INTERVIEW :
Propos recueillis par : Benoit Collin Traduction : Benoit Georges & Seb
Photos : DR
le jeudi 12 novembre 2009 - 31 794 vues
Alors qu'il est en pleine tournée française, nous publions cet entretien avec Sizzla réalisé avant l'été. Le Bobo revient avec nous sur les derniers faits marquants en Jamaïque. Sizzla, qui n'est plus vraiment au coeur des polémiques et des clashs entre artistes, observe désormais avec hauteur la nouvelle génération. Et s'ouvre de nouveaux horizons. En dehors de ses investissements attendus (label, t-shirts, baskets...), Sizzla pense à acheter des terres en Afrique et nous annonce son nouveau projet : devenir fermier !
Reggaefrance / Ton dernier album en date est Ghetto Youths Ology" tu peux revenir sur la naissance de ce projet ? / C'est un très bel album, intitulé "Ghetto youth-ology". Je l'ai enregistré avec le Firehouse Crew, le groupe de mes débuts, à l'époque de Luciano. Je travaille toujours avec eux, je fais mes tournées avec eux. C'est mon groupe, et depuis le temps, il était temps de leur donner un album. C'était le meilleur choix. L'album a été enregistré en Jamaïque, entre les tournées. En fait, on a enregistré à coups de 2 ou 3 chansons à chaque session, on revenait en Jamaïque, on composait les riddims puis je chantais, on prenait la vibe, quoi. Et un jour, l'album était prêt. Je leur ai dit : "sortez-le, faites-en ce que vous voulez. Il faut l'appeler Ghetto Youth-ology" Car les jeunes du ghetto sont la vie. C'est un bel album, fait avec amour.
C'était encore un projet avec VP. Tu n'as pas envie de sortir un album sur ton propre label ? Oui je pense à sortir des albums sur mon label. J'ai déjà des albums sortis sur mon label. J'ai travaillé avec Def Jam, à travers une collaboration entre Kalonji Records et Def Jam. Mais pour des raisons de contrat, nous avons sorti ce projet avec Damon Dash.
Oui, l'album "The Overstanding", qui n'a pas eu beaucoup d'exposition en Europe. Il n'est même pas sorti officiellement en France... Et l'album "Life" qui est sorti sur Kalonji ? Il y en a un autre qui va arriver prochainement. Il y a beaucoup d'albums qui ne sont pas sortis, dont tu n'es pas au courant. Car je travaille beaucoup et partout, il faudrait donc réunir tous ces producteurs pour compiler les chansons, en faire un album et le sortir avant que je ne sorte mes propres productions. J'ai beaucoup de travail qui m'attend.
Tant que le soleil brillera, j’ai besoin de chanter, je dois chanter... C'est l'avantage de travailler avec VP, obtenir une meilleure exposition... Oui, j'ai travaillé avec VP et Greensleeves depuis toujours. Ces deux labels ont sorti les albums de Sizzla depuis le début.
Et maintenant, c'est le même bateau. Oui, les deux labels ont fusionné, ça ne peut que être positif pour moi, pour un prochain album. Désormais, les albums que VP ne distribuait pas en Europe vont l'être. Ce qui est bien. Avec VP, Sizzla a eu accès au marché américain, avec Greensleeves, au marché anglais. Maintenant que ces deux entreprises se sont réunies, ce serait bien de sortir un album parce qu'on travaille depuis longtemps ensemble.
On n'entend plus de collaborations avec Xterminator, pourquoi ne plus travailler ensemble ? On n'a jamais cessé de le faire. J'enregistre toujours mais c'est juste que Fattis ne sort pas les morceaux ! J'ai enregistré une chanson pour lui il y a trois jours.
Peut-être qu'un jour il sortira des dizaines d'albums de Sizzla... Yeah, vous entendrez parler de ces albums un jour. Fattis travaille sur un album avec moi en ce moment même.
Quel regard tu poses sur l'opposition Alliance / Portmore Empire ? C'est de l'amusement. Il y a une forme d'excitation entre les artistes, qui essayent de se défendre avec leurs textes.
Comment te vois-tu par rapport à la nouvelle génération ? Devant eux, tu fais presque figure de vétéran... (rires) Je me vois bien et confiant. Je vis avec, car nous devons apprendre à travailler avec les jeunes car ils sont le futur. Toi aussi tu as été jeune. Je n'ai aucun problème avec le Portmore Empire et l'Alliance. On est frères, on se respecte. Le clash fait aussi partie du divertissement, tu vois ce que je veux dire ? Je suis bien parmi la nouvelle génération. J'apprends aussi beaucoup d'eux. J'ai fait beaucoup de chansons sur ce thème, prendre soin des jeunes. J'apprends aussi d'eux. "Each one teach one". Tu n'es jamais trop vieux pour apprendre, et j'aime ça.
Un mot sur l'élection de Barack Obama ? Je n'en pense que du bien, c'est un événement historique dans ce 21ème siècle. Les Noirs ont subi beaucoup de persécutions, l'esclavage qui a fait que beaucoup d'entre ce sont retrouvés en Amérique. L'amérique en a torturé beaucoup. C'est une sorte de justice pour les Noirs, même si nous savons que notre passé n'a pas été reconnu comme nous le voulions. Mais je reste heureux de voir un homme noir à ce poste. Il a montré les qualités et la force qu'il fallait pour réaliser certaines choses, et montrer au monde que nous pouvons le changer, par rapport à cette crise économique. On espère et on prie pour qu'il puisse faire beaucoup pour diminuer la pression, notamment économique, qui pèse sur le peuple, sur les jeunes, améliorer l'éducation... Même si nous savons que ce système reste un système babylonnien.
Le Daggering a été censuré en Jamaïque. Qu'en penses-tu ? Je ne vois rien de mal à cela. Il faut juste que les chansons à la radio soient "cleans", "radio friendly" comme on dit. Mais le Daggering est juste une façon de s'exprimer, de manière intime...
Mais le « daggering » a bien été interdit des danses… Tu ne peux pas limiter cela au mot « daggering » : c’est juste un mot qui exprime l’acte sexuel. Tu as d’autres mots, tu as « dalla », « jook », « stab »… Ce ne sont que des mots et les mots prennent leur sens dans la façon dont on les utilise. Je n’ai pas problème avec ça. Dans les sound systems, dans les dancehalls, les gens veulent s’exprimer, même sur internet, ils cherchent de la musique, nous sommes humains, c’est la nature humaine. « A man is just a man ». Et l'homme parle de la femme, parfois il dit comment il veut lui faire l'amour, comment il veut bien la traiter. C’est juste une façon de s'exprimer. Je n’ai pas de problème avec les jeunes qui font de la musique, qui chantent sur certains sujets qu'ils ont expérimentés... C'est comme ça, il ne faut pas les combattre et chercher à les forcer à rester dans un seul sujet. J’ai une nouvelle chanson qui s’appelle Strange bad stuff et dont le texte parle de ça de manière très expressive.
Tu as fait un grand concert en Gambie, au Stade National de Brikama. Tu as été reçu comme un président… Oui, c’était exceptionnel. J’étais si submergé... J’ai pu voir les gens... Et le sourire des gens. Ils t’acceptent, ils te reçoivent dans leurs communautés... Partout, ils te louent, tu as l’impression d’être un dieu pour eux. Partout, ils te disent qu’ils aiment Sizzla, sa droiture, partout entouré de gens. C’est l’impression d’être en mission : on voit, on chante, on mange, on boit, on prie, on rencontre tous les officiels, le président, le vice-président, les secrétaires d’Etat, le général, les simples fonctionnaires, citoyens, businessmans... J’ai été invité à la radio, les gens ont appelé pour poser des questions sur le rapatriement. J’ai été dans les écoles, voir les professeurs, les directeurs, les élèves... J’ai fait un petit match avec l’armée... On s’est juste socialisé, avec les gens.
Ca a l’air d’avoir été une expérience importante pour toi... Oui, bien sûr. J’ai tourné pendant environ un an : la France, l’Angleterre, les Etats-Unis, les Caraïbes, les gens viennent voir Sizzla, ils achètent mes cds, et ils savent que Sizzla chante l’Afrique. Donc, Sizzla en Afrique, c’est l’aboutissement, la réalisation d’une mission envers tous les fans dans le monde. Ils peuvent se dire : "Sizzla l'a fait". C’est grand.
As-tu pensé à des duos avec des artistes locaux ? Oui, j’ai fait quelques combinaisons avec Doctor Olugander, MLK et d’autres artistes quand j’étais là-bas. J’ai enregistré 41 chansons en Gambie, Jesse Jendah en a enregistré 14. C’est comme cela que nous avons travaillé, et Sizzla Kalonji était la tête d’affiche en Gambie avec Princess Menen. Le concert était organisé par Kalonji Records, Betts Promotion et Rebel T Promotion.
Tu vas y retourner bientôt ? Bien sûr ! J’y retournerais, j'ai envie d'acheter une grande maison en Afrique, avec beaucoup de terrain pour développer du business et de l'agriculture. Il y a quelque chose en Afrique, c’est la terre mère.
Tu nous parlais la dernière fois de vendre des chaussures et des t-shirts, où en est ce projet ? Il existe toujours. On fait du démarchage, on rencontre des sponsors pour faire avancer ce projet, le design... On doit également rencontrer ceux qui fabriquent ces chaussures.
En Jamaïque ? Non, c’est made in China. C’est pour cela qu’il nous faut des sponsors et tout ça.
Sais-tu combien de titres tu as enregistré dans ta carrière ? Non. Beaucoup, c’est sûr. Des milliers.
Tu t’imagines arrêter de chanter ? Non, je ne peux pas. Tant que le soleil brillera. J’ai besoin de chanter. Je dois chanter.
Tu as beaucoup accompli dans le reggae. Tu te considères comme un artiste accompli ? Oui, je dirais ça. Je ne peux pas dire le contraire. Je suis là depuis le début avec mes fans, qui m’ont suivi dans tous mes succès, donc oui !
Beaucoup d’artistes utilisent leur exposition pour pousser de nouveaux artistes. On n’en voit pas beaucoup qui viennent de ton camp. On a des artistes, on a des jeunes, mais quelque fois cela dépend du cœur et de l’esprit de ces jeunes. Nous suivons Rastafari et nous vivons selon des principes, même dans la façon de faire de la musique. Mais on fait beaucoup de disques.
Pour conclure, quels sont tes prochains projets ? Entre les nombreux enregistrements, j’ai prévu de construire une ferme à Portland.
Une ferme ? Yeah ! Tu as bien entendu : une ferme pour produire de la nourriture.
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