INTERVIEW :
Propos recueillis par : Sébastien Jobart
Photos : DR
le mercredi 27 octobre 2010 - 7 599 vues
C’est la révélation outre-Manche : avec son premier album, Put the stereo on, Gappy Ranks remet au goût du jour de vieux riddims et leurs labels. Après des années dans l’underground, tout va désormais très vite pour Gappy Ranks, signé chez Greensleeves, programmé au Sting cette année et nominé aux Mobo Awards dans quelques jours. Sans oublier les bons débuts de son label, Hot Coffee Music. Rencontre avec le nouveau n°1 en Angleterre.
Reggaefrance / Ton père est Jamaïcain et ta mère dominicaine. Quelle éducation musicale as-tu reçu ? / Mon père écoutait 90% de reggae. Ma mère écoutait également du reggae, mais aussi de la soul, les grands standards américains comme Al Green ou Ray Charles. Londres, d'où je viens, est une ville multiculturelle. J'ai donc baigné dans l'influence de toutes sortes de musique. Mais Harlesden est un quartier majoritairement jamaïcain, et le reggae a eu une influence essentielle sur ma carrière. Des artistes comme Bob Marley, Alton Ellis, Cutty Ranks, Bounty Killer, Beenie Man… Mais aussi des artistes de mon quartier : Sweetie Irie, Rudy King, Chukki Starr, General Levy…
Tu as enregistré ton premier morceau, à l'âge de 11 ans, avec le Ruff Cutt Band. Comment est-ce arrivé ? Quelqu'un m'a présenté au studio où ils répétaient pour un concert, sur High Road. C'est le premier studio dans lequel je suis entré. J'y ai enregistré mon premier morceau. Michael Prophet, qui était dans le studio, nous a aidés à écrire les paroles. C'était ma première expérience, j'étais vraiment très jeune. Je me souviens aller au studio en sortant de l'école.
Plus tard, à l'adolescence, tu es membre du groupe dancehall Suncycle. Oui, c'était plus tard. A l'évidence, la musique n'était pas ma priorité. J'avais d'autres soucis, d'autres choses à penser : la rue, des problèmes familiaux, personnels… Puis j'ai rencontré Redd avec qui nous avons monté plus tard le groupe Suncycle. J'ai beaucoup appris au sein de ce groupe, mais je l'ai quitté car j'avais plus à offrir que 8 ou 16 mesures, ou un refrain. Je suis parti en bons termes, je devais me trouver moi-même. J'ai commencé à faire l'ingénieur du son, à enregistrer. J'ai rencontré le Viceroy crew. On mixait des cds, on les vendait dans la rue…. Pour faire de la promotion, construire le nom de Gappy Ranks.
Au début, Peckings m'a proposé des riddims dancehall. C'est moi qui lui ai demandé du Studio One. Tu es ainsi resté longtemps dans l'underground. Oui, c'était vraiment local. Ce n'était même pas à l'échelle de Londres, mais seulement de mon quartier, Harlesden. Ce n'est que récemment que j'ai conquis Londres, puis le Royaume-Uni, et maintenant je m'attaque à l'international.
Tu travailles avec un large panel d'artistes, de tous genres musicaux. Tout à fait. En 2005, j'ai fait un morceau avec Twista, un rappeur de Chicago, produit par The Kray Twinz. Le producteur exécutif, Richard « Sticky » Forbes, était le pionnier du UK garage. Je lui avais fait un dubplate auparavant et il m'a rappelé pour me proposer d'enregistrer avec Twista. Je n'en revenais pas car je n'étais qu'un artiste local. Je n'ai pas gagné beaucoup d'argent sur ce coup, mais j'ai eu beaucoup de promotion. J'en suis très reconnaissant. J'ai même travaillé avec Texas, le groupe de pop britannique, ou So Solid Crew, qui faisait du garage à l'époque…
La versatilité, c'est justement ce que démontre ton premier album. "Put The Stereo On" est comme une machine à remonter le temps. J'ai eu la chance de rencontrer Peckings qui avait les droits de Studio One au Royaume-Uni. Son père, Georges Price, était lié à Coxsone pour distribuer ses disques. J'ai chanté sur des riddims qui ont 30-40 ans, ceux que pouvaient jouer mes parents à la maison. C'est un régal. Je chante des sujets modernes sur ces vieux riddims. Cela peut toucher plusieurs générations, et c'est tout l'objet de mon album, réunir des vieux et des jeunes… La musique n'a ni couleur, ni visage. J'aime faire de la bonne musique pour tout le monde. C'est l'un des fondements du reggae, de s'adresser au monde entier.
L'album est produit par Peckings qui est aussi le producteur de Bitty McLean. T'a-t-il donné des directions ? Pas vraiment. Au début, il m'a proposé des riddims dancehall. C'est moi qui lui ai demandé du Studio One. Au l'époque où je passais au studio, il produisait un autre chanteur. Je lui ai dit "J'ai besoin de ces riddims sur lesquels chante ce mec". Le dancehall est bien, mais il y a moins d'émotions. Il m'a donné la volonté de créer mes propres morceaux. Je suis mon propre ingénieur, j'ai enregistré 90% de mon album. Il m'a laissé tranquille et c'est comme ça qu'il a obtenu mon vrai travail.
La première fois qu'on a entendu parler de ce premier album, son titre était "Breakast in Jamaica". Cet album a été annulé. Non, pas annulé, disons "mis en attente". J'ai changé de management…
C'était un album différent, avec d'autres chansons ? Oui. J'ai d'abord été approché par VP et Greensleeves. J'avais un deal où il me fallait tout recommencer, et leur donner… J'ai refusé, si tu veux. Ce n'était pas la bonne chose à ce moment-là. "Breakfast in Jamaica" a fait partie de tout ça, mais vous entendrez cet album ! Je ne sais pas quand, mais… "Put the stereo on" est venu à un bon moment. Je sortirai un nouvel album en janvier 2011, intitulé "Thanks And Praises". J'ai tellement de chansons à chanter, sur des genres différents… Celui-ci aura un style plus dancehall, hip-hop.
Tu as fait du chemin jusqu'à la notoriété, après avoir connu la rue… Tu peux l'entendre dans mes chansons. Vivre dans la rue m'a permis de me connaître moi-même. J'apprécie mieux les choses, j'ai plus d'émotions, une meilleure compréhension du monde. Rien ne doit être considéré comme acquis. Dans le second couplet de Mountain Top, je dis : "Il ne faut pas juger un livre à sa couverture". Une grande phrase qui a été exploitée dans beaucoup de livres et de films… Je suis la preuve vivante qu'il ne faut pas juger un livre par sa couverture. Je sais ce que c’est de ne pas savoir où dormir, de déambuler dans les rues pendant que les gens dorment dans leur lit. Je peux comprendre la douleur que ces gens connaissent. Ce n'était pas facile pour moi. Mes deux parents étaient immigrants, et de pauvre condition. Je ne regrette pas ce que j'ai connu, car cela m'a rendu plus fort. Et tout ce qui ne te tue pas te rend plus fort. C'est une expérience… you know… c'est une souffrance que je devais connaître et que j'ai connu, et je suis là aujourd'hui pour en parler.
Et quand le succès est venu, tu n'a pas connu l'ivresse ? Comme je le disais, vivre dans la rue m'a beaucoup appris. Le succès… Ca ne s'arrêtera pas là : ce n'est que le début de la carrière de Gappy Ranks. Quand j'ai fait le titre avec Twista aussi j'aurais pu prendre la grosse tête, parce que c'était très sérieux ! Ce qui m'arrive aujourd'hui est un peu la même chose, en plus important. Je suis aussi plus mature. J'ai voyagé, rencontré des gens et des cultures différentes, ça se ressent dans ma musique. J'adore faire de la musique. Tant que je conserve cet amour, le succès n'est qu'une récompense.
Certains artistes perdent la tête… C'est très facile pour un nouvel artiste. Mais j'ai un entourage solide autour de moi, la famille et les amis qui veillent sur moi. J'essaie de me souvenir d'où je viens. C'est pour ça que tu m'entendras beaucoup parler de la rue, des pauvres, et d'élévation. J'essaie de ne pas perdre de vue d'où je viens.
Que peut-on attendre de ton label Hot Coffee Music ? Nous avons différents riddims, avec des artistes internationaux mais aussi des artistes "maison" comme Redd, Baby Chris… Il y a le Tsunami Riddim, le Sleeping Tiger, le Chocolate Box… Nous faisons beaucoup de showcases, nous avons de la diffusion radio, on sort quelques EPs en ligne… C'est très prometteur. Nous sommes nouveaux, mais en quelques mois, nous avons accompli beaucoup. Notre musique est jouée du Japon à la Californie, en passant par l'Afrique et l'Europe. Je suis très heureux de la promotion dont bénéficie Hot Coffee Music. Les gens peuvent nous suivre sur Facebook, Twitter, MySpace… Je suis beaucoup dans les réseaux sociaux. Il faut être à la page. Je suis sûr que les gens vont entendre beaucoup parler de Hot Coffee Music.
|
|