INTERVIEW :
Propos recueillis par : Sébastien Jobart
Photos : DR
le jeudi 12 juin 2008 - 18 026 vues
Pendant deux ans, Dub Incorporation a sillonné la France et ses salles de concert à la rencontre de son public, donnant pas moins de 200 dates en 2006. Après une année de concerts à l'étranger, il était temps de retourner en studio pour livrer leur troisième album (si l'on exclut un live sorti en 2006 et deux maxis). Fidèle à eux-mêmes, le studio n'aura été qu'un bref interlude pour Dub Incorporation qui arpente continuellement les routes, et qui a déjà un planning de tournée jusqu'à la fin de l'année. Et quasiment déjà de quoi remplir un nouvel album. Entretien avec le batteur, Zygo.
Reggaefrance / Un nouvel album, une tournée, un public fidèle… On imagine que l'ambiance est bonne chez Dub Inc… / Oui, c'est vrai. Avant la sortie de l'album, on a décidé de faire une tournée des petites salles pendant un mois, histoire de retrouver l'ambiance qu'on n'avait plus ces dernières années, parce qu'on faisait des salles beaucoup plus importantes, ou des gros festivals. On voulait faire un tour d'horizon en France, histoire de délirer avec les gens. Puis on a sorti l'album, donné quelques concerts en France, et cet été on fait quelques gros festivals. La grosse tournée sera pour fin septembre.
Dans quel état d'esprit "Afrikya" a été composé ? Quand on a décidé de rentrer en studio pour ce nouvel album, on était sur la fin de la tournée l'année dernière. On avait comme projet de partir en Afrique de l'Ouest, au Maghreb et puis aussi en Jamaïque, pour réaliser trois volets sur l'album, et travailler avec des gens dans les pays qui nous influencent. On s'est retrouvé en galère parce que notre distributeur a déposé le bilan sans nous prévenir, et en emportant avec lui tout l'argent du live, donc pas des sommes mirobolantes mais suffisantes pour mener à bien ce projet. Du jour au lendemain, tout tombait à l'eau, ça a été difficile d'appréhender le studio. On a décidé d'essayer de faire le voyage mais dans la tête. Finalement, ce n'était pas plus mal, on a retroussé nos manches, on a fait de la maçonnerie pendant deux mois, et on a tout fait tous seuls, en quatre mois. Cet album est donc un peu spécial. Au niveau des influences, on est un peu sortis des codes reggae pour rentrer un peu plus dans la world music. Ce qui n'exclut pas qu'on retourne vers des trucs jamaïcains pour le prochain album.
Comment un groupe de scène comme Dub Inc enregistre en studio ? On gère mieux le studio qu'avant. On a acquis pas mal d'expérience que ce soit avec Dub Inc ou avec les projets solo de chacun. On a monté très vite notre propre studio dans lequel on passe beaucoup de temps quand on est à St-Etienne. Aujourd'hui, le studio n'est plus un prétexte pour faire de la scène. Notamment sur cet album là, c'était un gros défouloir musical pour nous. On a tourné pendant deux ans sans faire de pause, on a beaucoup voyagé à l'étranger… On avait plein de choses à dire, et maintenant c'est vraiment une façon de s'exprimer à part entière. On aborde le studio avec non pas plus de professionnalisme, mais on sait beaucoup mieux où on met les pieds, et comment se servir de nos instruments. Ce qui est dur pour un groupe de scène comme nous, c'est de réussir à faire sortir la même énergie qu'on a en live sur album. Maintenant on a compris qu'on ne pouvait pas forcément retranscrire ça, on essaie de le faire d'une autre manière. On ne pense plus à ce qu'on ferait sur scène mais à ce qu'on a envie d'écouter. En plus, ça nous permet derrière de développer d'autres choses sur scène.
Pourquoi ce titre, "Afrikya" ? On est très influencé par l'Afrique depuis nos débuts. Nos textes abordent des thèmes comme la Françafrique, la Terre Mère. On voulait un nom d'album qui puisse se comprendre dans tous les pays. En voyageant, on s'est rendu compte que "Dans le décor" ne faisait référence à rien à l'étranger. Notre public se trouve principalement en France, c'est sûr, mais quand on est en voyage, on avait envie que les gens comprennent tout de suite sur quelle voie on allait.
Dub Inc s'exporte bien ? On n'a pas beaucoup tourné en Afrique, seulement au Sénégal et à la Réunion. C'est très compliqué d'organiser des tournées là-bas, surtout qu'on tourne à 14. On essaie de développer des relations sur du long terme, construire lentement mais sûrement. Par contre sur l'Europe occidentale, on arrive, sans forcément avoir un gros public, à entraîner des gens et partager des trucs. On bosse beaucoup avec des sound systems, qui sont souvent composés de gens motivés pour faire avancer le reggae dans leur pays. En Grèce ou en Pologne, le reggae n'est pas non plus développé comme en Allemagne ou en France. On arrive à voyager, c'est pas forcément lucratif de partir dans ces pays-là, mais ça permet de s'ouvrir, de découvrir des cultures différentes.
Le nouvel album s'ouvre sur le titre Métissage, c'est un peu le credo du groupe. C'est un peu notre identité. On entend beaucoup parler de diversité en France, notamment chez les politiques. Pour nous ce n'est pas un concept, c'est une réalité qu'on met en avant par les mots. C'est une identité qui est naturelle chez nous, on est né avec ça, on n'a pas besoin d'en faire des tonnes là-dessus. Ce n'est pas seulement la France de demain, mais la clef de l'avenir.
Sur Tiens bon, vous adressez quelques piques au sarkozysme. On a commencé à bosser sur l'album pratiquement un mois ou deux après l'élection de Sarkozy. On a passé une année franchement déplorable politiquement. Sous Chirac c'était pareil, on aurait probablement dit la même chose. Notre première grosse tournée en Allemagne s'est passée pendant les émeutes en banlieue. On sentait bien qu'il y a allait avoir un morceau sur l'album qui parlerait de la dureté de Sarkozy. On a vraiment un problème, il a développé des méthodes radicales en matière sociale. Il n'y a vraiment plus du tout de dialogue. En tant qu'intermittents du spectacle, on voit les acquis disparaître les uns après les autres et ça devient de plus en plus difficile de faire notre métier correctement. En plus, étant privilégiés, on voit que les ouvriers, les pêcheurs, tout le monde en bave. Même les flics en bavent, alors que c'étaient les premiers à se réjouir de l'élection de Sarkozy. Il y a vraiment quelque chose qui ne va pas avec notre président et notre gouvernement.
D'ici le prochain album, Sarkozy sera toujours au pouvoir, on peut s'attendre à encore plus de textes politiques ? C'est possible, franchement. On ne se considère pas comme un groupe engagé, simplement on témoigne du point de vue d'une certaine jeunesse dans son époque. Sur chaque album, on essaie de faire une photo de notre point de vue. Sans oublier de faire des retours en arrière quand on veut parler de l'esclavage ou de la colonisation.
Est-ce que tu partages l'opinion de Mike d'Inca, qui regrette que les groupes français n'affirment pas une identité plus forte ? Pas vraiment. Le mouvement puriste reggae s'est vraiment développé en dix ans. On a des sound systems de qualité, des producteurs comme Bost & Bim, des backing bands comme le Homegrown… Les groupes français s'inspirent de la Jamaïque mais vont aussi puiser dans la culture qu'on reçoit depuis qu'on est petits. Certains vont rajouter du rock, comme nous d'ailleurs. Au sein de Dub Inc, on a tous des cultures vraiment différentes, donc on va retrouver plus d'influences, mais je trouve que le reggae est vraiment diversifié en France. En plus, il y a des groupes qui se rapprochent vraiment du son jamaïcain moderne. Quand on a commencé il y a dix ans, tu avais ceux faisaient du ska-rock festif, et ceux qui reprenaient les ingrédients de la musique roots jamaïcaine. Depuis deux-trois ans, il y a vraiment des bons groupes new-roots qui reprennent le son Firehouse Crew. On joue dans beaucoup de festivals où il y a des groupes de tous genres, et le reggae n'est vraiment pas la musique la moins diverse.
En revanche, l'industrie du reggae ne se porte pas très bien : on n'a plus de mensuels reggae, les disquaires ferment les uns après les autres... Est-ce que tu restes optimiste ? Vu de la France, c'est vrai… Moi je veux faire du vinyle avec mon label, et je me rends bien compte que ça va être une catastrophe économique. D'un autre côté, on a avec Internet un média que notre génération n'a pas encore su apprivoiser complètement. J'ai fait mon premier achat de musique "dématérialisée" il n'y a pas longtemps. On est encore dans une culture de l'objet, d'acheter un objet en plus de la musique. On ne sait pas trop comment ca va se passer dans le futur. La plupart des indépendants comme nous qui ont profité d'Internet comme d'un moyen de promotion gratuite, commencent à en voir les limites, économiquement.
Comment vous vous projetez dans le futur ? On prend beaucoup les choses comme elles viennent. Notre indépendance fait qu'on ne sait pas vraiment comment vont se dérouler les choses. On est sorti de l'album avec un petit goût d'inachevé, non pas par rapport à l'album qui est très bien fini… mais au final on avait de quoi faire un double album. C'est un point de vue très personnel, mais j'ai le sentiment que c'est comme si c'était le tome 1 d'un double album. On a de quoi enchaîner direct après la tournée, sans compter tout ce qu'on va composer pendant la tournée. On a beaucoup de choses à dire musicalement et dans nos textes, on est presque déjà prêts pour un prochain album. On a envie de faire vivre "Afrikya", de jouer nos nouveaux morceaux sur scène et de prendre du plaisir en tournée, parce qu'on s'est arrêté presque un an et demi en France. On a une grosse tournée en préparation, avec quatre ou cinq concerts par semaine de septembre à décembre. Je pense qu'on enchaînera avec un album, un peu comme d'habitude. On n'a pas vraiment envie de grossir plus que ce qu'on est maintenant, on a surtout envie de continuer comme ça, justement maintenant qu'on vit ce qu'on espérait depuis dix ans. Ce qu'on n'osait pas espérer d'ailleurs.
Tu as des projets solos ? On a tous un peu nos projets perso en termes de production. J'ai monté mon petit label, Green Yard, et je suis sur le point de sortir une série, le Jah Light Riddim, avec Horace Andy, Omar Perry, Brahim… C'était un peu mon coup d'essai, on va sortir la série pour le plaisir. Je suis en train d'en préparer une autre, plus hip-hop ragga. C'est une approche personnelle, qui correspond à la musique que j'écoute, à l'inverse de Dub Inc qui est une sauce de tout ce que chacun écoute dans le groupe. Chacun a sa façon de sortir du truc commun. Parce qu'on a tous le même droit de parole dans le groupe, il n'y a pas de leaders. Ca implique qu'on prenne tout le temps les décisions à dix.
Ca ne doit pas être toujours simple pour se mettre d'accord en studio… Composer les morceaux reste simple parce que c'est naturel et on développe ça depuis dix ans. C'est toujours le même principe : l'un d'entre nous apporte une idée qu'on développe tous ensemble. Ce qui est plus compliqué, c'est la gestion de tous les détails : le choix d'une première partie sur un concert, la pochette de l'album, la couleur des t-shirts qu'on va faire… Tout ça se règle systématiquement à dix. Tu as parfois envie de t'échapper de ces choses-là, parce que ces débats peuvent durer des heures ! Mais c'est la force de notre structure.
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