INTERVIEW :
Propos recueillis par : Sébastien Jobart
Photos : Lenshot.fr
le vendredi 19 novembre 2010 - 14 676 vues
Ils sont l’une des dernières formations roots jamaicaïne à encore produire des albums. Après trois ans sans nouvelles, Israel Vibration est de retour avec un nouvel opus, "Reggae Knights", qu’ils sont venus défendre en France. Au travers d’un patois épais guère dilué par l’accent des Etats-Unis où ils résident, nous évoquons avec eux ce nouvel album réalisé avec un casting de premier choix.
Reggaefrance / Vous revenez avec un nouvel album et une nouvelle équipe. Vous aviez besoin d'air frais ? / Skelly : Exactement. C'est comme ça que Israel Vibration a commencé à ses débuts. Nous n'avions pas un groupe attitré de musiciens, nous en utilisions plusieurs. Sauf avec Ras Records. Les dix derniers albums avaient le même son, et Wiss et moi avons décidé qu'il était temps de changer. Nous sommes retournés vers le roots, et en Jamaïque nous avons travaillé avec Dean Fraser, des petits jeunes de la nouvelle école, nous avons aussi Robbie à la basse. C'est une nouvelle saveur, nous avons un nouvel arrangement de notre musique. Nous espérons que nos fans aimeront ce nouveau son.
C’est vous qui avez pris la décision de ce changement ? Skelly : Toute décision est prise en accord avec Wiss et moi-même. Nous nous connaissons depuis si longtemps, nous savons ce que nous voulons entendre. Personne ne nous impose rien. Le seul qui peut nous imposer quelque chose est King Selassie I.
Wiss : En même temps, nous tirons beaucoup de discussions et d'échanges. Si on nous dit "on pourrait essayer ça", on va le faire, on ne va pas s’en priver.
Sur l’album, on retrouve Bad intention, votre premier morceau. Skelly : Well, quand nous sommes entrés dans le monde de la musique… On était sur Orange Street, on cherchait à rentrer dans un studio. Nous sommes allés à Channel One, et M. Mawall, paix à son âme, était là. C’est lui qui nous a introduits dans le studio, et Channel One était l’un des plus grands studios de Jamaïque à l’époque. Il nous a aidés dans nos débuts. La première fois que nous sommes entrés dans un studio, c’était pour ce morceau, Bad Intention. Mais il y a eu des désaccords et nous ne l’avons pas sorti. C’est sympa de le rejouer pour l’album, et nous espérons que le public appréciera.
 Les gens n’ont peut-être pas une bonne opinion de nous, mais qu’importe, nous sommes fiers de notre île !  Le morceau Cantankerous, qui parle de la Jamaïque, est un mento. Skelly : Cette chanson… Comme on le disait, nous avons essayé des choses différentes. Un des musiciens, Steve Golding, c’est un professeur, est venu nous voir en nous disant : « J’ai des paroles dont je voudrais parler avec vous ». C’était ses arrangements et c’est lui qui a amené l’idée du mento. C’est la première fois que je chante sur du mento.
Mais on sent que vous avez un goût prononcé pour les rythmes plus rapides, le ska ou le rocksteady par exemple. Skelly : Yeah ! J’aime voir l’énergie d’une foule. Parfois, le public est moins dynamique mais quand ils entendent un rythme rapide, c’est reparti. Et j’aime voir ça !
Cantankerous est aussi un nouvel hommage à la Jamaïque et aux Jamaïcains. Skelly : Où que j’aille, partout où nous allons dans le monde, il y a au moins un Jamaïcain. Donc nous disons : peu importe qui nous sommes, nous sommes des ambassadeurs. Cela veut dire que tu dois représenter ton île. Les gens n’ont peut-être pas une bonne opinion de nous, mais qu’importe, nous sommes fiers de notre île !
Mais vous dénoncez sa violence sur Original Gangster. Skelly : Je n’aime pas le crime entre les jeunes. Ce gangstérisme, constant, ne fait que croître et se multiplier. Par exemple, je peux me retrouver facilement derrière les barreaux, pour un délit mineur. Mais en prison, il me faudra choisir mon camp, pour assurer ma protection : la prison est l’école du crime. Paris est ton quartier, n’est-ce pas ? C’est ton droit le plus naturel de le défendre. Pas forcément en usant de la violence, mais avec les mots. Ce n’est peut-être pas violent, mais ça reste du gangstérisme. Si un policier a un problème avec toi, il sort son sifflet et te voilà entouré par 10 personnes. Ce sont des gangsters légaux : ils ont le droit de porter une arme et de t’enfermer. Il y a différents genres de gangsters : il y a la mafia et aussi les jeunes dont certains semblent hors de contrôle, et qui ne font que tuer, tuer, tuer. Je ne soutiens pas cela, mais c’est la réalité. Et il faut la regarder en face.
Wiss : Si les gens se réunissaient au sein de gangs pour devenir une force politique, ils pourraient faire des choses positives, mais quand on parle de gangs, la première chose à laquelle on pense c’est la violence, le sang… Une fois qu’on rentre là-dedans, il faut en mesurer les conséquences…
Skelly : Wiss a des enfants, et moi aussi. Je leur ai dit : « Je ne peux pas prendre vos décisions pour vous. Mais je peux vous dire qu’il n’y a que trois issues pour un gangster : le cimetière, le pénitencier, ou l’asile psychiatrique. » On ne peut pas décider pour eux, et les jeunes voient les choses de manière différente. La seule chose qu’on peut faire, c’est leur souhaiter le meilleur.
Wiss : En fait, nous aussi sommes des gangsters, mais on ne se donne pas ce nom-là. On s’appelle soldats de Jah, nous sommes des membres de son armée.
Skelly : C’est un petit jeune, Black, qui fait du dancehall, qui nous a fait le riddim. C’est un infirme, comme nous.
Que vous ont inspiré les événements de mai à Kingston et la traque de Dudus ? Skelly : Nous vivons aux Etats-Unis, pas en Jamaïque. Donc ces événements ne nous ont pas affectés, car nous n’y vivons pas, nous ne savons pas exactement comment ça s’est passé, même si nous lisons les journaux.
Wiss : Ces gens sont supposés être aux commandes, ils font les lois et les font appliquer. Ils ont le pouvoir de t’arrêter, de te battre, que ce soit pour de bonnes ou de mauvaises raisons. Ils peuvent le faire.
Skelly : Parfois, ce sont eux qui viennent te supplier. Les politiciens ne veulent pas se salir les mains. Ils se tournent donc vers les gangsters pour le faire. Tout se mélange, la politique et le gangstérisme. Comme nous le disons, c’est la réalité.
En Jamaïque, il y a un long passé d’affiliation des gangsters au JLP ou au PNP. Skelly : Exactement. Le business du gangster… C’est la même merde, ça ne change jamais. Il y a des personnes différentes, et pourtant c’est toujours la même merde.
Que s’est-il passé avec Junjo Lawes pendant l’enregistrement de "Why you so craven" ? Wiss : Le truc, c’est que nous ne travaillons qu’avec nos riddims, nous n’utilisons pas un riddim où d’autres ont chanté. Quand nous avons fait ces morceaux, Junjo voulait faire chanter d’autres artistes dessus. Nous lui avons dit : « Nous ne travaillons pas comme cela ». Il nous avait donné une avance, il a voulu la récupérer. Finalement, il a pris les Tamlins pour finir l’album.
Skelly : This album is a hustling album. Hustlers !
Ca reste quand même un bon album. Skelly : C’est un bon album, mais le deal n’était pas correct.
Gregory Isaacs s’est éteint il y a peu. Pensez-vous que le reggae roots puisse survivre à la disparition de ses principaux ambassadeurs ? Wiss : L’arbre ne s’arrête jamais de croître. S’il meurt, d’autres vont pousser. La musique de l’Amour et de la Vie ne peut pas mourir.
Skelly : Les jeunes ont le potentiel. Il y a le dancehall, le problème c’est qu’il faudrait plus de paroles culturelles. Nous-mêmes pouvons faire du dancehall, car cela vient de loin, du ska, c’est la dernière branche de l’arbre. Les jeunes devraient s’assoir et écrire un bon texte. Cela peut marcher, ils ont les riddims, il leur manque les paroles.
Après le départ d’Apple Gabriel, avez-vous pensé à recruter un troisième chanteur pour maintenir les harmonies vocales ? Skelly : Quand Israel Vibration est né, on ne ressemblait pas aux autres groupes. Il y avait une forte unité. La raison de cette unité, c’est qu’il n’y avait pas de lead singer. Pourquoi ? Parce que chacun d’entre nous écrivait ses propres chansons. Supposons maintenant qu’un mec arrive et dise : « je veux faire une carrière solo ». Dois-je attendre qu’il revienne ? Non ! Amener une autre personne ? Je ne pense pas que ce soit une bonne solution. Désormais, les harmonies sont faites aussi par le groupe, et cela convient parfaitement.
Vous jouissez d’une grande popularité en France, comment expliquez-vous que les Français soient autant dans le reggae roots ? Wiss : Ce que je peux dire, c’est que les Français connaissent la bonne nourriture !
Skelly : Nous remercions les Français car il semble qu’en Europe, ils soient notre meilleur soutien. Je me souviens de la première fois que je suis venu à Paris, on s’est dit : « La France, c’est comme à la maison !»
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