INTERVIEW :
Propos recueillis par : Sébastien Jobart & Benoit Georges
Photos : Sébastien Jobart
le vendredi 13 avril 2012 - 8 834 vues
Grafton Studio, sur Grafton Avenue, juste derrière le Up Park Camp chanté par John Holt. Dean Fraser joue aux dominos, et Tarrus n'est pas disponible : il répète pour le Nine Miles Music Festival à Miami deux jours plus tard. On revient quelques heures plus tard. Il est bien là, assis dans un coin du studio, l'œil rivé sur son téléphone portable, pendant que Dean Fraser est occupé sur la console.
Ce n'est pas la première fois qu'on le rencontre (on l'a même fait jouer à Paris), mais Tarrus Riley se montre distant, sinon méfiant au début de l'interview. Il s'agit de rompre la glace, et la conversation se détend peu à peu, pendant que nous évoquons son album acoustique "Mecoustic", et bien d'autres projets.
Reggaefrance / Merci Tarrus Riley de nous accorder de ton temps pour cette interview. / Yeah, respect. Je répétais avant que vous n'arriviez. Je me préparais pour le concert en hommage à Bob Marley, le Nine Miles Music Festival, à Miami ce week-end (l'interview a été réalisée le 1er mars, à deux jours du concert, ndlr).
Je voulais en savoir plus sur les deux albums que l'on attend de ta part… (Il coupe) Que sais-tu de ces albums, jusque-là ?
Pas grand-chose encore… Comment sais-tu qu'il y en a deux ?
Nous sommes une famille. Restez à l'écoute, et je ne vous décevrai pas. Je sais qu'il y a un album acoustique, qui sort sur un label français… Oui, c'est vrai.
Comment est née l'idée de cet album acoustique ? Avec Dean Fraser, nous avons eu l'idée de faire cet album acoustique. On avait quelques chansons, des chansons très spéciales pour moi, qui n'avaient pas eu toute l'attention, toute l'écoute qu'elles méritaient. Et je voulais vraiment partager cette musique avec mon public. Sur cet album, il y des anciennes et des nouvelles chansons. C'est très spécial, you know ? Je pense que les chansons et les mélodies sont très riches, et que les paroles sont importantes. Avec l'acoustique, on peut vraiment écouter les paroles, c'est très personnel. Et je pense que ces chansons devaient vous atteindre ainsi… Il y aura des anciennes chansons, et des nouvelles.
Qui sont les musiciens ? Une partie vient de mon groupe, le Black Soil, et beaucoup d'autres musiciens que Dean Fraser a fait venir. C'est un album acoustique dans le sens ''unplugged'', débranché. Il n'y pas seulement une guitare ou un piano. C'est le vrai ''acoustique''. Il y a même des flûtes…
C'est le label Soulbeats qui sort l'album. Comment s'est faite la connexion ? Soulbeats a contacté Dean Fraser. Je trouve que c'est un album très soulful, donc s'il sort chez Soulbeats, ça ne me pose aucun problème ! (rires). Voyons comment cela se passe, you know ?
Et qu'en est-il de la suite tant attendue de ''Contagious'' ? (Grand sourire) J'ai commencé à travailler dessus. J'écris, et nous avons commencé à enregistrer. Nous expérimentons beaucoup de différentes formes musicales. Ce sera très intéressant, et très beau, aussi. Qu'as-tu pensé de ''Contagious'' ?
J'ai beaucoup aimé. Justement, trouvera-t-on la même variété ? Oui, c'est certain. C'est ainsi que je fais de la musique, sur un spectre très large. Je ne me contente pas d'un style. Je fais des morceaux dancehall, ska, tout… Et je pense que mes fans apprécient cela. Ils aiment Good girl gone bad comme ils aiment She's Royal. Je pense que je peux rendre justice à plusieurs genres musicaux.
Une idée de titre ? Non.
Beaucoup te voient comme le meilleur espoir du reggae. Qu'en penses-tu ? Je n'en pense rien, c'est l'opinion des gens… Je le prends comme un compliment, mais je n'y accorde pas trop d'importance. Je me contente de jouer ma musique… You know ?. Les gens ont beaucoup de grandes attentes, et c'est bien, car ça veut dire qu'ils aiment ce que tu fais. Mais je ne m'en glorifie pas, je ne suis pas comme cela.
Ça pourrait te mettre plus de pression… Non, car je ne m'en occupe pas : ça ne me met pas la pression, et ça ne me monte pas à la tête. J'entends ce que disent les gens mais je le prends seulement comme un compliment.
Même la BBC… (Il coupe) Qu'est-ce qu'ils ont à la BBC ?
… t'a élu ''meilleur espoir de Jamaïque'' C'est un compliment. Mais encore une fois, je ne vais pas prendre la grosse tête. Je vais continuer à faire ce que je fais.
Le Reggae Month et le Black History Month viennent de s'achever (ils ont lieu pendant le mois de février en Jamaïque, ndlr). Etais-tu impliqué ? Oui, j'étais à l'affiche du Bob Marley Concert à Trenchtown. Et j'ai aussi participé à un projet avec Irie FM, appelé Freedom Writers, pour encourager les jeunes à écrire sur l'Histoire noire et ce genre de sujets (qui a lieu pour la deuxième année, ndlr). J'aide les jeunes à écrire une chanson ou un poème, de 200 mots ou moins, sur ce que l'Histoire noire signifie pour eux. C'est une façon de les impliquer dans l'écriture, et de les laisser s'exprimer…
Cela concerne beaucoup d'enfants ? Yeah man. C'est pour ça qu'on le refait cette année, ils se passionnent pour ça !
Cette année, la Jamaïque célèbre le cinquantième anniversaire de son indépendance. Est-ce que cela t'a inspiré musicalement ? J'ai participé à plusieurs projets. L'un avec Shaggy et plein d'autres artistes : Damian Marley, Beres Hammond, Assassin… Et puis j'ai une chanson enregistrée avec mon ami Charlie Pro intitulée We Run it. Même l'année dernière, j'ai fait des chansons pour et sur la Jamaïque. On est toujours là pour big up la Jamaïque. Atteindre 50 ans d'indépendance est un bon signe, on attend les 50 prochaines années, plus positives, plus productives…
En concert donné à l'occasion du Reggae Month, Protoje a déclaré que 50 ans après, il s'agit toujours d'obtenir la pleine indépendance. Qu'en penses-tu ? 'On ne peut pas libérer les gens sans un plan'', ce sont les mots de Marcus Garvey. Maintenant que nous sommes indépendants, nous devrions nous conduire comme tels. Comme quand tu quittes la maison de tes parents pour t'installer, tu dois te débrouiller seul. Doucement mais surement, on devrait être plus indépendants : acheter jamaïcain, construire jamaïcain, des choses comme cela, afin que nous puissions nous sentir et être vraiment indépendants. Il y a beaucoup de chemins et de moyens pour devenir indépendant, on ne le devient pas en une nuit. Même si tu es libre sur le papier, oui, tu dois être complètement indépendant. Cela demande beaucoup d'efforts. Mais nous avons le temps.
Y a-t-il quelqu'un avec qui tu n'as jamais travaillé et rêverais de le faire ? J'aime la musique et je suis prêt à travailler avec quiconque aime faire de la bonne musique. Parfois, les gens avec qui j'aimerais travailler sont morts… comme Amy Winehouse… J'aime ce qu'elle faisait. Mais je suis un grand fan de musique, et il y a tellement d'artistes, partout sur la planète, qui font de la bonne musique. Ce serait un plaisir de travailler avec eux. On travaille aussi sur un album de lovers rock, avec plein de chansons d'amour… C'est un projet pour les femmes. Je n'ai jamais fait d'album dédié pour elles, et elles nous donnent beaucoup d'énergie et de soutien. Donc on va enregistrer un album pour elles, avec des chansons pour les amoureux… Je pense que ce sera très sympa. Un petit cadeau lovers rock… Car j'aime différents genres musicaux.
Tes chansons s'inspirent souvent de faits sociaux, la violence domestique, le réchauffement climatique, l'éducation… Y a-t-il des sujets dans l'actualité qui t'inspirent pour écrire ? (Il réfléchit) Well, j'essaie toujours d'être honnête dans mes chansons, sans pour autant être trop personnel. Ma musique me correspond mais j'essaie de ne pas devenir trop personnel. Même le Shaka Zulu Pickney, cet hommage à l'Afrique… Je m'intéresse à ces choses-là… Dans l'album de lovers rock, dont je te parlais, je donnerai des chansons d'amour, mais mes chansons d’amour sont différentes, je ne me contente pas de « oh girl I love you »… Donc pour répondre à la question, il y a pleins de sujets différents, il y a des gens différents, des enfants différents, des arbres différents… Et ça vient toujours de ce que nous vivons au quotidien. Tu peux te laisser emporter par la musique, et les paroles t'évoquent quelque chose et tu peux te projeter dans cette chanson… J’essaye d’être vraiment singulier, précis, dans ce que je chante. Comme quand je chante : ''ina mi going out and comin in » (Never leave I) : j'ai écrit cette chanson pendant que je voyageais. Maintenant, quand les gens vont et viennent, ils ont leur chanson ! Cela part d'un sentiment personnel, que j'essaie de transmettre à un maximum de personnes.
A l'époque du couvre-feu à Kingston, en mai 2010, tu avais sorti plusieurs chansons invitant les gens à se protéger (Protect your neck, Wildfire…) Wildfire (sur le Major riddim de Don Corleon, ndlr) a été écrite pendant l'état d'urgence à Kingston en mai 2010 et parle de cette situation. Bien avant moi, c'est la raison d'être du reggae : le commentaire social, ce qu'il se passe dans la communauté.
Mais tu parles aussi de la violence des armes, et tu dis aux gens : ''faites attention !''. Penses-tu que les choses ont changé ? Je porterai toujours ce message aux gens, jusqu'à ce que les armes n'existent plus. Car même l'homme qui a fabriqué l'arme en a peur. C'est pour ça que je chante ''Pourquoi fabriquent-ils des armes ?'' (dans Living the life of a gun, ndlr).
Cette comparaison était bien vue… Oui, parce que Taurus est une marque de pistolet, brésilienne. Ces armes ne peuvent faire aucun bien. Mais pourtant, on les fabrique toujours. J'essaie de dire la vérité, on essaie de motiver les gens, sans te faire de sermons. C'est ma seule religion. J'appelle ma musique Healing music, pour que les gens se sentent mieux, ou apprennent quelque chose.
Merci, Tarrus Riley. Respect. Je vous remercie vraiment de venir me rencontrer ici. Dites bien aux gens que nous les remercions pour le soutien. Tarrus Riley est un grand fan de ses fans, et je ne prends pas pour acquis que les gens aiment ma musique. Je les aime et les remercie pour cela. Nous sommes une famille. Restez à l'écoute, et je ne vous décevrai pas.
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