INTERVIEW :
Propos recueillis par : Cyril le Tallec
Photos : Marlène Boulad
le mardi 08 juillet 2008 - 9 226 vues
Du haut de ses 18 ans, Stephen McGregor est l'un des producteurs les plus demandés de Kingston. Fils de Freddie McGregor, dont il a hérité de la précocité musicale, Stephen McGregor a commencé par chanter avant de passer de l'autre côté du micro. Aujourd'hui à la tête du studio de son père, Big Ship, Stephen McGregor fait partie de ceux qui ont apporté du sang neuf à la musique jamaïcaine et est à l'aube d'une carrière prolifique.
Reggaefrance / Ton père a commencé sa carrière musicale très jeune, à l’âge de 7 ans. Tu as suivi le même chemin. / J’ai commencé en tant que deejay, à l’âge de cinq ans. Le premier titre que j’ai enregistré était une collaboration avec l’artiste Tiger. Ensuite, j’ai fait un titre qui s’appelle School done rule, sorti sur la compilation "Reggae for kids", distribuée par Ras Records. J’ai commencé par enregistrer des titres, mais en grandissant, j’ai réalisé que j’étais beaucoup plus à l’aise de l’autre côté de la cabine du studio.
Quel a été le déclic ? J’avais ce petit clavier Roland et j’essayais de reproduire ce que j’entendais à la radio. Tous les hits que tu entends en boucle, je me disais que je pouvais les rejouer. Je m’amusais comme ça, c’était une passion mais que je ne prenais pas vraiment au sérieux, je ne faisais pas encore de riddims.
En évoluant dans le studio Big Ship de ton père, tu as grandi au milieu de grands noms de la musique jamaïcaine… C’est le genre de session qui m’a toujours intéressé… Quand je les voyais travailler, par exemple Sly and Robbie et tous les autres grands noms qui sont passés par là, je les regardais et j’apprenais, je les observais jouer des instruments et dès qu’ils partaient, je retournais et j’essayais de reproduire les gestes que je les voyais faire (rires). Pareil avec Dalton Brownie, le guitariste de mon père : je me souviens qu’à chaque fois qu’il est venu dans le studio pour des sessions d’enregistrements, je l’admirais jouer de la guitare. Dès que c’était fini, j’essayais de reproduire ce qu’il venait d’enregistrer.
L’une des clés de ton succès provient du fait que tu fasses des arrangements sur mesure pour chacun des titres que tu produis, même sur tes riddims de juggling. Quand je fais ça, j’essaie juste de donner une couleur différente pour chaque morceau, de faire la musique que je ressens. En général, j’écoute les vocaux pendant longtemps avant de les sortir, je m’y habitue et je teste plusieurs arrangements. J’y apporte un peu d’excitation.
Combien de temps te faut-il pour construire une série sur un riddim de juggling ? Ca dépend…Tu as des séries qui sont bouclées en deux semaines. Pour le Powercut riddim, j’ai enregistré 12 titres en 3 jours, c’était malade ! J’ai commencé avec Aidonia ; pendant qu'il enregistrait, Kartel était assis en train d’écrire… Et quand il a commencé à enregistrer, Elephant Man est arrivé au studio. Ca dépend du temps que j’ai envie de prendre. La plupart des artistes sont une famille pour moi, ils passent me voir au studio et me demandent si j’ai de nouveaux riddims à leur faire écouter, c’est ce genre de vibration.
Comment gardes-tu la tête froide avec ce défilé de stars au quotidien ? C’est très facile en réalité, c’est dans ma personnalité. Je suis plus une personne qui reste en retrait donc ce n’est pas vraiment une préoccupation. Comme je t’ai dit, on travaille avec les artistes comme une famille, c’est un échange de vibes.
Tu es le plus jeune producteur sur le marché jamaïcain et pourtant tout le monde veut travailler avec toi, comment gères-tu ce flux de demandes ? La solution la plus facile pour moi, est de faire plus de musique. De cette manière, à chaque fois qu’un artiste vient me voir, j’ai plus de sons à lui proposer. C’est pour ça que je m’emploie à créer des nouvelles versions toutes les nuits, que je stocke dans mon disque dur. Quand un artiste vient me voir pour des instrus, je parcours mon dossier de riddims et je choisis selon mon instinct.
Avec qui as-tu travaillé récemment ? J’ai collaboré avec Collie Buddz, j’ai aussi réalisé quelques titres pour le prochain album de Sean Paul, on a fait quelques très bons titres ensemble, vraiment bons. Ca doit sortir à la rentrée. Il y a aussi l’artiste israélien Matisyahu, Ms. Dynamite... J'ai beaucoup de travail en ce moment, je collabore aussi avec des auteurs de chez EMI (Stephen a signé un contrat d’édition avec la maison de disques il y a quelques mois, ndlr).
Comment se passe la concurrence avec les autres producteurs du moment à Kingston (Daseca, Birch, Don Corleon, Juke Boxx…), est-ce une rivalité ou une émulation ? Je fais ma propre musique. Je ne vois pas ça comme une compétition, plutôt comme une équipe, on apporte chacun nos idées pour faire avancer cette musique, emmener le dancehall à un autre niveau. Quand j’entends des productions d’autres producteurs et que je les aime bien, je fais en sorte de leur faire savoir. Je les connais un peu tous et quand j’en croise un dans la rue, je lui dis que j’aime son titre, ça c’est moi… Je ne vois pas ça comme une compétition, vraiment.
Vybz Kartel et Mavado travaillent de plus en plus avec toi, quel genre de relations entretiens-tu avec eux ? C’est la famille. La plupart d’entre eux, Kartel, Mavado, Elephant Man, Aidonia.... La famille ! En général, on est là dehors, même pas au studio, en train de discuter ou de cuisiner, parfois. Ce ne sont pas des relations d’affaires où l’artiste vient enregistrer et repart dès qu’il a fini.
Quelles sont tes influences dans le hip-hop ? Timbaland…Tous ceux qui suivent ma musique le savent, c’est une de mes principales influences dans la musique que je compose. Dr Dre aussi.
Comment mélanges-tu toutes tes influences pour tes productions sur ton label Big Ship ? Ça dépend du feeling du moment. Quand tu entends le Work out c’est pas la même vibe que le Daybreak. Là on est en été, donc j’ai imaginé un riddim estival avec le Work out.
De quelle production es-tu le plus fier ? Franchement quand j’ai fait le Tremor riddim, j’étais particulièrement fier… Il y a eu beaucoup de hits dessus, et quand plus tard Sean Paul est venu enregistrer, le riddim a été encore plus exposé.
Tu as sorti une compilation, "Shaddowz", distribuée par VP Records, en décembre 2007. Quels sont tes prochains projets ? Je viens juste de sortir le Work out et le Daybreak riddim, j’ai une flopée de nouveaux riddims et de singles à sortir d’ici la fin de l’année… Mon disque dur est rempli à ras bord, je ne sais même pas comment je vais trouver le temps pour m’occuper de tout ça ! Il y a plein de choses à venir, des compilations et des albums d’artistes. Vybz Kartel a un album à venir qui devrait s’appeler "The teacher is back" ou quelque chose comme ça, avec 18 titres exclusifs que personne n’a encore entendus, aucun morceau tiré de mes riddims pour le juggling. On a sorti un album de mon frère Chino au Japon et on travaille sur sa sortie sur le territoire américain. Il y a aussi un album d'Aidonia, et un autre de Jim Laden.
Ta musique est très sombre, penses-tu trouver un jour la lumière ? (Rires) C’est juste de la musique… J’essaie juste de faire des choses différentes. Quand j'ai commencé, tous les riddims étaient joyeux, c’étaient des chansons pour danser et s’amuser en soirée. C’est juste ma manière de me distinguer. J'ai fait la musique que je voulais entendre et le résultat est sombre. C’est aussi un moyen pour me reconnaître : ainsi quand les gens entendent un riddim aux ambiances sombres, ils se disent "ça c’est Stephen !"
Que penses-tu de la censure sur le contenu violent des textes de certains artistes dancehall en Jamaïque et dans le monde ? Quel message souhaites-tu délivrer avec ta musique ? En Jamaïque, le reggae est parfois devant le dancehall et vice versa… C’est un cycle. Il y a quelques années, les thèmes développés dans le hip-hop tournaient beaucoup autour des armes et de la violence dans la rue. Cela faisait déjà polémique, et ils sont revenus vers du plus soft en s’orientant vers le r'n’b. C’est juste cyclique.
Comment gères-tu les conflits entre artistes ? Certaines attitudes sont proscrites ici. On est une famille, c’est une maison… Même si certains artistes se font la guerre dehors, ils savent qu’ici ça ne se passe pas comme ça, ils font l’effort de se contrôler.
Le mot de la fin ? Continuez à écouter ma musique, car j’ai plein d’autres idées dans la tête (rires).
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