INTERVIEW :
Propos recueillis par : Cyril le Tallec
Photos : Marlène Boulad
le vendredi 22 août 2008 - 10 926 vues
Avec Stephen McGregor, Don Corleon, Baby G ou encore Shane Brown, Serani est l'un des producteurs les plus en vue de Kingston. Co-fondateur du label Daseca, Serani en a composé la plupart des riddims, fournissant nombre de hits à Busy Signal, Mavado, ou encore Bugle, artiste maison… et Serani lui-même, qui ne rechigne pas à passer derrière le micro. Si Serani compose depuis 1997, les choses sont devenues sérieuses en 2001 avec la création du label Daseca par trois personnes : David, Serani et Craig. On voit mal ce qui pourrait éloigner Daseca des premiers rôles dans les années à venir.
Reggaefrance / Daseca est responsable, avec d’autres labels, d’une nouvelle direction dans le dancehall, très influencée par le hip hop… / Avec Daseca, on essaie toujours d’avoir un certain groove. On essaie de faire de la musique dansante, que ce soit pour les femmes ou pour les autres. On préserve le côté dancehall et reggae de la musique avec une touche internationale. Je dirais que nos influences dépassent largement le hip-hop, on fait juste de la musique… Ecoute What I’m gonna do de Bugle : tu as le rythme du dancehall (il se met à chanter le titre et à taper le rythme avec ses mains) et je joue du piano sur le morceau. Quand tu écoutes l’intro, le piano ne te fait pas penser à du dancehall et pourtant, il y a cette basse reggae et ce rythme dancehall qui en font un titre reggae.
Quels producteurs t’inspirent dans ta musique ? Je veux d’abord big up tous les producteurs jamaïquains qui m’ont inspiré depuis toutes ces années, avant même que je fasse de la musique. Sly & Robbie, Steelie & Clevie, Dave Kelly car il a contrôlé les années 90… Jeremy Harding (de 2 Hard, premier producteur de Sean Paul, ndlr), même s’il est arrivé en 1997, m’a beaucoup inspiré. Du côté des producteurs étrangers, c’est Timbaland et les Neptunes mais celui que j’apprécie le plus c’est Swizz Beatz. La première fois que j'ai entendu Ruff ryders anthem avec DMX, il n’avait même pas 18 ans et moi j’en avais 15, ça m’a impressionné… C’est lui qui m'a vraiment donné envie de me lancer dans la musique.
Quelles sont les productions dont tu es le plus fier ? Ce qui me rend fier, c’est le respect dont jouit notre label Daseca aujourd’hui. Mais une production en particulier, pas vraiment. Ce que je peux remarquer c’est qu’à chaque fois qu’on produit un titre avec un nouvel artiste, il explose avant même que les gens entendent son morceau ! Tu as cette nouvelle chanteuse qui s’appelle Lorraine avec qui on travaille, et du fait qu’on bosse ensemble il y a plein de producteurs qui nous contactent pour la produire. J’ai juste enregistré un titre avec elle et personne ne l’a encore entendu, même pas mes associés. Même elle n’y croyait pas ! Cela montre juste le type de respect qu’on peut recevoir et ça me rend dingue.
Quand j’enregistre Mavado, sa voix est trop belle pour que j’utilise l'autotune Le public t’a découvert avec Dying en combinaison avec Mavado, tu avais sorti d’autres titres auparavant ? Je ne peux pas dire que j’ai débuté avec Dying car c’était juste une vibe de studio, je suis rentré dans la cabine et j’ai juste chanté ça, la mélodie était bien. Je me suis même demandé si j’avais eu raison de chanter sur ce morceau… Mais les retours que j’ai eus étaient dingues. Je n’avais pas l’habitude (rires) car quand je compose, une fois l’instrumental terminé, je m’arrête. Parfois, la version n’est même pas aboutie et je chantonne dessus.
Tu as rencontré le succès avec le single Doh (avec Bugle), que peut-on attendre de ton premier album ? On vient de sortir un album uniquement pour le Japon, j’ai discuté avec mon manageur Julian (manager, entre autres, de Bounty Killer et Mavado, ndlr) et je pense que la sortie mondiale bénéficiera de plus de titres. Les premiers retours sont incroyables, j’ai du mal à croire que c’est moi qui chante. Je n’ai jamais pensé à devenir un artiste…
Avec qui as-tu travaillé pour cet album ? J’ai fait 2 titres pour TJ Records Money, power, respect et No games sur le Unfinished business riddim qui vient tout juste de sortir, j’ai enregistré When work is done pour les Ward 21 sur le Tear up jeans riddim (un recut du Cordy roy !). J’ai bossé avec un producteur qui s’appelle Casper, je me souviens plus du nom de son label, Shane Brown et son label Juke Boxx… Le reste c’est Daseca, j’ai pratiquement composé tous les riddims (rires).
Daseca est un des labels les plus en vue de Kingston, avec Stephen McGregor, Shane Brown et Baby G. Peut-on parler de compétition ou d'une saine émulation ? Si tu veux garder ce terme, je dirai que c’est une bonne compétition entre nous… Je félicite Stephen car il fait vraiment du bon travail et c’est un ami, on allait à l’école ensemble. Tu sais, il y a beaucoup d’argent à faire dans la musique et tout le monde a sa place. Big up Steven, Shane Brown et tous les autres ! Et puis tu sais, s’il y avait compétition, ils seraient K.O ! (il est pris d'un fou rire, content de sa blague).
Tu prônes par exemple la non-violence dans I’m not a badman, c’est autobiographique ? Je dois rester honnête avec moi-même : je n’aime pas la négativité donc je me focalise sur l’aspect positif de la vie, c’est pour ça que je chante Be free ou Too much gunshots… Je n’aime pas la violence et je n’aimerais pas que quelqu’un vienne blesser l’un de mes amis ou l’un des membres de ma famille. Je n’aime pas les mauvaises nouvelles, je n’aime pas gérer la négativité. J’essaie de ne pas enregistrer ce genre de chansons car je pense qu’on se doit d’être des modèles pour notre public qui nous écoute, on se doit d’être vigilant avec les messages qu’on transmet aux jeunes dans notre musique car c’est eux qui en écoutent le plus.
Et pourtant tu as sorti le Anger Management riddim avec des textes plus hardcore les uns que les autres… En fait, j’adorais la vibe et l’énergie du riddim mais je ne sais pas si je ressortirais ça aujourd’hui… La réalité c’est que c’était notre premier riddim de juggling. Tout ce qui a suivi par la suite était très hardcore. Donc j’ai essayé de faire des titres plus softs comme No games ou She loves me qui ont rencontré un franc succès.
Que penses-tu de l'autotune, tu l’as toi-même utilisé sur Dying ? J’ai utilisé l’autotune sur un seul titre, Dying. Les artistes qui l’utilisent s’auto-limitent : comment vont-ils se différencier si tout le monde sonne pareil au final ? Parfois, je n’arrive même pas à savoir qui chante quoi. Quand tu me vois sur scène, tu entends la même chose que sur disque. Et quand j’enregistre Mavado, sa voix est trop belle pour que j’utilise l'autotune…
En ce moment, l’heure musicale jamaicaine est au dancehall, peut-on s’attendre à des sorties reggae chez Daseca ? Définitivement, on a enregistré pleins de titres reggae mais qui ne sont pas encore sortis. Le reggae c’est la musique, et personne ne peut stopper le reggae.
Comment vois-tu le reggae et le dancehall dans les prochaines années ? J’ai personnellement plein de projets pour cette musique, j’essaie de l’amener à niveau supérieur. On a besoin d’investisseurs, de gros labels qui investissent. Si on emmène la musique à un niveau supérieur, on essaiera d’emmener le business à ce même niveau. Ca ne peut être la mission d’un seul artiste ou d’un seul producteur. Sean Paul ou Shaggy n’ont pas réussi tous seuls, l’unité est une force.
Quels sont les projets de Daseca ? On travaille avec notre chanteuse Lorraine, on vient juste d’enregistrer Christopher Martin, Voicemail, Mavado, Assassin…On fait plein de choses.
Et Bugle, première signature artiste du label ? Si ce n’est pas le meilleur, c’est l’un des meilleurs auteurs du moment. C’est un fou, je ne sais pas d’où lui viennent toutes ces idées… Il a une tonalité profonde, ses refrains sont puissants, je suis certain qu’il va devenir important.
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