INTERVIEW :
Interview et photos : Benoit Collin
le mardi 18 novembre 2008 - 26 525 vues
Alborosie n'est plus inconnu des Italiens quand il décide de partir pour la Jamaïque. Fort d'une carrière honorable avec son groupe Reggae National Tickets débutée en 1993, il s'installe sur l'île en 2000. Pour "faire une pause", explique-t-il, "rompre avec le passé". Mais il retournera finalement tête baissée dans la musique, s'investissant dans le Studio Gee Jam, et produisant pour les plus grands artistes. Il retournera finalement derrière le micro, consacré en 2006 avec sa chanson Herbalist. Le chanteur originaire de Messine en Sicile aura finalement fait son trou, d'une île à l'autre. Entretien.
Reggaefrance / Comment se comporte ton album, "Soul Pirate" ? / Ca marche bien. Les concerts se jouent à guichets fermés. On travaille dur et je suis fatigué. Je veux rentrer en Jamaïque! (rires) C'est notre mission, c'est pour ça qu'on travaille dur. Le Plus Haut a un plan pour moi, donc je suis juste la vague.
Peux-tu nous parler un peu plus de ton album que les Français n'ont pas encore découvert ? C'est une compilation de mes singles, comme Kingston Town, Herbalist, Rasta Anthem. Il y cinq ou six morceaux inédits. C'est un album très intéressant, de l'ancienne école, de la nouvelle, de toutes les écoles. C'est un album qui plaira à tous les amateurs de reggae.
Combien de temps as-tu travaillé sur cet album ? Celui-là c'était facile puisque c'était comme une compilation, une collection de mes singles. Je travaille en ce moment sur un nouvel album, que je veux sortir en 2009. Il sera comme un concept album, avec 18 chansons qui vont de A à Z, et beaucoup de featurings.
 Le reggae n'est pas comme la pop, la pop c'est de la musique, mais le reggae c'est la vie, c'est la politique, la spiritualité…  A quel stade en est-il ? Je me donne encore quelques semaines pour le terminer.
Il a déjà un titre ? Je ne peux pas encore vous le dire.
La musique italienne fait-elle partie de tes influences ? Oui bien sûr. J'adore les paroles italiennes, très profondes. Certains artistes ont chanté des choses qui m'ont vraiment inspiré. Yuh understand ? Comme Adriana Celentano, Renato Zero, Lucia Dalla… je les aime tous !
D'où te vient ton nom de scène, Alborosie ? Alborosie est un surnom qu'on m'a donné en Jamaïque. Certains sont bons, d'autres sont mauvais. C'était un moyen de me discriminer. Mais j'ai transformé le mauvais en bon… et j'ai connu une bad ascension (jeu de mot sur "bad", utilisé à contre-sens par les Jamaïcains, ndlr).
On a l'impression que tu es très influencé par Black Uhuru. Je suis inspiré par le reggae… En fait je dirais que mes influences sont plus Sly & Robbie. Black Uhuru, ok, mais Sly & Robbie, question rub-a-dub… Je fais du rub-a-dub depuis mes débuts, en Italie. En Jamaïque, ils l'appellent le "boof baf" (il scande le rythme avec des "boof" et des "baf")
Tu as monté un groupe, Reggae National Tickets. On a commencé en 1993. En dix ans, on sorti des albums, donné des concerts. On est devenu important en Italie. Mais je me disais qu'il me fallait plus, il me fallait quelque chose de différent. L'Italie était trop petite, yuh understand ? Donc je suis parti en Jamaïque, pour étudier, pour savoir ce que je faisais. Car je ne le savais pas à l'époque. C'est de la musique, ok, mais au-delà du reggae… Le reggae n'est pas comme la pop, la pop c'est de la musique, mais le reggae c'est la vie, c'est la politique, la spiritualité… Je suis parti à la découverte de tout ça.
Quand es-tu parti la première fois ? En 1994. C'était une tragédie. Je suis arrivé là-bas, mes dreadlocks étaient minuscules. Un rastaman m'a volé avec un couteau grand comme ça. Je me suis dit qu'il fallait que je rentre chez moi, que je coupe mes locks, que je trouve un travail et que j'oublie toute cette histoire de Jamaïque. Mais le dernier jour, juste avant de prendre mon avion, quelque chose a eu lieu. J'étais à Montego Bay, et je suis allé sur le toit de mon hôtel. J'ai regardé l'horizon. C'était magnifique, un coucher de soleil. Quelque chose a eu lieu. C'est comme quand tu vois une belle femme. J'ai commencé à penser à la Jamaïque, quand je serais parti. Un mois plus tard, j'étais complètement amoureux de la Jamaïque. Même si j'ai connu quelques expériences malheureuses, je suis allé deux fois par an là-bas, comme touriste. Jusqu'à ce qu'un jour, je ne le supporte plus.
C'était en 2000. Qu'est-ce qui t'a poussé à franchir le pas ? Je me fiche de l'argent, je me fiche de tout. Je ne me préoccupe que de moi. Quand j'étais en Italie, je devais sourire, monter sur scène pour jouer un rôle. Je voulais aller en Jamaïque pour être libre. Je ne voulais pas faire ce que je fais maintenant. Je voulais rompre avec le passé : plus de concerts. Mais tu sors des chansons, les choses commencent à prendre, et tu te retrouves à faire la même chose.
Quel rôle a joué John Baker (ex-producteur de Pm Dawn) dans ton parcours ? John est un frère. Quand je suis arrivé en Jamaïque, je suis littéralement reparti de zéro. John était là. Je travaillais dans le studio Gee Jam comme ingénieur, je m'en occupais car personne n'y venait à l'époque. C'était la basse saison… Trois ans sont passés ainsi, je m'occupais du studio, parfois pour faire de la production, mais l'endroit était le plus souvent vide. John m'a donné l'opportunité de concrétiser tout cela.
Quel est ton meilleur souvenir de session ? Mon meilleur souvenir… Je suis européen, et j'adore le reggae. Et quand tu vas en Jamaïque et que tu vois ces gens qui sont de vraies légendes comme Sly & Robbie, la famille Marley, Black Uhuru… Ce sont mes meilleurs souvenirs, mes rencontres avec eux.
Quel est le premier morceau que tu as enregistré en Jamaïque ? Un morceau intitulée Dash me away. Quelqu'un l'a sorti, on n'était pas vraiment content. C'était mon tout premier morceau. Je l'ai enregistré moi-même. Ca n'était pas terrible, mais c'était mon premier morceau.
Etait-ce difficile en tant que blanc de s'installer en Jamaïque ? Ca l'est toujours. C'est une question importante. Le monde est global, et des personnes continuent de créer des différences. Nous n'aimons pas tout le monde, mais ce n'est pas comme si tout le monde nous aimait. En Jamaïque, il faut lutter contre la corruption, la mafia, on y travaille toujours. On aime les gens, mais on a encore besoin d'ouvrir des portes, de trouver les clés.
Il y a une mafia en Jamaïque avec les deejays radio ? Il faut que nous luttions contre cela. Je dis "nous" car je vis là-bas. Il y a quelque chose de nouveau, qui est crucial, surtout pour les nouveaux artistes : c'est que si tu n'appartiens pas à tel ou tel camp, à tel ou tel crew, ça ne sera pas facile pour toi de percer. On va lutter contre ça.
Es-tu impliqué politiquement ? Tu votes en Jamaïque ? Oui, je vote en Jamaïque. C'est important parce qu'au bout du compte, si tu ne vas pas voter, ce sont d'autres qui vont parler pour toi, agir pour toi. La Jamaïque est un petit pays. En ce moment, les bonnes personnes sont au bon endroit. On travaille ainsi.
Et en Italie ? Holy shit ! Si je suis concerné ? C'est un désastre, un vrai désastre. Je ne peux rien dire d'autre. Un ami me disait que le gouvernement italien était une mafia. Mais non : si la mafia était au gouvernement, la situation serait meilleure.
Te considères-tu comme rasta ? Bien sûr. Laisse-moi t'expliquer. Rasta est une personne spirituelle. Aujourd'hui, on vit une époque confuse. Je me considère comme rasta et spiritualiste. Ce que nous faisons, c'est du reggae, et le reggae c'est du gospel. Quand je monte sur scène, je suis un rasta, je suis un prêcheur, pas seulement un chanteur. Parce que le reggae sans la spiritualité n'est que de la musique. Nous ne faisons pas de musique. Nous chantons la Vie. C'est différent. Si tu aimes le reggae, tu es Rasta. Tu n'a pas besoin d'avoir des dreadlocks. C'est un concept profond et très simple à la fois. Tu n'as pas besoin d'aller à l'école ou à l'université, c'est la "livity". C'est toi, ta relation personnelle à Dieu. Personne ne peut te dire, parce que tu es blanc, ou rasé, ou blond, personne ne peux te dire que tu n'es pas rasta. Parce que ta relation à Dieu est du même ordre que ce qui te lie à ta femme : tu l'aimes, et toi seul sais pourquoi.
Un dernier message pour nos lecteurs ? Les Français sont de belles personnes. J'aime les gens. Si tu n'aimes pas les gens, tu ne fais pas ce genre de métier. Je médite toujours après le concert. On fait ceci, humblement, sans mépris ou arrogance, on le fait parce que c'est notre mission. Quand le Plus Haut dira "rien ne va plus, les jeux sont faits" (en français dans le texte, ndlr), il sera temps d'arrêter, et de se poser à la maison.
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