Avec son milliard et demi d'habitants, la Chine est un pays qui fascine. Une histoire riche de 5 000 ans, 80 ethnies qui vivent ensemble, se fondent dans la masse ou se révoltent. Un régime politique opaque, un développement économique sans précédent, des richesses naturelles extraordinaires mais menacées… et une scène reggae qui s'éveille.
Notre séjour à Pékin débute alors que les festivités pour le nouvel an chinois donnent le coup d'envoi de l'année du serpent. Nous y rencontrons Guo Jian, le chanteur et bassiste du groupe Long Shen Dao. Leur premier album, sorti en 2011, leur a déjà valu plusieurs récompenses. Entretien.
Reggaefrance / Quelle est l'histoire de Long Shen Dao ? Comment le groupe s'est formé ? Long Shen Dao / Nous sommes six, je suis au chant et à la basse, j'écris également la plupart des textes. Il y a Niu Mu à la guitare rythmique, c'est aussi notre toaster, le guitariste principal est Gao Xu, le clavier Zang Hong Fei et notre batteur s'appelle Gao Fei. Nous avons aussi un musicien invité sur plusieurs morceaux, Gu Zheng. Nous nous sommes rencontrés il y a dix ans à peu près et nous jouions tous dans différents groupes avant de faire de la musique ensemble. A l'époque, on ne trouvait pas de groupe de reggae à Pékin, donc on peut dire que nous sommes les pionniers du mouvement en Chine.
Que signifie Long Shen Dao ? Nous avons décidé de nous appeler ainsi à cause des trois symboles puissants que sont « Long », « Shen » et « Dao » et ce qu'ils veulent dire séparément. « Long » est le dragon, il représente la Chine. Les dragons sont résistants, c'est une image artistique dans la culture chinoise. « Shen » veut dire l'esprit, il représente le coeur de notre nom. « Dao » est la route ou les pas, c'est connecté au Taoïsme, un symbole spirituel pour nous. Dans le yin-yang, le « dao » est le lien qui sépare le blanc du noir, ou plutôt qui forme un pont entre les deux. Nous espérons que notre musique pourra former un pont entre l'Est et l'Ouest, un mélange de nos deux cultures, nos deux mondes qui sont très différents.
Comment êtes-vous venus au reggae ? Nous avons trouvé que l'esprit de cette musique était la bonne voie pour développer notre musicalité, notre créativité. Nous étions tous plutôt dans la mouvance rock avant, mais nous trouvons que le reggae sonne mieux, est plus percutant. Le plus important, c'est le rapprochement avec la culture traditionnelle chinoise, très respectueuse de la nature et de l'esprit libre. De spiritualité et d'amour aussi… Pour nous, ça a du sens.
La Chine est un sol fertile pour la créativité des artistes
Comment est accepté le reggae ici ? Ce n'est pas facile de jouer ici ! Nous connaissons un Américain qui vit ici depuis quelques années. Ce gars a commencé à passer du reggae dans son bar à Pékin en 2003, il est un de ceux qui a introduit cette musique ici. Après une dizaine d'années à diffuser, promouvoir et développer le reggae, il trouve que c'est vraiment compliqué. Les gens ne sont pas très familiers avec ce style musical, ça leur semble étrange. Ils connaissent le rock, la pop, le hip-hop mais le reggae n'a pas encore vraiment percé. Des groupes comme le nôtre ont cette responsabilité, nous devons continuer pour faire comprendre la portée de cette musique, faire passer un message, doucement mais sûrement... Et c'est ce qu'il se passe : quand nous avons commencé, nos concerts étaient très confidentiels, mais maintenant la jeune génération se déplace de plus en plus. Nous sommes invités à de plus grands festivals et nous gagnons des récompenses (un Midi Music Award pour leur premier album, et China Music Media Award du meilleur single, ndr). Nous suivons notre chemin et avançons coûte que coûte !
Vous vous produisez souvent sur scène ? Nous jouons régulièrement dans plusieurs festivals à travers toute la Chine. Et chaque trimestre depuis 2008, nous organisons le « Big Reggae Party » à Pékin, où nous invitons d'autres groupes à venir sur scène et des Djs pour la soirée. Nous faisons également des événementiels pour les fêtes chinoises ou pendant les vacances. Les lieux s'y prêtent bien et le public répond présent. Début 2012, nous avons fait une tournée en Nouvelle-Zélande et joué dans plusieurs festivals, cette année nous prévoyons de partir au Canada, en Corée et aussi sur quelques scènes européennes, nous sommes en bonne voie pour aller en Hollande ! Notre objectif est de pouvoir voyager et de faire voyager notre musique, nous aimerions aller dans des endroits avec du soleil, des plages, du rhum et de quoi se réchauffer l'esprit ! Voilà ce qui pourrait être une belle destination pour une prochaine tournée !
La Jamaïque par exemple ? Définitivement, je voudrais voyager là-bas ! Connaître et comprendre l'endroit et les gens qui ont créé la musique que j'aime jouer. Ce qui m'intéresse, c'est la source, le roots. Bien sûr, j'ai vu des documentaires sur l'île, sur Marley, il m'a évidemment fait très forte impression... Je suis également intéressé par ses fils Damian et Ziggy. Autrement, j'ai eu la chance de voir Third World à Toronto l'année dernière, c'était extraordinaire, quelle force ! Quelle puissance musicale ! Je suis devenu un grand fan !
Revenons-en à Long Shen Dao, comment écris-tu ? De quoi parlent tes textes ? Mes textes sont uniquement en chinois mais ils sont traduits en anglais dans la pochette du disque. Il y a des morceaux sur la liberté, sur l'amour, d'autres sur la vie en général, sur les relations entre les gens. Certains parlent de la philosophie de notre pays et de religions comme le bouddhisme ou le taoïsme. C'est assez varié, ça dépend des faits de société et de l'inspiration bien sûr !
Quelle est ta vision de la Chine ? Comment se passent les choses ici ? Nous vivons dans un pays complexe et c'est difficile d'en parler clairement. La Chine a de grandes qualités, une histoire riche par exemple, spécialement pour sa culture et sa philosophie. Parce que nous venons d'un endroit avec un passé si important culturellement, ça influence beaucoup d'artistes dans leur travail. Pour ces raisons, je suis fier d'être Chinois. Mais la version moderne du pays a beaucoup de problèmes. Comme nous nous développons économiquement, nous avons de gros soucis environnementaux et l'attitude générale de la population a changé, plus individualiste par exemple. Concernant la politique, les droits de l'Homme et le système en place, le peuple a des sentiments différents ici, dans son cœur, par rapport à la façon de penser des Occidentaux. Les problèmes que nous avons rencontrés au siècle dernier ont laissé une marque profonde dans notre pensée collective incluant la politique de l'enfant unique par exemple. Mais c'est un flux constant avec chaque nouvelle génération. La Chine est vraiment un pays très différent des autres, il y a beaucoup de contradictions dont nous pouvons parler. C'est un sol fertile pour la créativité des artistes.