C'aurait été mieux si la chanson avait été exclusive…

Dans tes chansons, tu t'adresses à la jeunesse, en expliquant que le travail paie. C'est ainsi que tu as été élevé ? En quelque sorte… Ma vie a été faite de tâtonnements, de réussites et d’échec. J’ai essayé beaucoup de choses et jusque-là, c’est cet état d’esprit qui fonctionne pour moi, cette devise, understand ? Croire en soi avant tout, et ne pas se vendre. L’ambition est quelque chose que j’essaie toujours d’exprimer aux plus jeunes. Je pense que si tu as de l’ambition, tu as moins de temps pour faire des choses stupides.
J'ai sélectionné quelques-unes de tes chansons, peux-tu nous en parler ? Commençons avec ton premier hit, Winner. Cette chanson est née à la naissance de ma fille. Cela m'a rendu fondamentalement affamé. La chanson a été écrite à un moment où le monde était en récession. Je pense que c'est pour cela que tout le monde a pu se reconnaitre dedans, car le manque d’argent s’intensifiait. Pour moi, avec la naissance de ma fille, la faim est devenue plus intense.
Good Girl Gone Bad C’est juste une vibe… J’ai toujours voulu travailler avec Tarrus Riley, et quand on s’est rencontrés, il m’a dit qu’il voulait travailler avec moi. C’était magique ! Rvssian a fait un super morceau. J’étais en tournée quand il me l’a envoyée. A mon retour en Jamaïque, on est allés en studio et tu peux entendre sur le morceau la vibe qu’il y avait dans le studio, du début jusqu’à la fin. Travailler avec Tarrus Riley, c’est comme à l’école.
The Realest Song C’est ma chanson préférée, parmi les miennes. En Jamaïque, on parle beaucoup des badminds, que ce soit dans le reggae ou le dancehall. Je pense que c’est un thème surexploité. Mais personne ne l’avait abordé de cet angle. En dancehall ou en reggae, tu as des thèmes récurrents. Tu trouveras difficilement un sujet dont tu es le premier à parler. Je pense que j’étais, et je suis toujours, le seul à avoir chanté ainsi sur ce sujet.

Rasta Imposter Cela date de mon premier voyage en Europe. A mes débuts, dans l’industrie de la musique, beaucoup de gens pensaient que j’étais rasta. En arrivant en Europe, beaucoup m’ont dit que je devrais le faire, et devenir rasta : d’un point de vue business, cela aurait été mieux pour moi, car c’était la vibe des Européens. Je viens de Jamaïque, je ne suis pas rasta, mais j’ai beaucoup d’amis qui sont des rastas sérieux. Cela aurait été comme une immense gifle pour eux si j’étais devenu rasta pour des raisons pécuniaires. C’est ainsi que la chanson est née.
Gal A Bubble A l’époque, la piste de dance se réduisait à des smartphones, et des gens qui se tenaient debout. Alors que quand j’étais jeune, il y avait des filles qui dansaient, des mecs qui dansaient avec les filles… Et si tu veux regarder, tu regardes. Rien ne manquait. Avec le co-producteur Markus on a voulu faire une chanson qui rallumerait cette vibe et ferait danser les filles. Je pense que nous avons réussi.
Do Sum'n Cette chanson était dédiée aux danseurs, pour les mettre en valeur. Il ne faut pas oublier que dans dancehall, il y a dance, et les gens ont tendant à sous-estimer l’importance des danseurs dans le dancehall. Je ne suis pas un danseur et je ne crois pas que quiconque dans cette pièce le soit (rires). Mais on a besoin des danseurs pour obtenir le bon effet pour les beats sur lesquels on chante. Presque tous les genres de musique en ont besoin. Le dancehall devait les mettre en valeur et respecter leur travail.
Tu t'attendais aux réactions qui ont accueilli le clip sulfureux de Clap Dat ? En tant qu’auteur, quand j’écris une chanson, je veux créer une image dans l’esprit de l’auditeur, le transformer en spectateur. La chanson a pour sujet les strip clubs et les danseuses. Donc naturellement, la vidéo les montre. Je ne vois pas où est le mal… On en a beaucoup parlé en Jamaïque, on disait que les enfants pouvaient tomber sur ce clip. Mais je crois que les parents devraient se comporter en parents. Une chanson pour les adultes n’est pas la même chose qu’une chanson pour les enfants. Je ne crois pas qu’il soit de ma responsabilité de la censurer, c’est aux médias et surtout aux parents de le faire. Je peux te garantir que ma fille n’a pas vu ce clip.
Tu as accueilli la mixtape de Masicka. Selon toi, il est la prochaine sensation dancehall ? Il est une sensation dancehall. Nous n’essayons pas de créer le prochain quoi que ce soit. On veut juste apporter notre contribution. Je suis ici avec Javada, un autre artiste de mon label Subkonshus, et je ne le compare pas aux artistes qui étaient là avant. Il est le premier Javada. C’est la manière dont je vois les choses. Javada va sortir sa mixtape, on se concentre là-dessus pour le moment. Il n’y a pas encore de projet d’album avec Masicka. On essaie de les faire accepter, de leur créer une base de fans.
Tu utilises beaucoup les médias sociaux. Comment cela a-t-il modifié ta relation avec tes fans ? Cela offre une communication directe. C’est important pour moi. Cela a bien fonctionné pour moi, peut-être mieux qua la plupart des artistes dancehall. Je crois que c’est très important. Si tu as des dizaines de milliers de fans qui te suivent, c’est quasiment la garantie de salles combles où que tu ailles. Cela nous donne une indépendance. Tu en retires ce que tu y mets : plus tu communiques, plus tu as de retours.

Tu as lancé ta ligne de chaussures Konz876. Ca marche bien ? Yeah man ! Cela se passe bien. On a de grands projets d’expansion. Avec Internet, on peut vendre un peu partout, mais nous sommes présents dans quelques pays aussi. Ça marche bien au Canada, au Costa Rica… On essaie de développer la marque aux Etats-Unis, en Europe et en Asie. Jusque-là l’accueil est très bon, cela nous permet de continuer.
Les chaussures et la mode en général sont un hobby ? On peut le dire, mais lancer cette ligne de chaussures était plus une manière de sortir quelque chose de substantiel dans la culture dancehall. Si tu regardes le hip-hop, ou d’autres genres, les entrepreneurs sont l’un des leviers de développement. En hip-hop, tu peux les nommer : Jay-Z, P. Diddy, Dr Dre… Je pense que nous devons suivre cet exemple. Cela concerne tous les genres, sauf le dancehall… En Jamaïque finalement il n’y a que la marque Bob Marley. Il faut que les artistes deviennent des entrepreneurs et commercialisent leurs produits qui représentent la culture dancehall et reggae et aussi la culture jamaïcaine.
Tu as organisé un concours "Konz876 Young Boss Competition". C’est pour mettre en valeur les jeunes qui réussissent ? Exactement. Je l’ai fait à un moment où les médias jamaïcains ne parlaient que de choses négatives, comme si rien d’autre ne se passait. Je l’ai fait pour valoriser certains de ces jeunes. Il y a tellement de jeunes qui font des choses positives en Jamaïque, et qui sont ignorés. Les informations négatives circulent beaucoup plus vite que les positives. On voulait montrer que même si des choses négatives arrivent, il y en a aussi beaucoup de positives. Les retours ont été fantastiques, tu serais étonné par le nombre de jeunes partout dans le monde qui accomplissent des choses formidables, et qui sont négligés. J’ai l’intention de faire ce concours régulièrement.
En tant que père, est-ce que tu es préoccupé par la jeunesse jamaïcaine ? Que veux-tu dire ?
Est-ce que tu es inquiet ? Très inquiet. Pas seulement pour la jeunesse en Jamaïque, mais partout dans le monde. Les jeunes sont exposés de plus en plus tôt à des choses que nous avons découvertes à l’âge de 15 ans… Le monde devient plus dangereux, il y a plus d’informations, plus de dangers. Il faut les préparer du mieux possible.
Il y a deux ans, tu as participé à une marche pour mettre fin à la rivalité politique dans Kingston. Mais comment as-tu eu cette info ?
Facile, c’est sur ta page Wikipédia. Oh ! (rires) L’initiative était de retirer les graffitis et les obscénités des murs, de les remplacer par des fresques des héros nationaux. Pour que les jeunes de la communauté puissent voir des choses positives autour d’eux, car l’environnement lui-même est négatif. Il s’agissait de lever des fonds, et montrer que des artistes qui sont étrangers à cette communauté sont impliqués et concernés. Et cela a marché.
En Jamaïque, la décriminalisation de la ganja pourrait bien arriver. Qu’en penses-tu ? Je pense… que je devrais acheter des terrains dans l’Ouest ! (rires) Les gens aiment dire « legalize cannabis » mais il faut être prudent avec ce que l’on demande, car à partir du moment où c’est légalisé, le jeune rastaman ou le mec au coin de la rue n’aura plus qu’un accès limité ou aucun accès du tout à la ganja : de grosses sociétés vont arriver, acheter des terrains et contrôler toute la marijuana. Cela peut avoir aussi des effets négatifs.
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