INTERVIEW : DUB INC
Propos recueillis par : Sébastien Jobart
Photos : Alexis Rieger
le mardi 17 décembre 2013 - 10 190 vues
En 2013, il était difficile de passer à côté de Dub Inc. Après avoir traversé pas moins de 27 pays pour la tournée de "Hors-Contrôle", la formation stéphanoise a fait son grand retour en France avec son cinquième album, "Paradise".
"On est dans notre paradis", glisse Komlan : c'est dire si le titre colle à ce que vit le groupe actuellement. Attendu de pied ferme par son public, "Paradise" fera probablement date. En à peine deux mois, l'album s'est déjà écoulé à environ 20 000 exemplaires physiques, et trône toujours en tête des téléchargements d'albums reggae.
Repartie à la rencontre de son public en novembre pour une longue série de concerts, la formation est arrivée dans la capitale pour un concert dans un Zénith bientôt complet. L'occasion de faire le point avec Komlan et Zigo.
Reggaefrance / Le titre de votre album précédent, "Hors-Contrôle", avait un double sens, est-ce encore le cas pour "Paradise" ? / Komlan : Si on parle du morceau Paradise, c'est évidemment ironique : on parle de ce faux bonheur. Dans la période actuelle beaucoup de gens sont dans des situations très difficiles, et on leur fait croire, on leur fait miroiter qu'ils pourront s'en sortir grâce à la consommation, en accumulant des choses. Ce bonheur en plastique qu'on nous vend à la télé… C'est très ironique car malheureusement le monde actuel est loin d'être un vrai paradis. Même si je pense qu'on en trouve encore… On peut imaginer un double sens qu'on peut rapprocher avec le groupe : nous actuellement, on est dans notre paradis. On a réussi grâce à notre label et au développement du groupe à accéder à plusieurs de nos rêves.
Avant cet album, vous aviez passé deux ans en tournée. Est-ce que ça a eu un impact pendant l'enregistrement ? Komlan : Bien sûr, ça a joué. Le fait qu'on soit parti dans 27 pays pendant cette tournée, je pense que ça a amené beaucoup de textes en anglais. Hakim a beaucoup écrit en anglais alors que ce n'était pas spécialement son réflexe avant. Le fait de rencontrer beaucoup de groupes, d'être sur les routes tout le temps, ça consolide et ça donne des influences… L'Amérique du Sud nous a peut-être inspirés pour l'accordéon.
Zigo : L'album est plus organique, dans le sens où on a fait venir des musiciens traditionnels, là où avant on n'utilisait que des synthétiseurs. On a fait venir une kora, une mandole, des percussions algériennes… Ce sont des choses qu'on avait de faire depuis longtemps. On a poussé la production beaucoup plus loin pour cet album, on a mis six mois en bossant toute la semaine pour composer l'album, en faisant des pré-prod dans notre studio, puis ensuite un mois complet, 24 heures sur 24, dans un autre studio en rase campagne, de sorte qu'aucun élément extérieur ne nous a perturbés. On a vraiment voulu pousser les choses à fond sur l'album, c'est le fruit d'un long travail. Notre méthode, on l'a développée avec le temps, au même titre qu'on s'est improvisé groupe de musique au début : on a appris les choses petit à petit. C'est vraiment le fruit de plusieurs albums de recherches et de travail. On a notre technique propre.
Komlan : La scène et le studio, ce sont vraiment deux mondes. On a mis plus de temps à apprivoiser le studio…
Dans la chanson Il faut qu'on ose, justement avec l'accordéon, il y a cette phrase : "Cynisme est le roi d'un monde qui ne veut plus rêver. Je suis sorti de ça et maintenant je respire." C'est du vécu ? Komlan : C'est un morceau qui parle du cynisme, à mon avis une chose assez triste pour nos sociétés aujourd'hui. Ca empêche les gens de rêver, on a l'impression qu'ils n'ont même plus envie d'y croire, tellement c'est difficile et compliqué de faire des choses. Et nous, on expose ça, mais il fallait être positif, le morceau s'appelle Il faut qu'on ose : pour aller au-delà du cynisme, il faut oser. C'est clair, c'est du vécu quand Hakim dit : "Je suis sorti de ça et maintenant je respire". Je crois que quand tu arrives à t'accomplir à sortir de ce carcan-là, c'est là que tu es vraiment toi-même et que tu arrives enfin à respirer. Ce texte est très personnel. C'est le genre de sujets où Hakim et moi mettons vraiment en mots ce que l'on ressent. Ca retranscrit aussi ce que ressent le groupe, bien sûr, mais c'est quelque chose de plus introspectif qu'un autre texte.
Zigo : Il y a aussi la démarche même du morceau, avec la guitare acoustique et l'accordéon… Musicalement, on est des gens assez timides, malgré notre expérience de la scène, on est toujours très timides pour se lancer dans des trucs sur lesquels on n'a pas spécialement de repère. Et jouer en acoustique… On avait décidé de composer le morceau live, c’est-à-dire tous ensemble, en partant de rien. Pour nous, ça a été une façon de se lâcher d'aller plus loin. On avait peur que ça sonne un peu chanson française, avec l'accordéon, la guitare sèche… La démarche du morceau, et l'énergie qui en ressort, valait le coup. A un moment, il faut savoir se décomplexer.
Komlan : Il faut oser !
Avant, la référence c'était "Diversité". Maintenant, on sent que "Paradise" va marquer notre discographie Ca rejoint aussi ce que raconte Chaque nouvelle page, qui raconte votre histoire, votre construction, page après page… En ce moment, vous vivez un rêve éveillé ? Komlan : On est tout à fait conscients de la chance qu'on a, même si on a beaucoup travaillé pour en arriver là. C'est une évidence que vue la situation de l'industrie du disque et de l'indépendance artistique, on a énormément de chance. On apprécie les choses à leur juste valeur. Ce morceau, c'est une manière d'inclure les gens avec nous, de leur dire : "Cette histoire, on la vit, mais c'est grâce à vous et on la vit avec vous".
Zigo : C'est un peu la suite du documentaire "Rude Boy Story". Avec ce film, on s'est rendu compte de nos débuts, des difficultés qu'on a rencontrées parce que c'est un chemin très difficile parfois. Sans le soutien du public, on ne pourrait pas faire tout ce qu'on fait. On voulait faire un morceau qui dise merci.
Ce soutien du public est sans faille depuis de nombreuses années, et semble plus fort que jamais : "Paradise" marche très bien. Komlan : Il n'y a que Stromae qu'on n'a pas réussi à sortir de sa place la première semaine… Lui, il était indétrônable.
Vous vous y attendiez ? Komlan : Tu peux t'attendre à rien… C'est le cinquième album. Quand tu arrêtes une tournée, tu n'es pas connecté pareil au public, tu joues moins et tu ne sais pas… Ce n'est pas une science exacte. On a fait nos morceaux, et Inch Allah ! On était très contents, surpris par l'engouement… Je pensais que ça allait bien marcher, comme d'habitude, mais c'est vrai qu'il y a eu une très belle sortie. Tant mieux ! Il va falloir utiliser ça à bon escient, et faire une belle tournée.
Zigo : Le point de référence, ce n'est pas tant les ventes. On est parti en tournée après la sortie, et ce qui est exceptionnel par rapport aux autres albums, c'est que le public connaissait déjà les paroles des morceaux. Ce qui veut dire que les gens ont beaucoup accroché. D'habitude, quand on joue six ou sept nouveaux morceaux, ça ne passe pas, parce que les gens veulent entendre ce qu'ils connaissent déjà. Là, on sent qu'on fait chier personne, et en plus ça nous fait du bien, après deux ans et demi de tournée "Hors-Contrôle". On ressent que "Paradise" est un album majeur de notre discographie. Avant, la référence c'était "Diversité", notre premier album. Maintenant, on sent que "Paradise" va marquer notre discographie.
Du coup, vous allez passer 2014 sur la route ? Komlan : En 2014, on ira beaucoup à l'étranger, avant de revenir en France en avril. On part en Ecosse, en Angleterre, à La Réunion, en Australie, peut-être en Amérique du Sud au mois d'octobre… Il y a énormément de choses qui se préparent, et malheureusement les plannings ne s'étirent pas à l'infini. Je pense qu'on va tourner au moins jusqu'à 2015.
Zigo : Les perspectives qu'on a à l'étranger, c'est une chose nouvelle pour nous. Quand tu prépares une tournée, tu comptes les week-ends : un pour le Portugal, un autre pour la Grèce, etc. On a un problème de riches : on n'a pas assez de week-ends.
Komlan : En plus il faut en garder un pour nos familles !
Zigo : Après un an et demi à l'étranger, ça nous avait manqué de refaire des tournées en France. Le public français reste notre public, celui qui nous porte à fond. Là, on les retrouve et en plus on va à l'étranger, c'est vraiment magique !
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