INTERVIEW :
Propos recueillis par : Alexandre Tonus
Photos : Julian Schmidt - www.reggaephotos.de
le mardi 19 juin 2007 - 33 020 vues
C’est bien connu, il n’est pas aisé d’obtenir un entretien avec Sizzla. Chose acquise par téléphone, il y a plusieurs semaines. Surprise, alors que la réputation du Bobo lui prête une antipathie profonde pour les médias, c’est avec un Sizzla ouvert et volubile qu’il nous a été donné de dialoguer longuement. L'occasion de revenir sur son dernier album d'alors ("The Overstanding") chez Damon Dash, mais aussi d'aborder de nombreux thèmes pas toujours évidents à négocier mais souvent cruciaux dans la rhétorique du deejay.
Cet entretien appelait d'autres questions que nous aurions aimé lui poser alors qu'il est de retour en France après quatre ans d'absence. Mais c'est un tout autre Sizzla, hermétique, que nous avons croisé. Reste cet entretien fleuve avec l'artiste le plus talentueux de sa génération.
Reggaefrance / En travaillant avec Damon Dash, tu as déclaré que l'objectif était d’accéder à une meilleure distribution et promotion de ta musique, quelle était la motivation artistique ? / Il ne s’agît pas que de distribution, même si nous avons besoin d’argent car sans argent, nous ne pouvons pas acheter de choses légalement dans ce système. Mais je suis rasta, car Rastafari est le roi de l’Afrique. Il est le roi d’Afrique qui se lève pour libérer le pays et garder les gens libres et éduqués. Il faut donc que je continue à avancer sur cette voie. Avoir une bonne distribution est une chose, mais là encore il y a un but et une opportunité d'atteindre plus de jeunes à travers le monde, de les unir, d’uniformiser leur culture. Même si c’est pour dire « Salut, bonjour, non au crime, non à la violence », c’est Sizzla Kalonji qui travaille à ce que tout le monde soit éduqué dans le futur. Même si nous n’atteignons que peu de gens, nous devons le faire. Que tu vendes un disque ou des millions, tu atteints toujours du monde.
Tu as aussi parlé de la possibilité de produire des baskets et des t-shirts. C'est sérieux ? Oui, c’est sérieux. J’ai signé un contrat entre Sizzla et Prokeds, On The Merge dessine des vêtements pour moi. Je donne donc de la musique à Damon, ce qui l’aide pour son DDMG Music Group et Damon m’aide en me fournissant des tennis. Je porte mes propres tennis sur scène. Et puis, ces tennis sont en production actuellement pour être distribué dans toutes les îles à travers les Caraïbes et même aux Etats-Unis. Nous ne voulons pas sortir et paraître manquer de respect aux gens, en s’appuyant sur le crime et la violence pour gagner de l’argent. Partout j’essaye de faire de mon mieux, obtenir un contrat pour des tennis, obtenir un contrat pour des vêtements, un contrat pour de l’eau de source ou quelque chose d’autre, et représenter les gens. Ainsi les gens montreront leur soutien au produit et nous pourrons vivre honnêtement et manger sur une table propre.
Produire des t-shirts ou des tennis, pour un Rasta, c’est un peu paradoxal… Les Rastas sont connus pour être en marge du système de Babylone. Ca te fait comprendre que nous devons donc bâtir notre propre système. Les Bobos Shantis, les Rastas fabriquent leurs propres vêtements, leurs propres étoffes. La musique va avec la mode, les gens doivent être dignement considérés. Comme le dit la Bible, celui qui a faim doit être nourri, celui qui est nu doit être habillé, celui qui est malade doit être soigné, celui qui est vieux doit être protégé, celui qui est enfant doit être surveillé. Cela vaut pour toute nation, pour tout être humain sur la Terre. Je me tiens donc là-dehors pour guider tous ces gens. Qu’en est-il si ces gens me disent « Sizzla, on a besoin de manger. Où est le restaurant ? Où sont les vêtements ? Où sont les chaussures ? Tu nous donnes de la musique, tu peux faire bien des choses encore. » Je ne suis pas là pour rester assis avec mon talent.
Tu fais vraiment des choses pour les gens, pour ton peuple aujourd’hui ? Pour ma famille, pour mon peuple, pour ma nation et toutes les autres nations. Toutes les nations soutiennent Sizzla. Quand je suis dans cette salle de concert, tu dois faire attention : Noirs, Blancs, Chinois, Indiens, Syriens, Africains, tout le monde est là. Aussi quand je regarde et que je vois toutes ces belles personnes, ces fils et ces filles, ensemble devant moi, je sais que ma mission est sérieuse. Même le fait de regarder dans le public me rend sérieux. Même si j’étais en train de plaisanter, monter simplement sur scène et regarder la foule me fait me dire « Mon Dieu, je me rends compte combien de gens ont dépensé de l’argent pour acheter des chaussures et des vêtements, combien de filles se sont habillées, juste pour aller à un concert. » Il faut prendre son travail au sérieux et s'ils écoutent ma musique, ça me plairait beaucoup que les filles portent des vêtements dont j’ai créé le design. Je ne les nourris pas qu’avec des mots, je les nourris avec de la nourriture et des vêtements également. Je suis un être humain, j’ai des sentiments, je dois prendre soin de moi et rester propre, je pense donc la même chose de chacun.
Tu as découvert une nouvelle industrie en faisant beaucoup de duos avec des artistes hip-hop ces derniers temps (Busta Rhymes, Foxy Brown, Mos Def). Qu'en retiens-tu ? C’est une bénédiction ! Car ce sont les dirigeants de ce monde. Pas en termes de système gouvernemental, mais selon les lois de la nature. Les gens suivent ces artistes. En Jamaïque, les gens sont excités par ces artistes d’outre-mer. Lorsqu’ils sortent une nouvelle chanson, ils la mettent en sonnerie sur leurs portables, ils la chantent, ils utilisent les instrus. Et quand ces artistes entendent nos riddims et nos chansons, parfois ils chantent dessus aussi. Je dis donc : « Venir ici et chanter en duo avec Busta Rhymes ! Je suis Sizzla, mais je suis excité à l’idée de faire une chanson avec Busta et Busta aussi. Je vois que nous attendions depuis longtemps de nous associer, alors associons-nous maintenant. »
Je travaille 6 jours de la semaine, je me repose le septième. Et j’ai remarqué que cette bénédiction est arrivée en même temps que 2007. Je dis donc que 2007 ce sera deux mille bénédictions, nous devons aimer et adorer le Mont Sion, le paradis. Nous ne faisons donc pas qu’observer à l’extérieur, nous observons à l’intérieur aussi et nous observons spirituellement. Et puis nous observons les saisons, nous observons le temps, nous observons l’année et ces choses-là, nous observons les choses qui affectent les gens et nous disons « Yo, il y a eu trop de crime et de violence en 2005 et 2006, alors 2007, nous allons en faire un millésime africain. » Le monde sait que le rastaman enseigne la droiture et est un soldat révolutionnaire. Nous prenons donc les choses au sérieux et Dieu me protège en ce moment, je continue donc à avancer.
Et quelle est la position d'artistes comme Busta Rhymes ou Foxy Brown sur Rasta ? Ils connaissent Rastafari, crois-moi. Parfois ils font juste de la musique pour l'industrie, qui demande un certain type de chanson, commercialement parlant. Simplement pour rapporter de l'argent, pour vendre des disques, c'est leur travail. Chanter des chansons, monter sur scène, c'est un travail, comme pour n'importe qui. Les artistes hip hop sont au courant de ce qu'il se passe, ils savent que des gens souffrent. Parce qu'ils sont conscients et parce qu'ils voient que cette musique peut leur rapporter de l'argent, ils en profitent. Donc ils vont chanter sur l'argent ou les bijoux parce qu'ils ont été négligés, privés de toutes ces choses. Quand j'étudie les rappeurs américains, je les vois chanter sur le bling bling etc. Honnêtement, je ne suis pas tellement différent. C'est juste que je ne chante pas et je n'insiste pas sur le bling bling. Mais si tu te tournes vers le Plus Haut Selassie I, Sa couronne est entièrement faite d'or. C'est à nous maintenant de nous rapprocher de ces rappeurs pour leur montrer et leur apprendre un peu plus sur leur culture. Marcus Garvey vient de Jamaïque mais c'est à Harlem qu'il est devenu important.
Donc je ne suis pas si différent. Je suis là pour unir les jeunes du monde entier, depuis ma nation. En unifiant ma nation, lui donnant quelque chose à faire, elle sera capable d'aider une nation voisine. Sizzla aide la nation Noire à faire des chaussures, des vêtements, des voitures, des maisons, de la musique… Quand je regarde la nation indienne et la nation blanche, je vois un petit quelque chose que je pourrais exploiter. Mais comment les atteindre si je n'ai rien avec moi ? Je n'ai rien à donner. Cela veut dire que je dois travailler pour en avoir. Tout sur cette terre vient des humains. L'argent ne se promène pas dans les rues en disant "Hey Sizzla, viens m'attraper". Non, l'argent est dans les poches des gens, qui le dépensent pour acheter des disques de Sizzla. C'est comme ça que Sizzla gagne de l'argent.
Quelle était ton intention en remixant des chansons "intouchables" comme Black woman and child ou Thank you mama ? Elles sont vraiment similaires aux versions originales. Ces remixs étaient une idée de Damon. Il adore Thank you mama. Tout le monde l'aime. Aucune nation ne pourrait se battre sans une mère. Personnellement, je n'aime pas me répéter sur album. Sur chaque album, chaque chanson doit être nouvelle. Mais c'est la stratégie du marketing, de la promotion. Cette chanson est très consciente. Parfois quand je regarde la télévision, je vois des jeunes enfants répondre à leurs parents. Ca ne se passe pas comme ça dans les Caraïbes. Quand Damon a parlé de mettre cette chanson sur l'album, je n'ai pas cherché à l'en dissuader parce que je veux que le monde la connaisse. Cette seule chanson peut stopper assez de violence et de crimes.
Tu respectes toujours les sounds et les dubplates aujourd’hui ? Oui. Tu ne peux pas aller à l‘école sans un stylo et un papier. Ton outil, en tant qu’élève, c’est ton livre et ton stylo. Mon instrument, c’est le micro, le sound system, la guitare, la batterie, la scène. C’est important d’avoir des sound systems, des médias, des journalistes. Ecoute, Sizzla chante juste les chansons. Sizzla ne joue pas les chansons à la radio. Ce sont les disc-jockeys qui jouent les chansons et ils deviennent célèbres parce que les gens écoutent les chansons, ils les aiment et ils les demandent. Je fais les chansons, je ne les vends pas, cela coûte cher de distribuer tes chansons. Les selectors prennent les chansons, vont en danse et les jouent. Donc nous dépendons les uns des autres.
Et les sound systems adorent les chansons qu'ils peuvent jouer en clash. C'est comme ça qu'on gagne de l'argent. Si je chante Thank you mama par exemple, un sound la voudra peut-être en dubplate. Mais c'est une chanson pour les mamans, donc il va te falloir me donner 1000 dollars pour cette chanson. Je me lève tôt le matin et je vois des bébés dire "Papa je vais à l'école et je veux 50 dollars". "50 dollars pour aller à l'école ?" "Non, 60 dollars !". 60 dollars jamaïcains, cela fait 1 dollar américain. Cet unique dollar peut l'amener à l'école pendant deux jours. Quand je vois que je gagne 60 000 dollars jamaïcains juste en chantant Thank you mama, je prends la chose très au sérieux. La musique peut nourrir les gens et beaucoup d'entre eux n'ont pas à manger. Ils viennent, ils chantent et s'amusent et puis repartent. S'ils pouvaient voir ce qui peut naître de la musique, ils auraient vu son potentiel pour nourrir les gens. C'est pour cela qu'il y a tant de jeunes Blancs, Noirs, Indiens, Chinois de nos jours qui chantent. Ils regardent la télévision et voient Puffy, Sizzla, Jay Z qui font des millions de dollars, eux veulent aller à l’école. Et si la musique, une chanson numéro un, peut leur donner des millions de dollars, ils pourront payer l’école. On garde donc cet état d’esprit.
Tu sors toujours beaucoup de singles. Tu n’as pas peur de diluer ton message ? Non, pas du tout. Regarde la Bible, il y a tellement de livres et de prophéties. On a besoin de plus de livres dans la Bible. Comme en musique. Dans l’industrie, l’habitude est de dire que trop de chansons tuent les chansons, donc tu dois faire des albums pour avoir la place de rendre justice aux chansons, tirer tout ce que tu peux tirer d’elles. Mais c’est une autre vision que celle de faire la musique… Faire de la musique est aussi un business : on travaille, pas de 9 à 5, et toute la vie. C’est un sacerdoce. La raison pour laquelle Sizzla sort autant de chansons, c’est que c'est une autre stratégie pour être partout, garder le buzz, utiliser la musique pour éduquer les gens, enseigner aux jeunes, exprimer la joie, l’amour, le bonheur, la peine ou la fête. J’utilise la musique pour presque tout parce que la musique est un langage universel, Mais nous utilisons la musique pour faire de l’argent. Quand Sizzla fait une chanson, la chanson produit ce qu’elle peut. Mais je ne peux pas attendre que son effet se dilue ou que la chanson soit oubliée avant d’en sortir une nouvelle. Tous les week-ends, les gens sortent dans les clubs, et ils veulent entendre quelque chose de nouveau, Et si les gens aiment les nouvelles chansons qu’ils entendent, ils vont les acheter. Donc continuer à faire des nouvelles chansons, c’est continuer à faire de l’argent neuf.
Tu donnes juste au gens ce qu’ils veulent ? Oui. Et autre chose aussi. Tu fais le tour du monde, mais tu ne peux pas tourner avec une seule chanson. Quand Sizzla monte sur scène, je n’aime pas chanter dix chansons, mon frère, j’aime chanter une quarantaine de chansons ! Tu sais de quoi je parle. Je chante et les gens disent : « chante cela, chante celle-ci encore une fois, King ! » et même quand je chante 77 chansons et que je descends de scène, il y a encore des femmes qui me disent : « Sizzla, tu n’as pas chanté ma chanson tu sais ». L’artiste ne doit pas s’éteindre. Cela veut dire qu’il doit toujours avoir une chanson dans les tops à la radio. Quand je sors une chanson, je n’aime que les gens me réclament encore des nouvelles chansons ; ils devraient plutôt dire : « Dada, j’aime cette chanson là, fais-en encore quelques-unes comme ça ». Et quand je fais un album, il leur rend justice.
Parmi tes singles, il y en a beaucoup de différents styles de musique. C’est vraiment ton but de chanter sur du rock ou du rap au lieu du reggae ? Je suis un artiste, je suis un musicien : je joue de la guitare, de la batterie, du piano quelquefois. Quelquefois, quand j’entends ces instrus rock, ça me rend fou. Mes frères me disent aussi que je devrais chanter sur des riddims hip-hop. Ça vient donc d’un encouragement de leur part mais c’est aussi une stratégie : aller vers les Roc A Fella et autres, c’est bon, ce sont de nouvelles idées pour se positionner dans la musique. Mon groupe (Firehouse, ndlr) peut jouer du hip-hop, du rock, du jazz, du reggae, du dancehall ou du ska. Et autre chose que tu dois savoir sur l’artiste et son public : même si tu as beaucoup de fans de la première heure de Sizzla, qui aiment la culture, il y a aussi des fans qui aiment le hardcore et il y a aussi des filles qui aiment quand les chansons parlent d’elles. Mais Sizzla doit être un professionnel dans le sens où il est capable d’écrire une chanson pour n’importe quel type de riddim. Qu’on soit artiste de reggae ou de dancehall, le jazz, le hip-hop, le RnB, c’est un tempo, des temps, des mesures ou des mélodies. On peut s’adapter, mélanger les genres pour être dans la culture des jeunes.
Tu as monté ton propre label, Kalonji Records. Quel est le but de Kalonji Records étant donné que tu es aussi lié à VP et Greensleeves notamment ? Mon premier but est d’être une entreprise indépendante parce que là où nous ambitionnons d’être, il y a des méga-entreprises : il faut pouvoir se mettre autour de la table pour négocier avec elles. Je suis le seul boss de Kalonji. Je te le dis direct : je suis le seul qui gère la pression, qui monte sur scène et qui fait le boulot. Je dois donc négocier personnellement, parce que ces sociétés vendent mon travail. Les gens me disent : « Sizzla on suit ton travail, tu dois contrôler complètement ta destinée. On ne suit pas les labels, car ils ne font rien d’autre que se reposer sur tes produits ». Donc le problème devient sérieux : il m’a fallu enregistrer mon entreprise, payer des taxes… Comme ça je peux négocier des contrats.
Mais comment négocies-tu avec VP ou Greensleeves ? Tu travailles toujours avec eux. Oui, je travaille toujours avec eux. C’est comme cela que tu peux avoir beaucoup de singles. Il y a beaucoup de producteurs qui voient la musique comme une opportunité pour pouvoir en vivre, vendre de la musique et faire de l’argent. Certains ne sont pas dans la musique pour une vraie cause, mais ils ne tuent personne, ils ne vendent pas de drogues donc il faut les laisser faire. Quand ils ont un nouveau riddim, ils veulent Sizzla. Et moi, je ne laisserai pas ce riddim sortir sans moi. Je ne laisserai pas passer cette opportunité d'atteindre du monde.
Indépendamment de ces grands labels, beaucoup d’albums qui sont sortis sur une multitude de labels différents en Europe et aux Etats-Unis. Est-ce que tu gardes le contrôle sur chaque album de Sizzla qui sort tous les mois ? Oui, j’ai le contrôle sur mes albums. J’ai ma propre compagnie de publication, j’ai mon propre label, j’ai mon comptable, j’ai mon avocat, j’ai mon équipe de management. J’ai toute une structure. Donc quand je fais une chanson, ou que j’ai fait un album pour quelqu’un, si ce n’est pas sur mon label, j’ai toujours mes crédits et toutes ces choses en règle.
Mais quand un album comme cela sort, le label te fait une commande de 20 singles pour en faire une compilation ? Je peux te dire que pour réaliser un nouvel album, il doit s’agir de chansons que tu ne connais pas et il faut que l’on te nomme ces chansons. En tant que label, si on te donne un nouvel album, et qu’on te donne un autre album, et encore un autre, tu as été autorisé à les enregistrer et à les promouvoir. Donc tu peux toujours sortir une compilation de Sizzla. Il s’agît de trois albums de Sizzla, on ne veut donc pas les perdre. Parfois, tu as des albums qui sortent, qui n’ont pas été produits en studio en tant que tel. Les labels connaissent la stratégie marketing et ils ont vu où ils pouvaient effectivement faire de l’argent. Ils compilent donc un autre album et le sortent. Par exemple, tu as des albums de Capleton, Sizzla et Luciano qui sortent ; personnellement, je ne suis pas allé en studio et n’ai jamais fait un album avec Capleton ou Luciano. C’est le label qui a mis ces albums ensemble. C’est en rapport avec les termes des contrats que nous avons signés sur chaque territoire.
Tu passes tes journées à Judgement Yard ? C’est à Judgement Yard que se trouve le studio de Sizzla, c’est là que je médite, c’est là que je me réveille tous les matins et vais m’asseoir. Quand le monde se demande : «Où est Sizzla aujourd’hui ?» Il est dans son studio, à Judgement Yard. Nous avons une station de radio là-bas désormais, où les gens peuvent venir quand ils veulent et jouer leurs chansons. C’est un exemple typique de ce qu’est Judgement Yard. La raison pour laquelle j’ai appelé cet endroit Judgement Yard, c’est parce que les gens ne sont pas stupides, les gens visent toujours plus haut. Je me suis donc dit : «Comment puis-je me représenter ?» Je ne veux pas d’un nom stupide, je veux que les gens se disent quand ils entendent ce nom : « Judgement Yard ! Je veux savoir de quoi il est question.» Dans la Bible, il est dit que le Tout Puissant établira un trône du jugement, je me suis donc dit que je voulais établir le trône du jugement dans notre quartier. Tant que le trône du jugement est dans notre quartier, dans notre maison, nous ne ferons rien de mal ou de stupide.
Il y a deux ans, des armes auraient été trouvées à Judgement Yard. Te sens-tu menacé ? Il n'y a jamais eu d'armes trouvées à Judgement Yard. Si ça avait été le cas, je ne serais pas en ce moment en tournée au Canada ! Mais les médias se sont emparé de ça. C'est pour ça que certains artistes n'aiment pas trop les journalistes, parce qu'ils ne cherchent pas toujours la vérité. Ils veulent Sizzla en une de leur journal, parce qu'ils savent qu'ils vont le vendre comme de petits pains. C'est une stratégie (le site officiel de Sizzla revient pourtant sur la découverte d'une cache d'armes à Judgement Yard en mars 2005, ndlr).
Je ne me sens pas menacé, et je ne suis pas menacé. Et si tu me menaces, tu me feras rire, car je n’ai pas peur de me battre avec toi. Tu crois que tu vas venir et me mettre des coups dans la gueule comme ça, viens alors. Tu veux la bagarre, tu auras la bagarre. Si tu veux de l’amour, tu auras de l’amour. Une fois encore, tout le monde a le droit de vivre, tout le monde est libre et a le droit de se sentir en sécurité. Avant même de parler de flingues, tu as le droit d’avoir un couteau chez toi, par exemple. Et on peut faire beaucoup de dégâts avec. Les armes sont partout. C'est aux gouvernements et aux leaders de ce monde de mettre un terme à tout ça. On pourrait cesser la fabrication d'armes, et toutes les confisquer. Mais des gens s’entretuent, il y des gens qui en violent d’autres, certains n’osent pas sortir seuls et d'autres veulent se défendre. La seule chose qu’on peut faire se trouve dans notre musique. Nous devons donner de la musique aux gens et espérer qu’ils ne se battent pas.
Mais la culture dancehall et les paroles sur les flingues participent à la violence sur l’île… Non. La montée de la violence vient de la souffrance et des manques des gens, qui n’ont pas un bon système judiciaire, qui n’ont pas de vêtements, de nourriture, qui n‘ont pas d’emploi et ne vont pas à l’école. Ils deviennent des ignorants, et voilà le résultat.
Ca n'a donc rien à voir avec certains textes ? Quand tu écoutes des gun lyrics, ça ne veut pas dire que tu dois aller te battre. Des artistes se font voler, se font tuer. En tant qu'artiste, je ne peux pas descendre quelqu'un, ou le poignarder. Tout ce que je peux faire, c'est m'exprimer avec des mots. Montrer que je suis vraiment sérieux, faire en sorte que cela se sache qu'on ne peut pas m'attaquer. C'est juste dans la musique, rien de plus.
Tu as des discours très tranchés sur les Blancs et les Noirs… Tu sais, des Blancs me demandent de faire des concerts où je suis parfois le seul Noir avec mon groupe. Et Sizzla doit être là. Ce n'est pas une plaisanterie : le racisme ne relève pas du préjudice. C'est une question d'égalité et de justice.
Penses-tu que le métissage soit l'avenir ? Il ne s’agît pas de couleurs. Chacun son combat et sa victoire. L’Afrique aux Africains, l’Amérique aux Américains, le Japon aux Japonais et l’Europe aux Européens. Mais en même temps, l’amour ne connaît pas de limite. Tu ne peux pas leur dire qui être, tu ne peux pas leur dire quoi faire. Tu dois savoir ce que toi tu fais, et eux doivent savoir ce qu'ils font. Mais tu dois aussi conserver une sorte de suprématie. Car il y a des Noirs, ça existe, il y a des Blancs, ça existe, il y a des Chinois, des Indiens, ça existe. Que vas-tu faire ? En tuer la plupart, car ils sont Noirs, Blancs ou Chinois ? Les gens sont libres de faire ce qu’ils veulent, tant qu'ils ne font rien de violent. Mais en même temps, pour maintenir la suprématie de ta nation, un Noir doit prendre une femme Noire, un Blanc une femme Blanche, et un Indien une Indienne. Et pourtant l'amour n'a pas de couleur. Les Blancs et les Noirs doivent trouver l'amour et le confort.
Le message du reggae est-il toujours le même qu'à l'époque de Bob Marley ? C'est toujours le même. C'est juste que Bob Marley, en tant qu'artiste, jouait d'un instrument et il jouait avec un groupe fabuleux. Les jeunes d'aujourd'hui devraient jouer d'un instrument. C'est la différence. Car c'est pour cela qu'on ne voit plus cette part spirituelle qu'on voyait chez Bob Marley. Il jouait ses propres morceaux, tandis que les autres artistes ont des musiciens qui les jouent pour eux.
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