INTERVIEW :
Propos recueillis par : Benoit Collin & Sébastien Jobart
Photos : Benoit Collin
le vendredi 21 décembre 2012 - 9 502 vues
Avec les retours de Ninjaman et Shabba Ranks, cette année aura remis les vétérans sous la lumière. Mais Bounty Killer n'en a pas besoin. Vingt ans après ses débuts chez King Jammy, le Warlord dicte toujours le tempo de la scène dancehall jamaïcaine.
Notre première question n'est pas très engageante. Pour formuler sa réponse cinglante, le Warlord enlève ses lunettes noires et nous dévisage. Look into my eyes… Arrestation de Vybz Kartel, clash avec Beenie Man, mort de sa maman… C'est parti pour un entretien sans langue de bois.
(NB : Cette interview a été réalisée avant qu'il ne s'en prenne à Tommy Lee. C'est pourquoi le sujet n'est pas abordé.)
Reggaefrance / Ces derniers temps, on a plus entendu parler de toi pour des histoires extra-musicales (problèmes avec le fisc, convocation devant la justice, passages en prison…). Où en es-tu de tous ces dossiers ?
/ (Lapidaire) Je les ai dépassés.
On t'a même aperçu à l'église à ce moment-là. Que venais-tu y trouver ?
C'était ce que je voulais montrer au monde à l'époque. Quand tu as des problèmes, que l'humanité est trompeuse, c'est là que tu vas : vers le Seigneur, pour qu'il allège ton fardeau. Tu ne peux pas régler tous les problèmes du monde. Tu as besoin de cette intervention divine.
On t'a entendu parler de changement, pour un nouveau Bounty…
Je n'ai pas changé, je suis resté le même. Mais je suis plus mature, plus sage. Je suis plus vieux… et meilleur. C'est une évolution, pas un changement. Les gens pourraient penser que l'évolution est un changement, mais c'est juste un état différent de la vie.
 Mavado restera membre de l'Alliance jusqu'à la mort. Même Vybz Kartel fera toujours partie de l'Alliance. 
Tu as été récompensé plusieurs fois (Life Achievement award, Iconic award...). Comment prends-tu cette reconnaissance ?
Je suis très reconnaissant. Nous avons fait de grandes choses, et les gens le reconnaissent. Cela fait mal quand tu fais du bon travail et que les gens le négligent. C'est décourageant. Quand on me décerne un Lifetime Achievement Award, ou un Iconic Award, je suis comblé. Cela me donne le courage de continuer à faire ce que je fais. J'apprécie cela, c'est un honneur d'être honoré pour quelque chose d'honorable (rires).
Dans cette "nouvelle vie", il y aussi la réconciliation avec Beenie Man. C'était vraiment sérieux cette rivalité musicale entre vous deux ?
Ce n'était pas vraiment une réconciliation. Nous sommes tous les deux à un point de notre carrière où nous savons ce sur quoi nous travaillons et ce que nous faisons. Il ne peut y avoir d'animosité : cela doit rester un exercice musical, une compétition, mais ce n'est absolument pas quelque chose de personnel. Beenie Man et moi ne sommes pas ennemis, nous sommes des rivaux, comme les Lakers et les Bulls. Ils sont en concurrence, ils ne peuvent pas être amis genre "Oh c'est amusant de jouer ensemble, si on le refaisait ?". Mais la vérité, c'est que nous sommes ensemble.
Est-ce que ça pourrait repartir en clash entre vous ? Ou bien tu n'as plus l'âge pour ces choses-là ?
Well, les clash n'ont rien à voir avec l'âge, ou la condition, mais avec la rage…
Tu parlais de maturité tout à l'heure…
Maturité dans le sens où je fais les choses d'une manière et d'une forme différente. Comme je te le disais, Beenie Man et moi avons fait un clash à Negril, mais il n'y avait ni animosité, ni tension. Pas besoin de vigiles sur la scène. Bounty et Beenie se taquinent l'un l'autre, et ça ne va pas plus loin que ça. Quand ma mère est morte, Beenie est venu à la veillée et à l'enterrement, et nous avons passé un bon moment ensemble.
Ta mère était ta manageuse et…
(Il coupe) Elle me manageait, littéralement, personnellement. Pour tout ce qui est du business, c'est moi et Sharon (Burke, de Solid Agency, ndlr) qui nous en occupons.
Quelles ont été les conséquences sur ta carrière ?
C'est un grand changement car 'Mama' n'est plus là. Elle est l'une de mes plus importantes influences, mon modèle. Elle était une grande source de motivation. La plupart des choses que je faisais, je le faisais pour elle.
Tu continues à intégrer de jeunes artistes dans l'Alliance : Kalado, Advance, ton neveu, ou encore Iyara. Où en est le groupe actuellement ?
L'Alliance est originellement constituée de Bounty Killer, Bling Dawg, Busy Signal, Wayne Marshall et Mavado. Et il y a tous les jeunes qui nous entourent. C'est l'Alliance Next Generation, qui regroupe les artistes les plus jeunes, ceux qui ne sont pas connus. On les appelle la Nouvelle Génération car ils sont le futur de l'Alliance. C'est toujours l'Alliance, mais ce n'est pas la première génération, c'est la suivante.
Bridgez, par exemple, est passée de l'une à l'autre…
Non, c'est moi qui lui ai demandé de le faire. Il est plus facile de travailler au sein de l'Alliance que de l'Alliance Next Generation, car là-bas ce sont surtout des groupes de travail. Un chanteur doit travailler en solo. Il est plus facile pour un deejay de chanter deux rimes et de prendre un forward, que pour un chanteur de chanter un couplet. L'ANG travaille essentiellement collectivement. Tout le monde travaille dans un petit segment de cinq minutes. Il est difficile de faire percer un chanteur dans un si petit segment. Il lui faut sa propre plate-forme.
Comment interviens-tu quand il y a des tensions dans ton écurie ? Par exemple entre Aidonia et Busy Signal à l’époque, ou entre Mavado et Flexxx il y a peu…
C'est comme un père et ses enfants : tu ne peux pas prendre parti. Tu dois être un médiateur. Donc ce n'est pas très éloigné du rapport d'un père et de ses enfants, tu dois être là pour tous. Je ne sais pas comment Mavado et Flexxx en sont arrivés là. C'est dommage car c'est Flexxx qui m'a présenté Mavado. C'est lui qui l'a encouragé à rejoindre la Priceless Tribe, à l'époque, avant que l'on ne devienne l'Alliance. A l'époque, c'était Scare Dem Crew et Priceless Tribe. C'est comme ça que j'ai rencontré Flexxx, et Mavado. Donc cette histoire est vraiment malheureuse. Mais le temps fera son affaire, you know ? Time is the master.
En parlant de Mavado, sa carrière avec We Da Best semble l'avoir éloigné de l'Alliance. En fait-il toujours partie ?
Il ne peut décider de cela. Le premier mot de sa première chanson était "Alliance", et c'est comme ça que le monde l'a accepté. Aux yeux du monde, il est un artiste de l'Alliance. Il a développé le concept de Gully, il n'y a rien de mal à cela, mais il reste avant tout de l'Alliance. Mavado restera un membre de l'Alliance jusqu'à la mort. Même Vybz Kartel fera toujours partie de l'Alliance. C'est simplement un membre "restreint". Mais d'où il vient, le moule qui l'a formé, c'est celui de l'Alliance. Once Alliance, forever Alliance.
L'incarcération de Kartel pose-t-elle problème pour l'industrie musicale jamaïcaine ?
Ce n'est pas un problème, mais c'est triste pour le business. Chacun doit faire face à ses propres difficultés. Il est l'un des acteurs principaux, et le voir ainsi dans cette situation malheureuse, c'est juste une mauvaise chose. Cela donne une mauvaise exposition aux artistes en général… J'espère que tout cela n'est qu'une information trompeuse, et qu'il sortira libre. Je ne veux pas le voir pourrir en prison.
Tu es en contact avec lui ?
Non, nous n'avons pas parlé depuis qu'il a quitté l'Alliance. Mais je ne souhaite à personne, et particulièrement à un artiste, un jeune du ghetto comme moi, qui a réussi à s'en sortir, de finalement retomber là-dedans.
Cela fait longtemps que tu n'as pas sorti d'album. Quels sont tes projets ?
(Rires) Well, mon dernier album date de 2002, "The Ghetto Dictionnary". Je ne sors pas d'album chaque année, je ne suis pas comme certains artistes qui veulent juste sortir un album pour faire de la publicité.
La dernière fois qu'on s'est vus, on a eu la même discussion. Tu me parlais d'un album de jeunes artistes, d'un album de l'Alliance…
Nous devrions faire un album de l'Alliance, mais puisqu'il y a quelques pépins nous allons mettre ça en veilleuse jusqu'à ce que tout soit réglé, tu comprends ? Cet album est nécessaire. On avait un deal avec VP Records il y a des années de cela, mais je travaille en fonction de mon état d'esprit, ce n'est pas une question de rythme. Et j'ai de bons singles, et quand c'est le cas, tu peux les compiler pour faire un album.
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