INTERVIEW : GEORGE PHANG

Propos recueillis par : Benoit Georges
Photos : DR
le dimanche 02 novembre 2008 - 7 464 vues
Il est des disques que tout selector digne de ce nom possède dans sa box : Greetings de Half Pint, sorti en 1985, fait partie de ceux-là. Réputées dans le monde entier, les productions du label Powerhouse ne représentent pourtant qu’une parenthèse de cinq ans, pendant laquelle les riddims de Sly & Robbie vont marquer les dancehalls, préparant l’avènement du reggae digital. George Phang, le boss du label, jouit cependant d'une réputation bien différente en Jamaïque. Celui que les journaux jamaïcains surnomment le "Don de Arnett Gardens" a en effet passé plus de temps dans les eaux troubles de la politique que derrière une console d'enregistrement.
Partisan fidèle du People’s National Party (PNP), George Phang est impliqué depuis les années 70 dans la vie de sa communauté d'Arnett Gardens, près de Trench Town et assume aujourd’hui le rôle officieux de leader de ce quartier, surnommé jadis Concrete Jungle. Victime d'une tentative d'assassinat en 2003 (17 balles en une seule fois !), en conflit plus d’une fois avec les autorités et au sein de son propre parti, c'est un pur produit du microcosme politique jamaïcain qui se prête volontiers, mais sans en dire trop, au jeu de l'interview à l'occasion de la sortie exceptionnelle d'une énorme compilation (quatre double cds) qui lui est consacrée.
Reggaefrance / Il est plutôt rare de vous avoir en interview, notamment parce qu'à part votre carrière musicale, vous êtes surtout connu en Jamaïque comme un activiste du PNP. Vous êtes également issu d'une famille d'hommes politiques. George Phang / Oui, c'est vrai et j'ai toujours été un activiste du PNP.
Sur deux des pochettes de la compilation, vous apparaissez avec un bandana rouge autour du cou, c'était un signe clair à l'époque. (Rires) Tu ne peux pas juger les gens sur les couleurs qu'ils portent ! Mais il est vrai que je suis un membre actif du PNP.
Comment vous êtes-vous lancé dans la musique ? J’en donne tout d’abord tout le crédit à Sly & Robbie. Ce sont eux qui m’ont amené dans le business. Tout a commencé là, Sly & Robbie avaient leur label Taxi, mais je leur ai proposé de monter un label avec moi. Je donne vraiment tout le crédit à ces deux-là, car ils ont fait beaucoup dans ma carrière musicale. Je les connaissais depuis longtemps, nous avons grandi dans le même quartier et je savais qu’ils étaient de bons musiciens. Ils ont même créé le logo du label.
 Tenor Saw a toujours admiré Sugar Minott, c'était comme un père pour lui ! 
Comment travailliez-vous dans le label ? On enregistrait à Dynamic Sounds, Channel One, Music Mountain, beaucoup de studios. Les artistes avec lesquels j’ai travaillé sont tous des artistes implantés sur le terrain. Nous nous sommes réunis pour travailler ensemble.
Vous étiez quand même impliqué dans les enregistrements, il ne s’agissait pas seulement de les financer… Oui, absolument, je mixais moi-même les morceaux. Sly & Robbie faisaient les riddims et moi, je contrôlais l’enregistrement.
Le son de Powerhouse était très spécial, entre le dancehall de Junjo Lawes et le digital de Jammy, quel était le concept de ce son ? Le son de Powerhouse réside dans le type de riddims : des riddims toujours plus puissants, plus lourds, plus « fat ». Robbie disait toujours : « Powerhouse riddims, Powerhouse label ».C’était ça le concept du label.
Et vous possédiez votre propre sound system également ? Oui, bien sûr. On jouait à Arnett Gardens.
Pourquoi ce quartier a-t-il été baptisé Concrete Jungle à l’époque ? (Rires) Bien, je ne sais pas vraiment pourquoi les gens ont commencé à appeler ce quartier Concrete Jungle : cela doit venir du type de logements en béton qui y ont été construits. Avant, c'était des taudis et feu Anthony Spaulding (ministre PNP du logement du gouvernement Manley en 1972, "Tony" Spaulding est un leader emblématique des communautés du sud de St Andrew, à Kingston ; il a cependant été très décrié, les logements nouveaux ayant surtout été attribués à des partisans du PNP, contribuant à faire de cette zone une garnison – ou "garrison" en Anglais - du parti, défendue becs et ongles, ndlr) est venu pour construire des logements à cet endroit. Le quartier a donc beaucoup changé grâce à ces logements en béton. C’est donc certainement pour ça qu'il a été baptisé Concrete Jungle.
Voici quelques uns des principaux hits du label, pouvez-vous les commenter ?
Half Pint - Greetings En fait, nous avons enregistré le riddim en Jamaïque, à Dynamic Sounds, mais la voix a été enregistrée en Angletterre. On peut donc dire que ce morceau a été enregistré en Angleterre.
Le riddim était l’un des plus rapides de l'époque. Oui, nous avons essayé de refaire ce riddim (de Studio One, ndlr), en le changeant un peu. Mais il ressemble à l'original. En fait, je travaillais en Angleterre et j'ai dit à Half Pint : « ce riddim est fort et puissant, mon frère ». Il avait ce morceau qui faisait « humming on, humming on », on l’a adapté pour faire Greetings. Quand on a enregistré ce morceau et qu'on a joué le playback, le studio était en feu. On savait dès ce moment que cette chanson serait un hit.
Frankie Paul - Tidal wave Frankie Paul est un artiste très créatif, on a travaillé ensemble pendant longtemps, on est toujours en contact, c'est un grand artiste.
Barrington Levy - Money move A cette époque, Jah Thomas avait cette chanson, Shoulder move. Barrington et moi, nous nous sommes dit : « nous, on s’occupe d'argent », donc on a fait ce morceau, Money move. Barrington Levy est un artiste classique. Honnêtement, il connaît son job et quand il était jeune, il pouvait déjà faire des choses que personne d'autre ne pouvait faire. Il a été un déclencheur.
Sugar Minott - Buy off the bar Nous l'avons enregistré à Channel One, où Sugar Minott travaillait déjà. Sugar est un vrai artiste dancehall. Il est arrivé avec cette idée et on a décidé de faire ce morceau. Un bon tune.
Michael Palmer - Lickshot Nous l'avons enregistré aussi à Channel One. En fait, il avait déjà enregistré ce morceau et il était sorti. Mais j'ai trouvé un autre riddim et je savais qu'il irait mieux sur cette chanson. On l'a enregistré sur ce riddim et c'est devenu un gros hit dancehall.
Les paroles de ce titre sont assez spéciales : Michael Palmer raconte qu'il ne se sentait pas en sécurité chez lui ("Down in my hometown, bad boys dem jook me down", « Dans ma ville natale, les bad boys me braquent », affirmait-il dans la première phrase). C'était donc vrai ? Oui, c'est vrai. Michael Palmer est un ami personnel. Tous les artistes avec lesquels j'ai travaillé sont des amis personnels.
Vous aviez aussi des connections solides avec les artistes de Waterhouse. Oui, Waterhouse fait partie de ma communauté.
Si je vous dis Tenor Saw, Roll call… Tenor Saw a toujours admiré Sugar Minott, c'était comme un père pour lui. En fait, j'ai été le premier à enregistrer Tenor Saw. Quand il est venu la première fois en studio, personne ne prêtait trop attention à lui, personne ne l'avait vraiment écouté. Je ne me souviens plus du riddim que je jouais ce jour-là. Il a commencé à chanter dessus. Mais quand je l'ai entendu, j'ai tout de suite su que ce jeune sonnait bien. Je l'ai tout de suite considéré comme un artiste créatif. Je l'ai appelé et je lui ai dit: "Tenor Saw, tu veux vraiment venir chanter ?" Il m'a répondu: "Oui boss, je veux vraiment venir chanter". On lui a laissé le micro. Je crois que l'ingénieur était Solji (Hamilton, ndlr). Roll call était sa chanson. Je l'ai enregistrée, j'ai sorti le morceau et ça a commencé à bouger pour lui. D'autres personnes l'ont alors connu par ce biais.
Pourquoi avez-vous arrêté de produire de la musique à la fin des années 80 ? Tu vois, la communauté dans laquelle j'ai grandi et où j'ai toujours vécu possède un club de foot qui s'appelle le Arnett Gardens football club. J'ai ralenti mes activités musicales pour développer ce club, parce qu'il est très bon et qu'il fait partie de l'héritage de Tony Spaulding. J'ai décidé de reprendre le club en main pour le faire revenir au niveau que je lui connaissais, pour la gloire de Arnett Gardens. Cela m'a obligé à ralentir vraiment mes activités musicales.
On peut même dire que cette implication dans le club de foot vous a créé pas mal de problèmes… En fait, l'actuel parlementaire de ce district est Omar Davies. Il est membre du PNP mais il a amené d'autres personnes dans le club. Je dois le dire : mes idées ne sont pas les siennes et ses idées ne sont pas les miennes, donc c'est devenu un problème.
Avez-vous de nouveaux projets dans la musique ? Je suis en train de monter un projet avec Sly & Robbie pour retourner en studio et enregistrer de nouveaux riddims.
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