INTERVIEW :
Propos recueillis par : Benoit Collin & Sébastien Jobart
Photos : DR
le lundi 18 juin 2012 - 9 321 vues
Soldat de l'underground belge, Uman a déjà vingt ans de carrière au compteur. Sorti fin 2011, l'album "Umanity" est en quelque sorte un patchwork de cette double décennie, entre reggae, dancehall... et chanson. Faisant régulièrement la navette Bruxelles-Paris, on intercepte Uman de l'un de ces allers-retours. L'occasion de se replonger dans "Umanity", et son goût de plus en plus prononcé pour le chant. Uman travaille d'ailleurs sur un nouvel album acoustique, espéré en début d'année prochaine : "Tout est écrit et composé".
Reggaefrance / On t'avait pas vu dans les bacs depuis un moment, depuis 2007 avec ''L'Aventure c'est l'Aventure''. ''Umanity'', c'est le résultat du travail réalisé depuis ? / 'L'aventure c'est l'aventure'' est un album très organique, produit avec des musiciens. De 2007 à 2009, je l'ai défendu, mais il n'est pas vraiment sorti en France. Faire un disque c'est une aventure, tu t'investis... Cet album m'a pris trois ans. En 2010, on commençait à être sur la fin, j'étais dans d'autres projets. J'ai besoin d'être actif sinon je déprime ! Je me suis rapproché de Selecta Killa, de Bruxelles, qui est très actif. Il a quinze ans de moins que moi, il est un peu comme nous à l'époque de Bass Culture... Il a une émission de radio, il est à l'affut des nouveautés. En bossant ensemble, on s'est mutuellement influencés, j'amène mon truc, et lui sa fraîcheur. J'ai posé sur plein de riddims.
Le marché a tellement évolué, les disquaires ferment, tout se passe sur le net aujourd'hui, et il a fallu une période de transition. Un vivier s'est développé sur le net. J'ai sorti ''Umanizm 2'', sur les riddims jamaïcains de l'époque. Du coup, j'ai reçu des productions de D&H, de Gary (Empire), je commençais à collectionner pas mal de titres. Et du coup, j'ai sorti l'album ''Umanity''.
Tu avais envie de mélanger les genres ? J'avais envie de garder une partie de l'écriture de ''L'Aventure c'est l'Aventure'', qui est peut-être méconnu en France mais qui est un travail plus intime, avec des textes plus personnels, qui parlent de ma vie, de mes amours, de mes doutes... Et en même temps, je voulais laisser un peu dancehall dedans, parce que j'aime la scène sound-system, aller chanter dans les caves et mash up.
Tu sembles avoir un penchant plus prononcé pour le chant. Je prends des cours de chant... Mon prochain album sera d'ailleurs strictement chanté. Le chant c'est vraiment une attirance naturelle. C'est le fait de vieillir aussi. J'adore le dancehall, mais j'ai dépassé 40 ans. Et mon public a plutôt 25-45 ans. Ils ne sont pas là en train de jumper dès la première chanson, comme les jeunes de 18 ans à un concert de Justice. Si tu vas voir un concert d'un rappeur de plus de 40 ans, et qui est une star, et bien ils mettent tout le concert pour démarrer !
 Je suis plutôt anticlérical, anti-leader. Alors faire le prêcheur, ça me casse les couilles.  Justement, en parlant de rappeur de 40 ans, tu as fait la première partie de Joey Starr à Bruxelles. Ça s'est super bien passé. Je suis réaliste : Joey bénéficie de tout un parcours qui fait qu'il remplit une salle de mecs de 30 piges qui vont le suivre. Un gars comme moi, sans bénéficier d'une telle base, pour aller réunir 300 mecs qui vont sauter... Non, mon parcours va vers un truc plus chanté, plus mûr, où je parle d'amour, des préoccupations d'un type plus âgé. Par contre, c'est comme le sport ou le karaté, je prends toujours mon pied à faire de la musique, et du dancehall.
Cet album chanté, il sortira en France ? J'espère ! ''Umanity'' est disponible en France via iTunes. Il est distribué dans quatre boutiques mais c'est grosso modo ce qui reste... Après, pour atteindre les Fnacs... Ils passent par des centrales d'achat, et n'achètent que ce qui se vend... J'espère trouver un bon deal de distribution pour qu'il sorte en France.
C'est étonnant, pour un artiste francophone, que le label ne vise pas la France comme priorité... J'ai signé avec Pias en 2006 je crois. J'ai préparé un album, mais le reggae n'était pas la spécialité de Pias. Ils ont demandé à leur filiale en France, qui ont répondu qu'ils ne savaient pas travailler mon profil. Pias s'est aligné sur leur décision. Quand je me suis bougé pour trouver une distribution française, ça faisait déjà un an que l'album était sorti en Belgique... Donc ça n'intéressait plus personne.
En 2004, tu nous parlais de l'importance du reggae dans la transmission de l'intelligence de la résistance. Aujourd'hui, tu penses toujours que cette résistance doit s'organiser ? Aujourd'hui, à titre personnel, je pense toujours que la résistance est nécessaire. J'ai un mode de vie de résistance par rapport à une société qui essaie de t'encadrer. Je fais ce que j'aime, je fais de la musique et j'essaie d'en vivre. Pour moi, c'est déjà vivre librement. Après, avec le recul, il y a une partie de mon parcours de distanciation par rapport aux canons du reggae. C'est le problème quand tu tiens des discours : après les gens te suivent pour ce discours, ne veulent plus entendre que cela. Et moi je ne suis pas curé : je suis plutôt anticlérical, anti-leader. Alors faire le prêcheur, ça me casse les couilles. Que les gens attendent de moi que je sois un prêcheur, ça réduit ma liberté, qui est de faire ce dont j'ai envie. Mon message premier c'est : ''Enivrez-vous de liberté, partez à la conquête de la liberté, et soyez libres''. Prends Réalité, par exemple : il y a dix ans, j'étais dans un état d'esprit très vindicatif, et aujourd'hui je suis plus dans la constatation des choses. Le refrain, c'est :''Pris dans les chaînes de cet esclavage mental, chaque jour me rattrape la réalité.''
Moins d'espoir, rattrapé par la réalité ? Moins de naïveté, on va dire, et plus de maturité... Quand tu tiens des discours, tu tombes vite dans le poujadisme, à réclamer des trucs inapplicables... Mon parcours, c'est le contraire d'une certaine démagogie, et je lutte contre ma propre démagogie.
La crise financière, ça t'a inspiré pour écrire ? On n'écrit pas mieux quand on a faim. On écrit mieux quand on est amoureux, ou quand ta femme est partie... La crise économique met en exergue des défauts qu'il est facile de pointer du doigt. Tu trouves facilement un écho chez les autres. Mais je lutte contre ma propre démagogie. Donc oui, elle m'inspire car elle nourrit mon analyse, mon regard sur les humains. Mais ce n'est pas moi qui vais changer le monde. C'est un travail collectif et le leadership ne m'intéresse pas. Mais ça m'a nourrit : tout ce qui défaille est une source d'inspiration pour un caricaturiste ou un pamphlétaire.
La Belgique a enfin trouvé un gouvernement. Tu te sens concerné ? Honnêtement, je ne vois pas la différence... Si, en vérité, la différence c'est que pendant toute cette période d'instabilité, la Belgique était menacée de voir sa note dégradée par les agences de notation. Maintenant qu'ils ont trouvé un gouvernement, ils suivent les directives de ces agences. Ils tapent sur les chômeurs, les retraités... Donc la stabilité, oui, mais... Avant, on était quand même sur des acquis sociaux qu'on est en train de perdre avec ce gouvernement. Et on savait qu'avoir un gouvernement allait provoquer cela.
A se demander s'il y avait besoin d'un gouvernement... Des chefs d'Etat aujourd'hui ? C'est l'économie qui dirige. C'est l'économie qui nous a obligés à trouver un gouvernement. S'il avait fallu trouver un compromis à la belge, sur les problèmes qui nous divisent, des problèmes humains... et bien on aurait continué ! S'il n'y avait pas eu ces exigences d'origine économique, ces menaces de finir comme la Grèce, on aurait continué. Mais on n'allait pas devenir la Grèce...
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