INTERVIEW :
Interview et photos : Franck Blanquin
le vendredi 11 mars 2011 - 36 191 vues
Après une dizaine d’années d’existence, Danakil s’est imposé sur le devant de la scène française. Enregistré entre la Jamaïque, la France et le Mali, leur nouvel album, "Echos du Temps", est riche de collaborations variées et doté d’une superbe production. Assurément l’album le plus abouti du groupe. Nous rencontrons Mathieu (saxophone) et Balik (chant).
Reggaefrance / L’album a été enregistré entre Paris, Bamako et Kingston. Pourquoi ces choix ? En quoi ont-ils influencés l’album ? / Balik : Dans un premier temps, nous voulions changer de façon de travailler, par rapport à nos autres albums, enregistrés chez nous. Le reggae étant notre passion depuis près de 15 ans, le choix de Kingston s’est imposé de façon nette et précise. Il y avait tout le coté mythique des lieux dans lesquels nous avons enregistré. Tous ces noms de studios que nous lisions sur les pochettes d’albums que nous écoutions.
Mathieu : L’Afrique s’est également révélée comme une évidence, nous avions plusieurs pays en vue, comme le Togo, mais il y avait un manque d’infrastructures pour enregistrer. La Côte d’Ivoire, aussi, mais la sombre actualité ne nous permettait pas d’y aller. Nous avons donc opté pour le Mali.
Balik : J’y avais fais un repérage un an auparavant, et j’avais rencontré Manjul. A mon retour à Paris, j’ai dit au groupe : "J’ai trouvé".
Mathieu : Au final, on voulait que cet album possède une couleur particulière, aussi bien au niveau des instruments utilisés que des collaborations.
A Kingston, suite à l’annulation de votre réservation dans le studio de Buju Banton, vous vous êtres retrouvés dans la plupart des studios légendaires de l’île (Tuff Gong, Harry J…) Mathieu : Ce fut un mal pour un bien, nous avons dû nous réorganiser, travailler la nuit. Il nous a fallu trouver notre rythme. Mais nous avons eu plus de temps, car ils sont moins regardants sur les horaires la nuit… Le fait que ces sessions soient nocturnes contribue à leur magie.
Balik : Sur place il n’y avait pas un jour sans que l’on croise un musicien légendaire, Kiddus I, Leroy "Horsemouth" Wallace… Une partie de l’équipe de Music Action, notre tourneur, nous a rejoints en Jamaïque, et nous a fait bénéficier de leurs connexions. Nous avons pu donc avoir sur l’album la participation Sticky Thompson et de U-Roy.
Au Mali vous avez travaillé avec Manjul. Que vous a-t-il apporté sur la conception de l’album ? Balik : Il a fait un énorme travail sur les arrangements de cuivres et les chœurs. Dès que nous lui faisions écouter un morceau, il nous proposait différentes harmonies pour les voix... Il est très prolifique et doté d'un grand sens de l’orchestration pour la réalisation d’un album. Et c’est également un très bon musicien.
Mathieu : Il nous a aussi aidé sur l’arrangement des instruments africains traditionnels. Grâce à Manjul, nous avons également pu faire deux concerts à Bamako. C'est grâce à lui que nous avons rencontré Natty Jean (qui les accompagne désormais en tournée, ndlr) et DJ Lion.
On s’est construit petit à petit,
c’est avant tout une histoire d’amitié... On l’impression qu’il s’agit de l’album le plus aboutit de Danakil… Mathieu : Pour nous il est évident que nous ne sommes jamais allé aussi loin dans l’enregistrement d’un album, on n’a jamais eu autant de temps, ni de moyens… Avant d’enregistrer nous avions clairement nos différents souhaits en tête pour cet album, il a été longuement mûri. Nous avons également eu beaucoup de chance car tout s’est déroulé à chaque fois dans les bons timings, avec les bonnes rencontres. De plus, la façon d’écrire de Balik a beaucoup évolué, les textes ont une tournure plus poétique, ce qui était moins présent dans nos albums précédents.
Héritier du sort dénonce les travers de notre société. Votre vision du monde semble sombre… Balik : Pour moi ce qui apporte l’espoir dans cette chanson, c’est l’instru qui contrebalance le texte. Je suis parti de la formule « Aussi loin que l’œil peut voir » que je trouve intéressante, et la suite est venue assez naturellement en faisant un constat du monde actuel, c’est un peu un état d’âme. Je m’interroge en me plaçant au centre de ces questions, pour savoir si moi aussi j’ai ma part de responsabilité.
Mathieu : C’est une chanson particulière pour nous car nous avons eu du mal à caler la musique avec le texte de Balik. A l'origine, il avait écrit ce texte sur un beat hip hop de Mobb Deep. Plusieurs fois nous avons failli abandonner.
Sur le titre Regards croisés en duo avec Natty Jean, le flow de Balik se rapproche plus du rap. Balik : Il est vrai que pour ce morceau nous sommes sortis quelque peu des chemins habituels qu’emprunte le reggae. Quelques personnes nous ont dit être touchées par le texte mais que l’arrangement du morceau ne leur convenait pas. Mais on sait qu’il s’agit d’un titre qui fonctionnera bien en live.
Mathieu : Nous n’avons pas triché en faisant un morceau hip hop car ça fait partie de nos influences, et c'était un souhait de Balik depuis longtemps.
Qu’est ce qui vous a poussé à reprendre ce standard de la chanson française (Non je ne regrette rien) et de collaborer avec U-Roy ? Balik : Nous avons repris pour la première fois ce morceau lors de notre concert à Olympia, et le morceau a très bien fonctionné en live.
Mathieu : Dès le départ, lorsque nous avons décidé de reprendre ce titre, on savait que l’on souhaitait la contribution de U-Roy, le mélange du chant et du toast. Nous voulions faire ce pont entre nos 2 cultures musicales.
Comment s’est déroulée la collaboration avec la famille Mc Anuff ? Balik : On s’est croisés à de nombreuses reprises sur les tournées. Nous avions fait un titre en live avec Matthew au Reggae Sun Ska et on avait prévu de le mettre sur le nouvel album. Arrivés en Jamaïque, on leur a proposé d’enregistrer ensemble un titre, écrit spécialement pour l’occasion, ce qui n’avait jamais été fait. La session s’est déroulée au Harry J Studio, un moment assez extraordinaire où nous avons croisé Pablo Moses qui est rentré dans le studio en plein enregistrement, ou encore Sly Dunbar qui est passé chercher un tom de batterie…. C’était l’encyclopédie du reggae sous nos yeux.
Quel bilan tirez-vous de cette décennie écoulée depuis les débuts du groupe ? Balik : Nous pensons que tout vient à point à qui sait attendre, il nous a fallu beaucoup de patience pour parvenir au statut d’intermittent. Chaque étape de notre carrière a été intéressante à vivre, dès nos premières tournées pendant lesquelles nous dormions sur la plage, jusqu'à notre Olympia. On aurait pu arrêter l’aventure des dizaines de fois. On s’est construit petit à petit, c’est avant tout une histoire d’amitié entre des amis qui se connaissent depuis le lycée.
En 2011, comment arrive t’on à faire vivre un groupe de reggae ? Mathieu : C’est nos concerts qui nous font vivre, la vente de disques nous sert juste à réinvestir dans le prochain album. On essaye également de proposer d’autres alternatives comme le fait d’offrir l’album pour une place de concert achetée. Nous voulons montrer aux gens que le cd est encore là, et après tout le travail effectué en studio, on souhaite que le public écoute l’album dans de bonnes conditions, plutôt qu’une version téléchargée avec une qualité sonore au rabais.
Balik : En ces temps de crise, au prix d’une place de concert et d’un album le public a du mal à s’offrir les deux. De plus, cela permettra de faire circuler l’album auprès d’un plus large auditoire.
Sur notre forum, un sujet a suscité beaucoup de réactions, c’est un papier écrit par un bloggeur de Mondomix, « Danakil le reggae pour les mal-comprenants ». Mathieu : Oui nous avons vu cet article, ce sont des critiques que l’on retrouve souvent sur différents forums. Mais il s’agit d’un argumentaire que l’on trouve stérile car il n’y a pas de fond. Par exemple, on y trouve des considérations sur les locks de Balik mais rarement des choses intéressantes… Souvent les gens s’arrêtent à l’étiquette "reggae français", alors qu’il faut juste prendre cela comme de la musique. Nous ne sommes pas obligés de rentrer dans des codes précis.
Y a-t-il des producteurs ou des musiciens avec lesquels vous souhaiteriez travailler ? Balik : J’aimerais bien faire un morceau avec Tairo, je ne l’ai jamais rencontré mais j’apprécie beaucoup ce qu’il fait. On a une idée de morceau avec Alpha Blondy que l’on a croisé souvent sur la route mais que nous n’avons pas pu concrétiser pour cet album. On aimerait bien faire un titre avec Akhenaton…
Vous avez deux titres qui vont sortir pour Soul Vybz, enregistrés avec Sly & Robbie. Pouvez-vous nous en dire plus ? Balik : Il s’agit de versions différentes de deux morceaux présents sur l’album, L’avenir et Timeline. La version originale de ces titres est celle de Soul Vybz. Lorsque nous avons enregistré avec le groupe, je ne leur ai pas fait écouter les titres enregistrés avec Sly & Robbie afin qu’ils donnent une autre instru au morceau. Il s’agit donc de rendus totalement différents.
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