INTERVIEW : CHRONIXX
Interview et photos : Sébastien Jobart
le mardi 07 mai 2013 - 9 525 vues
Il avait à peine 20 ans l'année dernière quand il a rapidement capté l'attention de ses pairs. En l'espace de quatre ans, et à la faveur de plusieurs singles de haute tenue, Chronixx incarne désormais le nouveau visage de la musique jamaïcaine.
Le fils de Chronicle se destinait pourtant à la production. Se tournant vers le chant, il n'a pas tardé à montrer une maturité précoce et un talent évident. Une belle promesse pour l'avenir, à découvrir pour la première fois en France au mois de juin, à l'occasion du Paris Reggae Festival. Entretien en toute simplicité.
Reggaefrance / Tu es le fils de Chronicle, tu as donc grandi dans un environnement musical. Faire de la musique ton métier était une évidence ? / Il a toujours été évident pour moi que la musique ferait partie de ma vie, mais pas forcément que j'en ferai mon métier. J'ai réalisé que j'avais cet amour pour la musique quand j'étais enfant. C'était une chose naturelle, mais ce n'est que plus tard que j'ai pris conscience que je pouvais gagner ma vie avec la musique. Mon frère, mes sœurs et moi-même chantions dans un groupe quand nous étions petits. Je joue aussi un peu de piano.
Avant de passer derrière le micro, tu étais un producteur, tu composais des riddims… C'était ma première approche professionnelle de la musique. J'ai commencé en freelance, dans ma chambre, à composer, puis j'ai rejoint Zic Fence. J'ai rencontré Romaine "Teflon" Arnett (producteur au sein de Zic Fence, à ne pas confondre avec l'artiste dancehall Teflon, ndlr), et toute l'équipe de production.
C'est par Zic Fence que tu as rencontré la famille Jah Ova Evil (J.O.E) ? Teflon était très proche de Lil Joe (décédé en janvier 2012, ndlr) et de ses frères. Je suis allé à Vineyard Town, où ils vivent. Depuis, nous avons conservé ce lien. C'est après la mort de Little Joe que je me suis vraiment mis à chanter. Il était question que je produise des riddims pour lui, quelques mois avant sa mort, mais je n'ai pas pu finir ce travail... La mort de Little Joe est l'une des choses qui m'a poussé à devenir artiste. Little Joe était un jeune artiste très prometteur, il a fait de très bonnes chansons. Il y a encore des chansons très puissantes qui ne sont jamais sorties… J'ai constaté le besoin qu'il y avait, au sein de Jah Ova Evil, de combler ce vide. La musique avait perdu quelqu'un de spécial, il fallait le remplacer. Pas le remplacer lui, mais combler son absence… C'est l'une des choses qui m'a mené vers le chant.
 Les médias essaient de te faire croire que tu es arrivé là où tu voulais aller, alors même que tu n'as pas démarré ! 
Auparavant, il y avait eu Behind Curtains, en 2008, qui a lancé ta carrière. C'est l'une de mes premières chansons, c'est celle qui m'a donné de l'élan. J'ai eu de bonnes réponses, notamment au Kenya, où DJ G-Money l'a beaucoup jouée. C'était ma première percée en tant qu'artiste. Deux ans plus tard, le reste du monde a accepté cette chanson. Elle parle de déception au sein de la famille ou des amis, dans les relations. Elle dit que ton meilleur ami peut te prendre la vie. Comme Bob Marley disait que ton meilleur ami connait tes secrets, et que lui-seul peut les révéler… Ce n'est pas un nouveau comme thème de chanson, mais c'est une nouvelle manière d'en parler. Cela raconte comme les rapports humains peuvent devenir très amers avec le temps, il faut être vigilant.
They don't know semble très personnelle… C'est ma chanson la plus personnelle, autant que je puisse l'être dans mes chansons. Avant de faire cette chanson, je n'étais pas du genre à me dévoiler. Elle est 100 % personnelle, elle raconte ce que je vivais dans ma vie à ce moment-là.
Plus récemment, il y a eu Smile Jamaica, sur le Honey Pot riddim, où tu compares la Jamaïque à une femme… C'est vraiment comme cela que je vois la Jamaïque. Une femme qui a été maltraitée, abusée, et considérée comme acquise. La Jamaïque a fait tellement de bien au monde, pas seulement pour les Jamaïcains, mais le monde entier. Nous voilà en France, de l'autre côté de la planète… Les Jamaïcains ont un tel impact sur le monde, même si nous n'en voyons pas les fruits en Jamaïque, you know ? Je montre aux gens que nous pouvons représenter notre petite île, notre petit pays du Tiers-Monde d'où nous venons… Nous devons prendre soin de notre pays. Quelque soient les grains que nous plantons dans le monde entier, les fruits sont rapatriés vers notre lieu de naissance. Yeah man.
De quels artistes te sens-tu proche ? Dans tes clips on voit souvent Protoje… C'est un mouvement ! A la différence de ce à quoi nous sommes habitués, quand la musique est à la fois ségrégation, rivalités et embrouilles. Mais nous ne sommes pas dans les embrouilles, car nous sommes végétariens (jeux de mots avec "beef", qui veut dire à la fois "embrouille", et "boeuf", ndlr). Donc tu ne me trouveras pas parmi ceux qui sont en guerre, en embrouille, en clash. Pour nous, c'est l'unité qui compte. Personnellement, j'aime vraiment la musique de Protoje et la personne qu'il est, ce qu'il représente. Pareil pour Kabaka Pyramid, Jesse Royal, Jah9, Pentateuch, Raging Fyah… Il y a une unité ! Je ne pourrai pas croiser Protoje ou Kabaka Pyramid, où que ce soit dans le monde, sans les inviter à manger et à passer du temps ensemble. Nous cuisinons les uns pour les autres, et nous mangeons ensemble... C'est une vraie unité. Cela montre que la musique dépasse largement les rivalités et les égos.
Tous ces artistes dont nous avons parlé joue un reggae moderne mais avec une vibration ancienne, comme si… (Il coupe) Nous sommes jeunes mais nous avons une conscience très ancienne, qui revient hanter la musique. Nous essayons d'orchestrer le retour du roots reggae, notre musique originale, la musique indigène la Jamaïque. La musique que nous avons en Jamaïque est un cadeau de Dieu. Elle n'a pas été créée par un homme, mais par plusieurs qui ont permis la manifestation de ce son. En tant que jeunes, nous essayons de la préserver autant que possible, et de garder la musique positive. C'est le plus important. Nous verrons les fruits de tout cela très bientôt. Nous remodelons la société, nous donnons un nouveau visage à la musique jamaïcaine.
Travailles-tu sur un album ? Pas vraiment un album, nous travaillons, nous essayons de faire de la bonne musique, et de la sortir, que ce soit en single, EP, mixtapes… Ce qui compte c'est d'avoir de la musique solide, qui vient du cœur. Ensuite, nous la packagerons.
Ton père est-il impliqué dans ta carrière ? Tu lui demande des conseils ? Non, pas vraiment, sauf pour l'inspiration… Il n'est pas impliqué dans le management. Je ne lui demande pas de conseils, mais ça ne l'empêche pas de m'en donner (rires) ! Ce n'est pas mon père qui m'a mené vers la musique. La musique était toujours dans la maison, mais il ne m'a jamais prédestiné à une carrière d'artiste, il m'a toujours laissé choisir.
Les choses sont arrivées rapidement pour toi. Comment l'as-tu vécu ? Je ne dirais pas "rapidement". Tu trouveras toujours quelqu'un pour aller plus vite que toi… C'est le travail que tu fournis qui paie. On ne parle pas de travail de promotion, de distribuer de l'argent, on parle de faire de la musique, assidûment.
Comment réagis-tu quand les médias te présentent comme la sensation reggae du moment ? C'est ce que font tout le temps les médias. C'est comme un complot et ce n'est pas nécessairement une bonne chose. Ils essaient de te piéger, de te faire porter le monde sur tes épaules… Mais nous ne sommes pas dupes, et je ne prête pas trop attention à tout cela. J'essaie de rester distancié. Je lis, et je comprends ce qu'on dit de moi, mais je ne le prends pas pour argent comptant, car ce n'est pas sain pour un jeune comme moi, qui essaie de maintenir un certain niveau, avec humilité et concentration. Les médias essaient de te faire croire que tu es arrivé là où tu voulais aller, alors même que tu n'as pas démarré !
Tu sais, je suis une personne normale. Je porte des vêtements normaux, pas de bijoux… J'aime les choses agréables, j'aimerais vivre dans un environnement plaisant, parcourir le monde confortablement… J'aime avoir de jolis vêtements et manger de la bonne nourriture, mais cela s'arrête là. Pas d'extravagance… J'essaie de vivre mon truc simplement, sans imiter personne.
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