INTERVIEW :
Propos recueillis par : Cyril Le Tallec & Benoit Collin
Photos : Benoit Collin
le samedi 19 avril 2008 - 9 418 vues
Il nous avait promis un entretien, mais seulement après son concert. Des voeux pieux, en général. Mais le Warlord a tenu parole et nous reçoit dans sa loge à sa sortie de scène. Pas vraiment les meilleures conditions pour un entretien mais l'opportunité tout de même d'aborder quelques-unes des questions qu'on brulait de lui poser. Le tout sous les regards inquisiteurs de Future Troubles et Einstein, qui ne le lâchent pas d'un pouce.
Reggaefrance / Quelles sorties doit-on attendre prochainement ? / La première de mes prochaines sorties sera l'album de l'Alliance, c'est un album très attendu. On travaille pour pouvoir le sortir cet été. Et je travaille sur mon projet solo, "Extra Bullet", qui sortira cette année ou l'année prochaine. Ce sont les deux projets sur lesquels nous travaillons actuellement. On est ici pour faire diffuser notre nom, et faire plaisir à nos fans.
Tu es l'un des seuls artistes en Jamaïque à faire percer de jeunes artistes, depuis tes débuts. Qui sera le prochain ? Il y en a plusieurs. On n'a pas qu'un seul ! Tu vois Einstein faire ses trucs ici, tu vois Flexx, qui perce, qui fait ses trucs. On a en plusieurs dans les tuyaux, qui travaillent très dur pour percer. On a Bugle et Serani, on a Flexx et Einstein… donc quatre jeunes oiseaux qui sont prêts à ouvrir leurs ailes. Tu verras : n'importe lequel d'entre eux peut être la prochaine sensation.
Tu chantes aussi pour tous les nouveaux producteurs de l'île. Oui, la plupart du temps, parce qu'on ne fait pas que construire la carrière d'artistes, on construit aussi celles de producteurs, selectas, disc jockeys, deejays…
Comment fais-tu ton choix ? Well, mon choix se fait sur le talent, ce n'est pas vraiment une question de personnalité ou de relations… C'est vraiment le talent. Parce que les gens qui aiment l'Alliance aiment le talent. Donc je ne veux pas leur amener quelqu'un que j'aime bien mais quelqu'un qui peut vraiment faire la différence. Ce n'est pas une question de choisir entre les gens qui veulent entrer dans l'Alliance. Il y a juste des personnes qui ont un certain talent, on les prend simplement avec nous et on leur montre comment s'améliorer, parce qu'ils veulent ces conseils.
Tu as commencé avec King Jammy's, tu es né à Waterhouse ? Non je suis né à Trenchtown, Et j'ai grandi à Rivertown, Seaview Gardens, qui est juste à côté de Waterhouse. Ce sont des communautés voisines, c'est la porte à côté. King Jammy's était le studio le plus proche. Juste de l'autre côté du gully…
Tu te souviens de comment tu travaillais tes paroles ? C'était vraiment ce que je traversais à l'époque. Yuh understand ? Je me suis fait tirer dessus, j'ai connu la souffrance, la pauvreté, la violence et le crime… La plupart de mes textes racontent ce qui se passe à Colora Bell, à Rivertown et à Seaview. C'est ce que j'ai rencontré, c'est aussi l'expérience d'autres personnes.
Plusieurs concerts ont été annulés en Europe, que s'est-il passé ? Il n'y en a pas plusieurs, mais quelques-uns. Deux seulement. Ce n'est rien. Ils ne peuvent pas m'annuler (les associations de défense des droits des homosexuels, ndlr). Ils peuvent annuler le concert, mais ils ne me font pas de mal, ils en font au public. M'empêcher de gagner de l'argent ne me fera pas arrêter. J'ai déjà assez d'argent. Je gagne simplement plus d'argent. Ils essaient de stopper l'Alliance et Bounty Killer, mais ils ne se débarrasseront pas de nous.
Ton dernier album remonte à 2002, "Ghetto Dictionnary". L'année dernière, un best of est sorti… (Il coupe) C'est une compilation, pas un best of, mais seulement un peu du meilleur. C'est pour ça que je n'ai pas voulu faire un "best of" parce que le meilleur de moi-même est à venir. C’est juste le meilleur du passé. Tu comprends, ils sortent jusque cela comme une compilation mais je ne l’appellerai pas le best of de Bounty Killer. Je suis encore jeune, vibrant et en forme. Le meilleur est à venir, c'est juste le meilleur de ce que j'ai fait jusque là. Ils l'ont compilé, et c'est un bon projet.
Aujourd’hui, qu'attends-tu de ta carrière ? Well, je n'en attends plus rien, j'ai déjà tout fait, je me fais plaisir maintenant, je me maintiens. Rester jeune et plein d'énergie, avoir la force de faire la course parmi les jeunes, c’est bon, cela te permet de rester en forme et te montre qu'il te reste beaucoup de choses à faire et de chemin à parcourir. J'ai tout fait. Je n'essaie pas d'atteindre des objectifs, parce que je ne cherche pas à signer dans une maison de disques, ou à vendre un million des disques. J'ai déjà atteint plus d'un million de personnes et je peux te le montrer ! Donc vendre des disques… Je le fait et je bats des records (jeu de mots avec "records", disques en anglais, ndlr) je n'essaie même pas de les vendre. Vendre des disques n’est pas aussi bien que d’établir des records et de les battre.
La violence des paroles est de plus en plus critiquée en Jamaïque. La violence est partout dans le quotidien des Jamaïcains, donc il est inévitable qu'elle se trouve également dans la musique, dans le sport, elle est partout. La Jamaïque est un petit pays très violent. Il y a beaucoup d'esclavage dans le sang, beaucoup de pirates de Port Royal, Henry Morgan… Tu connais les sept héros nationaux ? Nanny, les Maroons, Paul Bogle ? Il y a beaucoup de réactions, de sentiments et de sangs qui se mélangent : "out of many, one people" ("de plusieurs, un seul peuple", la devise nationale jamaïcaine ndlr). Il a fallu plusieurs peuples différents pour construire la Jamaïque. Nous avons de tous les styles de pensées les plus mauvaises. Il y a des Syriens, des Français, des Jamaïcains, des Chinois, des Africains… La Jamaïque c'est le monde.
Ian Boyle (journaliste et écrivain jamaïcain) a écrit un article sans concession sur le dancehall, "From Bob Marley to Mavado" dont tu as du entendre parler… C'est stupide parce qu'il occulte un grand nombre d'artistes. Et pourquoi pas From Bob Marley to Luciano ? Sizzla ? (il s'emporte) Anthony B ? Capleton ? Buju Banton ? Bounty Killer ? Beenie Man ? Spragga Benz ? Mavado est tellement apprécié aujourd'hui qu'ils s'en servent comme d'un bouc émissaire. Le dancehall construit beaucoup de bons artistes. Où sont les I-Wayne, Fantan Mojah, Gyptian, Jah Mason, Lutan Fyah ? Où sont tous ces artistes conscients que le dancehall a aidé à percer ? Tarrus Riley ? Il n'a pas percé pendant un concert ou un festival roots ou culturel, c'est sur une scène dancehall qu'il a vraiment percé avec She's Royal ! C'est le dancehall qui prêche toute cette négativité qui a sorti une chanson si positive. Le dancehall est une marmite : tout est dans la marmite. Et quand la marmite bout, si tu enlèves l'écume, tu vas trouver de la sauce. On ne parle que de l'écume du dancehall, mais pas de la sauce, des constats que fait le dancehall. Le dancehall a du bon, du mauvais et du génial. Tout le monde peut y trouver ce qu'il aime.
Comment vois-tu l'évolution du dancehall depuis les premiers jours ? Je suis ravi parce qu'aujourd'hui, le dancehall atteint le Billboard, le British 100, le dancehall atteint le monde. Il est temps pour les artistes dancehall de donner le meilleur d'eux-mêmes, jusqu'au bout. Parce que le dancehall est sur la carte désormais. Ce n'est plus comme à l'époque où il n'y avait que le reggae. Le dancehall est l'héritier du reggae, comme le reggae était l'héritier du ska. Le dancehall est le prochain millénaire de la musique jamaïcaine. Ce sont des musiques jamaïcaines, mais le feeling est différent, comme quand on est passé du rock au hip hop. Tu as le rn'b et la soul, mais ce sont des musiques américaines. Donc on parle de musique jamaïcaine, de musique caribéenne, comme la soca, le calypso, le reggae, le dancehall, le merengue, le ska… toutes ces musiques ont été faites à des époques différentes, avec des feelings différents mais ce sont toutes des musiques caribéennes.
Tu écoutes d'autres musiques que le reggae ? Well, j'ai choisi le reggae, mais j'écoute de tous les styles de musique. Mais si je dois acheter un album, il y a plus de chances que ce soit un album de reggae, de dancehall ou de rap. Je n'achète pas de toutes les musiques, mais je les écoute. J'écoute même du rock, pas tout, je ne vais pas écouter l'album de Marylin Manson ou de ceux qui disent des conneries satanistes, mais je vais écouter ceux qui ont du sens : U2, les Maroon 5… des artistes complètement différents ! C'est de la musique, on la soutient.
Tu as été l'un des premiers à connecter la Jamaïque avec la scène hip hop new-yorkaise, avec ta combinaison avec les Fugees. Ca a commencé avec Supercat et Biggie Small (Notorious BIG, ndlr), puis Shabba Ranks avec KRS One. Je suis arrivé après Shabba Ranks, avec les Fugees, Busta Rhymes, Noriega, Mobb Deep, Ja Rule, Raekwon, tous ces artistes. C'est un plaisir de savoir que j'ai joué un rôle dans la convergence du rap et du dancehall. Ces sons arrivent rarement au niveau international, mais ils ont embrasé l'underground, jusqu'à aujourd'hui.
Tu as une idée d'un invité spécial pour ton projet solo ? Je n'ai pas envie d'avoir beaucoup d'invités sur l'album, je veux le consacrer à Bounty Killer. Je mettrais probablement un Mavado ou un Sanchez sur l'album. Je réfléchissais à inviter Jah Cure… Yuh understand ? Ce sont surtout des chanteurs que je veux inviter. Je ne veux pas de deejays.
Pourquoi pas Stevie Wonder ? Yeah, well, ça serait génial, mais je ne mets pas mes espoirs si hauts. Mais si ça arrive, ça serait la chose la plus fabuleuse. Car Stevie Wonder est une légende.
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