INTERVIEW : BUSY SIGNAL
Propos recueillis par : Benoît Georges et Sébastien Jobart
Photos : Benoit Collin
le vendredi 12 avril 2013 - 11 037 vues
Quand on entre dans la loge de Busy Signal quelques minutes après la fin de son concert au Cabaret Sauvage (Paris), on ne s'attend pas vraiment à obtenir de lui un entretien fleuve. Le deejay est fatigué, et les coulisses bruissent de fans lui réclamant une photo. Difficile de le convaincre de s'asseoir quelques minutes : Busy Signal reste debout, bras croisés. "Aussi court que possible", nous répond-il quand on lui demande combien de temps il peut nous consacrer. On s'en contentera.
Du reste, le deejay s'avère finalement prolixe. En une dizaine de minutes, nous abordons la plupart des sujets qui ont fait l'actualité de Busy Signal : l'album "Reggae Music Again" sorti en 2012, son incarcération aux USA, sa rupture d'avec Shane Brown…
Reggaefrance / L’année 2012 a été difficile et mouvementée. Comment te sens-tu aujourd’hui ? / Je suis aujourd’hui en pleine rédemption. Tout ce qui s’est passé l’année dernière appartient désormais à l’histoire, au passé. Me voici, enfin libre. Je suis reconnaissant pour ces instants, pour être là aujourd’hui à me produire sur scène, à représenter pour les fans. Tout le monde connaît déjà mon histoire. Je suis là pour montrer ma reconnaissance. Liberté !
As-tu réglé tous tes problèmes, le passeport, le visa… ? Le visa, le passeport, tout a été réglé localement en Jamaïque et c’est pour cela que j’ai obtenu mon passeport et mon visa pour venir ici. Au moins, je peux recommencer à gagner mon pain, je peux revenir à ma vie d’avant. Je dois dire merci au gouvernement jamaïcain et au gouvernement américain, « big up » à eux : ils ont vu ma vie, mon dossier, mon profil, ils ont vu que je n’étais pas un de ceux qui leur créent des problèmes. En 2002, le 12 janvier, j’ai fait une erreur de jeunesse quand je vivais aux Etats-Unis. J’étais adolescent, j'avais 16, 17 ans (en fait, 20 ans, ndlr). Tout est maintenant réglé, mon passeport, mon nom, mes problèmes de visa, mes problèmes avec les Etats-Unis… Je ne peux que dire merci.
Vas-tu postuler pour un visa américain dans deux ans (Busy est encore soumis à une période probatoire) ? Oui, bien sûr ! D’ailleurs, je pourrais même postuler avant ces deux ans. Car à l’époque des faits, j’étais citoyen américain. Ma mère et mes frères vivent encore là-bas et sont citoyens américains. Ils peuvent éventuellement lancer une pétition pour réclamer mon retour car j’étais citoyen américain au moment des faits et je n’ai été condamné pour aucun crime, ni délit.
Je suis si heureux d’être ici, je suis libre, tout simplement !
C’est donc un nouveau départ pour toi, en termes de business également puisqu’on a récemment appris que tu te séparais de Shane Brown. En matière de management, parfois c’est à toi de prendre position et d’essayer de contrôler tes affaires. Ce qui m’aide dans cette démarche, c’est de connaître déjà toutes ces choses, plus tous ces gens autour de moi. Turf Music Entertainment est le nom de ma société. Mon frère est impliqué, ainsi que d’autres personnes. Mais je continue toujours à travailler avec Shane Brown, il n’y a aucun ressentiment entre nous. Je me manage juste moi-même, je prends les choses en main. J’ai maintenant mon label et ma propre société, j’essaye donc de tout faire passer par ce canal. C’est une démarche très ambitieuse pour un artiste.
Parlons justement de musique. L’année dernière, tu as enregistré "Reggae Music Again" et depuis ta libération, tu as surtout sorti des titres dancehall et tu seras même sur le prochain album de Major Lazer. Cela représente juste beaucoup de travail. J’ai fait "Reggae Music Again" l’année dernière, c’est donc assez logique de faire plus de dancehall cette année. Je n’ai pas envie de sortir beaucoup de titres reggae qui viendraient faire de l’ombre aux titres reggae de l’année dernière. Ces chansons vont vivre pour toujours. Je voulais pouvoir tourner avec les chansons de cet album, je ne veux pas les tuer avec de nouveaux morceaux reggae. C’était sage, je pense, de faire du dancehall, sachant que je ne pouvais pas vraiment sortir de nouvelles chansons reggae, au risque que les gens oublient "Reggae Music Again". Je n’étais pas là l’année dernière pour tourner. Il faut que je me rattrape en tournant cette année pour l’album "Reggae Music Again", et je ferai ensuite beaucoup de dancehall. Je vais continuer à sortir des chansons reggae, mais je vais sortir bien plus de dancehall, pour essayer d’équilibrer. Quand tu écoutes Busy Signal, tu peux choisir entre le reggae et le dancehall. Sur scène, je pourrais faire deux heures de reggae avec mes propres chansons. Et je pourrais aussi faire 10 heures de dancehall avec mes propres chansons. C’est une bénédiction de pouvoir m’équilibrer ainsi entre reggae et dancehall, en termes de versatilité et dans ma façon de cracher mes textes.
Ces derniers temps, tu as beaucoup travaillé avec des artistes comme Romain Virgo ou Exco Levi. On avait l’impression qu’il y avait toute une équipe d’artistes autour du studio Penthouse et de Shane brown. Aujourd’hui, ces liens se sont consolidés (entre Shane Brown et Vikings production pour Romain Virgo) et on pensait logiquement que tu allais aller dans cette direction… Ce sont mes artistes. Exco Levi, Romain Virgo, D Major, RC, Shuga, Timeka Marshall… Je suis dans leur sillage. Ce sont tous mes artistes. Je les ai pris sous mon aile. On y met de la concentration et du travail, c’est pour cela qu’on est à ce niveau… Tous ces artistes font du reggae. Busy Signal fait du reggae et du dancehall. Ils font du reggae et je leur montre comment se concentrer là-dessus, pour en faire plus, comme moi j’en ai fait plus. Je n’ai jamais arrêté de faire du reggae depuis mes débuts. J’ai commencé à faire du reggae après avoir fait du dancehall, c’est vrai. J’ai commencé par le dancehall. Mais, je me suis rendu compte que le reggae était la racine et que je devais montrer tout le respect que j’avais pour ces racines. C’est juste, c’est un devoir et c’est sage de montrer le respect que j’ai envers ces racines. Tu ne peux pas abandonner tes racines, au risque de ne pas avoir de branches ou de tiges. C’est donc ce que je fais. Je continuerai à faire du dancehall, mais je ferais aussi du reggae, et d’autant plus. Les gens acceptent ça.
Et tu as de bons musiciens qui t’accompagnent : C-Sharp, Kirkledove… Oui, les membres du groupe qui m’a accompagné sur scène ce soir sont les mêmes musiciens qui jouent sur tous les titres de mon album "Reggae Music Again". C’est comme une famille, une équipe : nous avons amené les idées, nous avons joué, nous les avons essayées, répétées, nous nous sommes concertés pour savoir où mettre le pont, comment faire ceci, cela… Et j’ai été ensuite en studio, à Tuff Gong, le studio de Bob Marley, et j’ai chanté tous ces titres. Ensuite, nous avons ajouté des chœurs, des percussions, plein de choses, de vrais instruments. C’est une vibration musicale complète, tu vois.
C’était ton idée de faire un album dub ? Shane Brown, le père de Shane, Errol Brown, et moi, avons pris cette décision. J’ai juste eu à l’assumer par la suite. Etant donné que je viens d’être libéré, je n’ai pas encore vu un de ces albums dub, je n’ai pas vu les vinyles, rien… Je suis vraiment heureux car je sais que je vais les voir ici en Europe. C’est une vraie bénédiction par rapport à la façon dont nous avons travaillé la musique et ce que nous avons sorti : le professionnalisme. Car il y a beaucoup d’artistes dancehall qui ne prennent pas le temps de donner du respect au reggae. Le reggae a donné naissance au dancehall, au hip-hop, au reggaeton… Le reggae fait tellement de bonnes choses. C’est quelque chose de normal pour moi de montrer tout le respect que je dois au reggae.
En parlant d’artistes dancehall qui ne respectent pas le reggae, tu as parlé dans des chansons récentes du fait que tu ne te mélangeais pas aux diables ou aux démons, comme si tu lançais des piques à Tommy Lee. Non, il y a plus d’une personne dans le dancehall qui fait des trucs démoniaques, il y a plus d’une personne démoniaque dans le hip-hop, plus d’une personne démoniaque dans le rock et la pop. Donc, je dis juste ça pour tous ces trous du cul, car il n’y a pas une personne mais de nombreuses personnes qui sont dans ces histoires de démons. Moi, je dis Dieu, je crois en Dieu, Dieu m’a aidé à sortir de ma situation. J’en suis une preuve vivante. Personne au monde n'a été extradé vers les Etats-Unis et est revenu chez lui en six mois, jamais, dans le monde entier, depuis qu’il y a eu Adam et Eve ! Je suis histoire, mystère et art… C’est pourquoi Busy Signal ne chante pas de chansons qui citent des noms, car il n’y a pas qu’une personne. Je ne chante jamais de chanson en citant des noms pour les descendre. Je ne fais pas de « diss songs ». Je ne suis pas intéressé par le clash. Je suis plus grand que ça, plus grand que ça.
Enfin, au temps de l'Alliance, tu étais quand même dans ce genre d'histoires… (Rires) Oui, c'est vrai ! Les gens essayent de s’en prendre à moi, ils citent mon nom, ils vont sur scène et font plein de trucs. Plein d’artistes très différents citent notre nom, citent nos chansons et prétendent qu’ils descendent Busy. Où sont-ils maintenant ?
Te sens-tu toujours membre de l’Alliance ? Je suis membre de l’Alliance pour la vie ! L’Alliance désormais, c’est Bounty Killer, Bling Dawg, Busy Signal et toute l’extension de l’Alliance Next Generation. Il s’est passé tellement de choses au fil des ans. Les vrais restent vrais. Bounty Killer et Busy Signal sont comme des frères, même si Bounty est plus vieux que moi, c’est juste un nombre entre lui et moi. Bounty Killer me connaissait avant que je ne commence à faire de la musique, Bounty me connaissait quand je vivais aux Etats-Unis, quand j’avais 16, 17 ans, avant « hothead », avant « sound di big ting », avant « basically I’m saying », avant « busy », avant Busy Signal. Bounty Killer est le général et tu ne manques pas de respect au général. Bounty Killer est mon général. C’est comme pour Esco Levi, Romain Virgo, Shuga, RC, pour eux, je suis leur deejay. Bounty Killer est mon deejay. Buju Banton, Shabba Ranking, tous ces gens ont ouvert la voie. C’est un lien fort entre nous. Respect et merci de m’avoir reçu, on a plein de trucs à faire, on doit continuer à bouger, on doit vadrouiller. Je suis si heureux d’être ici, je suis libre, tout simplement !
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