INTERVIEW :
Propos recueillis par : Alexandre Tonus
Photos : Benoit Collin
le jeudi 20 septembre 2007 - 9 837 vues
Anywhere We Go, Good over Evil, Gully Sittin, Boring Gal, et désormais Move like a sissy : depuis des mois, Assassin rythme les charts jamaïcains. Membre du Red Square Crew de Spragga Benz (son oncle), Assassin s'inscrit dans cette nouvelle génération du dancehall en Jamaïque, aux côtés de Mavado ou Busy Signal. Il a démarré sa carrière en 2000, marquée par un premier album en 2005, "Infiltration". A l'heure de la sortie de son deuxième album, "Gully Sit'n", chez VP, il confesse : "Jusque-là, ma carrière est un beau voyage".
Reggaefrance / Parle-nous de tes débuts dans la musique. / La musique a toujours fait partie de ma vie, que ce soit à l'école, sur scène, ou pendant des interviews. Au lycée, j'ai écrit quelques chansons, dont une a été chantée par Spragga Benz. Je suis son neveu. Ca devait être en 1998, 1999. Depuis ce moment, j'ai été de studio en studio, Spragga m'a présenté à plusieurs producteurs, et c'est comme ça que j'ai pu me lancer.
Qu'est-ce qui t'a décidé à faire de la musique ton métier ? A l'école, il y a avait des tas de gens, des professionnels, qui venaient nous parler de carrière, et nous donner des conseils pour notre avenir. La chose qui revenait dans chacun de leurs discours, c'était qu'il fallait avant tout faire quelque chose que l'on aime. Il faut trouver ce métier qui te passionne. Et la musique était une évidence. En plus, j'ai le talent pour ça. Donc j'avais ma réponse. C'est la musique qui m'a choisi.
Pourtant, la musique ne t'a pas écarté des études. En ce moment, je suis une formation de Business Management, à l'université de Sunderland.
Les études te servent dans ta carrière ? C'est certain, plus tu as de connaissances, de savoir, plus tu as de chose à dire. Mais il y a aussi des choses intangibles que m'a apporté l'éducation : la disciple, une éthique de travail… Des choses comme ça. Tu ne peux pas te cacher, et l'attitude que tu auras envers ton travail est primordiale. C'est d'autant plus vrai dans la musique où beaucoup de choses se font de façon informelle, mais tu dois le faire professionnellement. Prolonger tes études ne peut que modifier ton approche de la musique.
Penthouse a été important pour ton évolution musicale… Penthouse a été comme un deuxième foyer, leur management est très avisé. Tu profites de tout leur héritage, comme avec Buju auprès de qui tu peux apprendre beaucoup. Là-bas, tu apprends les bonnes choses. Dans la musique, il est facile d'en apprendre de mauvaises, et de te retrouver dans la mauvaise direction. C'est tout l'inverse à Penthouse : j'ai beaucoup appris sur comment être professionnel, avoir la bonne méthode… Tout ce qui t'aide à devenir un artiste.
Tu en parlais, Buju Banton a été une rencontre importante également… C'est lui qui a sorti mon premier enregistrement, Revamped. Buju est là depuis le début, et je pense qu'il est fier d'avoir repéré mon potentiel, de voir que je réussis bien. Il compte beaucoup dans ma progression. Je quittais l'école avec mon uniforme encore sur le dos et je me rendais dans son studio.
Ton premier album "Infiltration", est sorti en 2005. Es-tu fier de cet album ? D'un point de vue créatif, j'en suis fier. C'est mon premier projet, et je pense que je me suis plus que débrouillé, sachant que tu vas sur des territoires qui te sont complètement inconnus. Enregistrer un album, c'était vraiment quelque chose de complètement nouveau. Je suis fier d'avoir été capable de faire ça. Certainement, on aurait pu faire mieux avec plus de temps. Mais je voulais créer une plate-forme pour que les gens puissent écouter ce que je faisais. J'étais jeune, j'avais 22 ans.
Beaucoup de tes fans de la première heure ont regretté l'absence de tes premiers singles, comme How we roll… On m'a beaucoup dit ça. Avec le recul, je pense qu'on aurait du en incorporer quelques-uns. C'est de ce genre d'erreurs que tu apprends. Avec ce deuxième album, j'ai intégré la plupart de mes chansons de ces deux dernières années : Anywhere we go, Good over Evil… De cette manière les gens n'auront pas seulement des titres inédits, mais aussi les hits. Avec cet album, je voulais me sentir comme au lycée, à l'époque où je ne me préoccupais que de la musique et pas de l'aspects business. Je voulais m'amuser, laisser la musique s'exprimer. Pour que les gens sentent cette vibe.
Les deejays de ta génération mêlent beaucoup de hip hop. Quelles sont tes influences ? Le monde devient de plus en plus petit. Avec Internet, les gens téléchargent de la musique de partout. Tu veux que ta musique plaise à un large public. Si les gens aiment le hip hop, et si tu es capable de mêler à ton dancehall quelque chose qu'ils peuvent identifier, alors tu seras soutenu de ce côté. Je suis influencé par le hip hop. Eminem Jay-Z, Tupac, Busta Rhymes… Kanye West aussi.
Vois-tu le hip-hop comme un moyen pour le dancehall de trouver une meilleure reconnaissance internationale ? Tu as eu Baby Cham et Alicia Keys, Sean Paul et Beyonce... Si on peut se montrer professionnel, faire de bonnes chansons et satisfaire ce nouveau marché, ça peut être une bénédiction. Mais quand tu as ce genre d'opportunités, il faut se montrer à la hauteur, sinon les gens peuvent se détourner du dancehall. Sean Paul était excellent avec Beyonce. Il faut trouver la bonne formule : sur Baby Boy, Beyonce faisait du rn'b et Sean Paul du dancehall. Il ne jouait pas au rappeur, pas plus qu'elle n'essayait de faire la Jamaïcaine.
Il y a eu cette rivalité pendant un moment avec Vybz Kartel… C'est du passé désormais. Il fait ses trucs, je fais les miens. On ne va pas s'asseoir et boire le café ensemble. A mon avis, la musique vaut plus qu'un ou deux individus, et je ne vais pas m'impliquer dans cette négativité. La musique s'internationalise et l'on devrait se tourner vers elle plutôt que d'entretenir des rivalités locales. On ne peut pas faire de bonnes chansons si elles nous servent à s'affronter. Soyons clairs : la rivalité musicale, quand elle est saine, ne me pose pas de problème. Mais quand on manque de respect, quand on en vient à parler des mères et de la famille, c'est inutile. Ca n'aide pas la musique, et je ne veux pas faire partie de ça. Le pire, c'est que ça peut même devenir une altercation physique. On ne peut pas se permettre ça. Je préfère laisser ça de côté. J'ai eu mon nom Assassin à l'époque du lycée, où on se clashait sans arrêt entre nous. Mais ça n'avait rien à voir avec des insultes, il s'agissait de savoir qui était le meilleur d'entre nous. C'était de l'humour clean. Du divertissement.
Tu as travaillé avec plusieurs producteurs, tu n'as jamais eu de mauvaises expériences ? La musique est une question d'alchimie. Il y a des gens avec qui tout t'entend tout simplement moins bien que d'autres, sans que ce soit nécessairement personnel. La musique devrait se faire dans des climats sereins. Je me souviens quand Buju Banton est arrivé, en écoutant ses morceaux, je me disais que lui et Dave Kelly devaient très bien s'entendre. Je m'imaginais que seule une superbe vibe pourrait donner d'aussi beaux résultats. Avec Christopher Birch, on s'entend bien, avec Dave Kelly, Snow Cone, Daseca, Don Corleon aussi. C'est facile d'enregistrer avec ces gens-là parce qu'il y a la vibe et tu peux l'entendre.
On t'a vu sur Riddim Up, faire le deejay seulement accompagné d'une guitare acoustique. Ca doit être un exercice particulier : tu n'avais pratiquement pas de riddim… Je suis de l'école des années 80. J'adore Professor Nuts, Papa San, Lieutenant Stichie… Faire le deejay avec une guitare… Je peux le faire avec n'importe quoi, même de l'eau qui goutte. Tant que je peux suivre le tempo, c'est du bon. C'était très amusant.
Tu as des rêves de producteur ? J'ai déjà lancé ma société de production. On va commencer à produire des titres. Pour le moment, on va se concentrer sur des productions d'Assassin, je ne cherche pas à encore à produire d'autres artistes. Quand je fais quelque chose, je veux le faire bien, trouver cette vibe dont on a parlé. Je ne veux pas le faire pour le faire.
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