INTERVIEW : DUB ADDICTION
Propos recueillis par : Benjamin Leboyer
Photos : DR
le jeudi 11 juillet 2013 - 7 509 vues
Nous continuons notre route en Asie du Sud-Est en passant par le Cambodge. Il y a 1 000 ans, le pays était à la pointe du développement, les temples d'Angkor rayonnaient dans toute la région et même au-delà. Malheureusement, l'Histoire ne se limite pas à cette période faste. Déportés, séparés, exterminés et privés de toute forme de culture sous le régime Khmer rouge de Pol Pot dans les années 70, les Cambodgiens se remettent doucement de cette terrible période.
Dotée d'un optimisme et d'un sourire à toute épreuve, la population est très ouverte sur l'extérieur et la jeunesse s'intéresse de plus en plus à de nouvelles formes d'expressions musicales. Et le reggae en fait partie ! Nous rencontrons le groupe Dub Addiction à Phnom Penh, capitale du pays, à l'occasion d'un concert de Ska russe. Comme quoi, la fusion et le mélange dans notre style de prédilection n'est pas une légende... Seb, le bassiste de la formation, nous raconte leur histoire.
Reggaefrance / Comment Dub Addiction est-il né ? Dub Addiction / Au départ, je suis arrivé de France avec une expérience d'une dizaine d'années dans un backing band à Nice. Nous faisions venir des artistes jamaïcains et les suivions sur plusieurs dates. C'est avec eux que j'ai vraiment appris à jouer et à comprendre le reggae. J'ai également travaillé avec Sons of Gaïa et Massilia Sound System. Quand je suis arrivé au Cambodge, je me suis rendu compte que beaucoup de gens écoutaient ce style de musique mais qu'il n'y avait aucun groupe ici. J'ai donc décidé de monter le premier en formant quelques musiciens et en trouvant un chanteur khmer.
Pourrais-tu nous présenter le groupe ? Avec plaisir ! Notre chanteur Dj Khla, était une star ici bien avant de rejoindre le groupe. Quand je l'ai rencontré, il chantait un genre de ragga inspiré des prières des moines bouddhistes, un phrasé qu'il a entendu depuis son enfance. Je suis allé le voir en lui disant qu'il faisait du reggae, en lui parlant de Bob Marley. Et il m'a répondu : « Marley, qui ? » Sans le savoir, il jouait une musique née à des milliers kilomètres de là. Dub Addiction, c'est aussi Kaë Lhassàn au chant, Chantria Chen à la guitare, il est réputé au Cambodge et n'a que 19 ans, Sambath Bun est au clavier, Toma Willen à la batterie, Professor Kinski aux effets, Ian est notre MC et aussi notre producteur et je joue de la basse. Un mélange entre plusieurs nationalités et plusieurs styles musicaux qui donnent une saveur particulière à notre groupe ! Je dois préciser que nous ne sommes pas les précurseurs dans la région. Au Laos, Jah Wooble a déjà créé des morceaux reggae et dub en y ajoutant de la musique traditionnelle.
Le public est-il réceptif à votre musique ? Il y a deux choses à distinguer. L'audience des expatriés et des gens de passage est acquise à notre cause, nous sommes l'unique groupe de ce style dans le pays et notre musique est actuelle, ce n'est pas du son d'endormi. Mais je trouve que nous restons encore un peu loin des khmers, et c'est vers eux que nous voulons aller. Nous faisons de la musique pour tout le monde, nous ne visons pas le côté commercial alors ça prend un peu de temps. Le reggae est une vibration positive que nous devons essayer de transmettre au plus grand nombre. Avec Dj Khla qui est déjà respecté au Cambodge et cette influence traditionnelle que nous avons dans nos morceaux, je pense que tout est là pour que ça prenne. La jeunesse est curieuse et se lasse de ce que les radios lui proposent, c'est à dire la culture pop asiatique.
 Le pays est en train de renaître. C'est intéressant d'être au commencement de tout cela.  Combien d'albums du Dub Addiction sont sortis ? Nous travaillons sur le troisième album et venons de sortir "Dub addiction meets Kampuchea rockers uptown" en avril dernier, sur le label Metal Postcard Record, basé à Hong-Kong. Le concept était de faire poser des Mcs Cambodgiens sur des riddims que nous avions créés et quelques reprises. L'expérience a été très intéressante et c'est une bonne chose d'être sur ce label pour la promotion, la distribution et les opportunités d'aller jouer ailleurs. Pour le troisième album, nous avions envie de continuer à rencontrer d'autres artistes, pour partager nos influences et être plus créatifs. Il s'appellera donc "Dub Addiction Collective", avec la participation de Sistaya, une artiste suisse, Ras Simmons qui vient d'Aix en Provence, Phil Mylkiway, d'Allemagne et Okoro Elias Jefferson du Nigéria.
Qu'en est-il des concerts, des tournées ? Il y a quelques belles scènes dans plusieurs villes du pays mais nous y avons déjà beaucoup joué. Maintenant, nous sommes moins présents pour essayer de proposer de nouveaux morceaux au public, nous n'avons pas envie de faire tout le temps la même chose. Normalement, nous devrions tourner un peu au Vietnam par exemple. Nous espérons pouvoir nous faire connaître à l'extérieur, en France particulièrement, ça me tient à cœur. Et nous avons quelques invitations : Hong-Kong, l'Australie, l'Angleterre et le Danemark par exemple… Nous allons voir si tout ça est possible.
Quelques mots sur le Cambodge pour finir ? Le peuple a beaucoup souffert, il y a un trou dans l'histoire qui ne recommence qu'à partir de 1985. Toute une génération a disparu à cause des Khmers rouges et 80% des gens ont moins de 30 ans. Le pays est en train de renaître. C'est intéressant d'être au commencement de tout cela. Le problème maintenant est la grande différence entre les riches et les pauvres, il n'est plus rare de croiser de grosses voitures sportives dans les rues mais les salaires de base sont à 30 ou 40 dollars par mois. Pour te dire, la Chine délocalise au Cambodge car la main-d'œuvre est encore moins chère que chez eux Il y a des images très dures à accepter, des gamins qui fouillent les poubelles pour revendre les canettes en aluminium qu'ils peuvent trouver. Mais quand il n'y en a pas, ils doivent manger ce qu'ils ramassent... Heureusement, quelques associations se battent contre cette misère (à l'image de l'association "Pour un sourire d'enfant" qui effectue un travail incroyable, ndlr).
Dub Addiction Collective - No Time To Waste :
Dub Addiction Collective - Lose Your Soul :
Dub Addiction - Zunguzeng Inna Di Penh :
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