INTERVIEW :
Propos recueillis par : Sébastien Jobart
Photos : DR
le mercredi 28 avril 2010 - 6 976 vues
Jouer la musique comme les Jamaïcains la jouait il y a 50 ans, tel est le défi que relèvent depuis 15 ans les membres de Jim Murple Memorial, s'attachant à faire faire (re)vivre la musique populaire jamaïcaine. Leur sixième album, "A la Recherche du son perdu", s'inscrit évidemment dans cette ligne. Bricoleurs, archéologues de la musique jamaïcaine, les Jim Murple Memorial sont un peu comme des antiquaires dont la boutique serait pleine de délicieuses vieilleries. Pas de nostalgie, mais le souci de transmettre. Entretien avec Nanou, la chanteuse de la formation.
Reggaefrance / Le titre du nouvel album résume plutôt bien la démarche de JMM depuis plus de 10 ans… / Oui, c'est vrai. Si on a choisi ce titre, c'est aussi parce que ce n'est pas vraiment de la mélancolie, mais plutôt comme si on était des archéologues de cette musique. Parce qu'on nous a taxé plusieurs fois de nostalgiques, mais ce n'est pas vraiment la réalité. On est attaché à cette musique parce qu'on l'aime, on la trouve très riche. On a écouté plein d'artistes de cette époque et on n'aura probablement pas suffisamment de notre vie pour en faire le tour. On s'est dit que pour faire bien quelque chose il fallait bien le connaître. Si le son est perdu, c'est parce qu'on n'est plus nombreux à jouer cette musique-là.
Ce son perdu, vous l'avez trouvé ? On le cherche. C'est un peu le clin d'œil, parce qu'on est des bricoleurs. Personne dans le groupe n'a fait d'études d'ingénierie du son. C'est du travail de brocanteurs : on est allé chercher des micros par-ci, des compresseurs par-là, quelques conseils aussi… On enregistre tout chez nous, dans le local construit par Romain (le guitariste, devenu batteur de la formation, ndlr). C'est un petit laboratoire.
La recette n'a pas changé : c'est dans les vieux pots qu'on fait les meilleurs soupes. C'est ça. Notre recette à nous, c'est la compile des vacances, avec du steady, du ska, du reggae, du calypso… beaucoup de soleil. Il y a quand même des notes un peu rythm & blues, pour toucher le cœur des gens. On ne va pas changer quelque chose qui fonctionne. Ca nous plaît de marcher comme ça. Ca a été difficile de remonter une équipe solide ces dernières années. Il y a eu beaucoup de musiciens qui sont passés dans les Jim Murple. Ca a été un combat, dans le sens où il a fallu défendre notre projet. On a beau être en 2010, si on veut que la musique sonne comme avant, il faut la jouer comme elle était jouée à l'époque. Ce qui demande de s'investir de cette culture, écouter, s'écouter… Le B.A-ba de la musique, en somme, les Cubains ou les jazzmen connaissent très bien comment ça fonctionne.
 Pourquoi pas finir comme les vieux Cubains ? Avec tous les musiciens qui seront passés par Jim Murple ?  Comment la musique a évolué depuis les débuts de la formation ? On joue mieux, on a pris un peu de bouteille. Jusqu'à présent, on savait ce qu'on voulait faire sans en avoir forcément les capacités, et plus on avance plus on arrive à retranscrire vraiment ce qu'on a dans la tête.
Il y a trois chansons en français, ce qui est plutôt rare dans votre discographie. C'est pour les radios ? Oui, c'est ça. Et puis on y prend goût.
Il y a ce côté chanson française un peu canaille… Ca tire aussi un peu vers la biguine (musique traditionnelle des Antilles, ndlr). Finalement on s'y est retrouvés. On a eu très peur, je ne te le cache pas, au départ.
Pour l'écriture, même. Oui, c'est plus compliqué. Parce qu'on ne voulait pas faire de chanson à textes. On s'est rendus compte que la chanson américaine est très standardisé : un refrain, un couplet, un refrain… alors que le Français aime bien qu'on lui raconte une vraie histoire. Les Anglo-saxons, ou même les Jamaïcains, se contentent d'un refrain, c'est une espèce de rengaine. On a essayé de trouver des petits trucs simples à partir du même principe de l'orchestration simple.
On imagine que tu as baigné dans les influences des grandes divas du jazz… J'ai eu la chance de grandir avec des parents Pieds-Noirs, dont les disques venaient plus des Caraïbes que de France. J'ai donc échappé aux yéyé et j'ai grandi dans le calypso, Ella Fitzgerald, Louis Armstrong. C'est aussi ce qui fait la spécificité des Jim Murple, j'ai un bagage jazz.
L'album, comme tous les autres, est produit par vos soins. On ne vous imagine pas travailler autrement. Vu le son qu'on a envie de jouer, il n'y a pas vraiment de producteurs qui ont été intéressés pour l'instant.
Quand on l'a rencontré en 2004 Romain nous disait : ''on n'est pas là pour faire un tube mais pour exister''. Tu es toujours d'accord avec ça ? On veut faire la musique qui nous plaît, et si on doit redevenir amateurs pour le faire, on le fera. Jusqu'ici, on a réussi à tirer notre épingle du jeu. La conjoncture fait que c'est toujours plus difficile, mais la musique c'est quelque chose de magique. Si c'est pour faire des choses qui ne te correspondent plus, c'est pas la peine.
Et si une maison de disques vous approche ? Si c'est pour nous dire ''on adore ce que vous faîtes, restez comme vous êtes'', on n'est pas dingues non plus, on a tous des loyers à payer, des enfants à élever…
Romain nous disait aussi ''Un carton ruine ton image et te fait passer dans l'inconscient collectif des gens''. Je ne sais pas... Moi je trouve que faire un carton te permet d'être écouté. L'anonymat c'est bien, mais tes revendications ne sont jamais entendues. On est dans une société de surconsommation, de surproduction, de boulimie en général. Quand tu fais quelque chose d'authentique, c'est aussi ce qui fait le succès d'estime de Jim Murple, avec un public qui nous suit depuis des années, et qui nous permet de vivre encore maintenant. Quand Romain dit ça, c'est aussi pour rester vigilant. Il faut rester fidèles à nos convictions, nos valeurs. Quand les gens étaient trop dithyrambiques, il fallait garder les pieds sur terre. On a toujours défendu l'idée qu'on est des ouvriers de la musique.
On a commencé dans les bars, puis les péniches, puis les petits clubs. Quand les gens se rendent compte que ta musique fédère, et balance sur des grandes scènes qui ne te correspondent plus… On te dit ''Il va falloir apprendre à habiter une grande scène'', et tu te demandes pourquoi. Quand tu te retrouves sur des gros festivals, c'est autre chose. On passe dans une autre dimension. Nous, on a toujours privilégié une échelle plus humaine. Ne pas faire de grosses tournées parce qu'on a des enfants…
Cela dit, vous tournez quand même beaucoup. On l'a beaucoup fait. Là, on marque une petite pause. On s'est rendu compte que ça permettait de mettre de l'air dans la musique et de digérer un peu.
'A la recherche du son perdu'' est né dans ce contexte ? Oui, c'est la première fois qu'on a pris du temps pour enregistrer. Et je pense qu'on l'entend. On a mis un an et demi pour tout finaliser.
Un mot sur la situation du marché du disque ? Jim Murple n'a jamais vendu énormément de disques. On espère toujours en vendre davantage, bien sûr, mais on s'est toujours dit que notre métier était de faire des concerts. Le cd est vraiment un support promotionnel, donc qu'il soit un objet ou sur le net, ça revient au même.
Vous êtes partis pour poursuivre pendant combien de temps ? On ne sait pas... Pourquoi pas finir comme les vieux Cubains ? Avec tous les musiciens qui seront passés par Jim Murple ? Pour le moment, on va pour défendre ce nouvel album. L'équipe actuelle est super, du coup ça donne envie. On ne veut pas faire de plans sur la comète. Les temps sont durs, et si ça fonctionne de manière à nous permettre de continuer, on le fera avec plaisir. Si la conjoncture est trop dure, on verra. On n'arrêtera pas la musique, mais on verra… On est quand même dans l'époque du jetable. On aimerait bien aller jusqu'au bout, continuer à écrire…
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