INTERVIEW :
Propos recueillis par : Sébastien Jobart
Photos : DR
le mercredi 18 avril 2007 - 138 639 vues
Egérie du slackness et figure du dancehall féminin des années 90, la sulfureuse Lady Saw ne s'est pas émoussée avec les années. Une confiance en elle inébranlable doublée d'une personnalité affirmée sont ses principales armes pour revenir sur le devant de la scène, trois ans après la sortie de son dernier album. Interview coup de poing avec une Lady qui n'a rien perdu de son franc-parler.
Reggaefrance / Tu sors un nouvel album chez VP, ce sera ton sixième. / Tu sais quoi ? Je crois que ça fait plus que ça, parce que certains albums sont sortis sans même que je sois au courant. Mais je n'en sais rien : honnêtement, ça pourrait être le 8e ou 9e album, je n'en sais rien !
A quoi ressemblera cet album ? Je pourrais chanter les morceaux, mais j'ai un rhume. Sur cet album, je chante plus, je laisse plus de place au chant. Infertility, par exemple, est très personnelle. Ce sera le premier single. Elle parle de mon expérience, car j'ai du adopter. Elle parle des femmes qui ne peuvent tomber enceinte ou qui le sont mais perdent l'enfant. C'est très intime. Je l'ai chantée sur scène en Jamaïque il n'y a pas longtemps, j'ai vu des femmes pleurer. Baby dry your eyes, Silly Dreams, sont aussi de très belles chansons. My crew est plus hardcore, pour la rue, comme Chat mi back qui marche bien en ce moment en Jamaïque. "Walk out" est un très bel album, j'en suis très fière.
Tu as commencé à chanter très jeune, à l'âge de 15 ans. J'allais dans les soirées dancehall le soir, je faisais le mur parce que mon père ne voulait pas.
Un soir, on m'a donné le micro… Oui, j'ai commencé très jeune. Je chantais aussi à l'Eglise, dans la chorale.
 La seule chose que je n'aime pas, c'est que certains artistes se disputent, et peuvent même en venir aux mains...  Qu'est-ce qui t'a poussée à faire carrière dans la musique ? Je suis devenue chanteuse parce que j'ai remarqué très jeune que je pouvais le devenir. Je me suis rendue compte que j'étais capable d'assimiler des chansons très rapidement, et que je me souvenais de textes appris par cœur des semaines après. C'est là que je me suis dit : "Je suis une chanteuse !"
Tenor Saw a eu une influence énorme sur toi… C'est même ma seule influence. Il était un grand chanteur que j'admirais beaucoup (il est mort en 1988, ndlr). Jeune, je copiais son style, je sonnais comme lui, et c'est pour ça qu'on m'a d'abord appelée Female Saw, puis Lady Saw. C'était au début. Après, j'ai commencé à faire mes propres trucs.
Quel regard portes-tu sur la scène dancehall actuelle ? Les artistes dancehall marchent bien ici. La seule chose que je n'aime pas, c'est que certains d'entre eux se disputent, et peuvent même en venir aux mains. La musique n'a rien à voir avec la violence, et j'aimerais que tout cela change. Cela serait tellement mieux. Il y a pleins de jeunes qui arrivent avec beaucoup de talent, j'aime ça.
Comment te positionnes-tu par rapport à tous ces artistes ? Ma position est que je suis au top, quoiqu'il arrive. Les gens paient pour entrer dans les charts, mais pas moi. Parfois, tu vois une chanson qui est au top des charts et ça n'a aucun sens. Ils ne sont pas talentueux, c'est tellement évident qu'ils ont payé pour se retrouver en haut des charts. Je déteste cela. La façon dont je vois la chose, darling, c'est que je suis la reine de tout ça. Il y a beaucoup d'envieuses autour de moi, des jalouses de ma position. Les faits parlent pour moi : j'ai été la meilleure à chanter du dancehall, je suis toujours la meilleure, et je ne paye pas pour être dans les charts. Personne ne peut prendre ma place, absolument personne. Je suis comme Mary J Blige, tu ne peux pas prendre la couronne de ces gens-là.
Tu ne crains donc personne ? Elles ne peuvent pas rivaliser avec moi, même dans mes pires journées. Et elles le savent. C'est pour ça qu'elles parlent derrière mon dos.
Dans "Made in Jamaica", on te voit dans ta cuisine, commencer à improviser, puis te précipiter dans ton home studio pour enregistrer. Ca arrive souvent ce genre de scènes ? J'aime cuisiner, donc je suis toujours dans ma cuisine. De cette pièce, tu peux aller soit au studio, soit à la chambre, yuh understand ? La plupart du temps, ça mène au studio (rires).
Tout est dans l'inspiration, l'instant ? J'ai juste à appeler mon ingé son et lui dire "yo, envoie moi un nouveau beat". Si je l'aime, je vais bosser dessus, sinon, je ne fais rien. Je suis toujours en studio, toujours.
Il est chez toi, c'est forcément plus facile… C'est confortable, je suis bien là-bas avec John John (son mari, producteur ndlr). Il y a toujours des musiciens, des ingénieurs, qui m'aident dans le studio, qui écrivent des riddims…
Tu es connue pour tes paroles très explicites, sans parler de ton jeu de scène… You know what darling ? Quand je suis sur scène, je suis comme folle. Je divertis les gens, et je ferais n'importe quoi pour les divertir. Pas montrer mon vagin ou ce genre de choses, mais quand il s'agit de parler de sexe, crois moi… Tu peux me mettre sur scène et m'interdire de prononcer des vulgarités, je le ferai quand même ! Je peux demander l'avis de mes fans. Le plus souvent, ils ne veulent pas que je me "tienne bien" sur scène (rires). Donc je leur donne ce qu'ils veulent.
C'est pour cette raison que tu as commencé à écrire des chansons sur le sexe ? J'ai commencé alors que les mecs chantaient déjà ce genre de textes. A l'époque, je chantais des chansons jolies et propres, et ça ne m'emmenait pas là où je voulais aller. Donc je suis devenu comme les mecs. A la différence que je ne salis pas les femmes et leur sexe. Je chante la beauté de ça, comment le garder beau, comment s'en servir. Je n'ai jamais chanté de chansons dégradantes.
Tu es aussi maman, comment allies-tu ces deux facettes ? Mes enfants ne savent pas ce que je chante. Maintenant qu'ils sont grands, ils peuvent entendre des choses, acheter les cds… Mais ils sont grands. Quand tu éduques tes enfants, tu peux leur apprendre à choisir le chemin de la raison. Ils pourraient aussi se perdre sur le mauvais chemin. Ce sont de grands enfants maintenant, et ils peuvent faire ce qu'ils veulent. Ce sont de bons enfants. Je ne les ai jamais emmenés dans des soirées dancehall quand ils n'avaient pas l'âge, et je ne le fais toujours pas. Je pourrais les emmener voir Akon, mais pas Kartel.
Avoir des paroles slackness peut faire de toi une star en Jamaïque, mais compromettre une carrière internationale… Je n'ai aucun problème avec mes paroles. Elles m'ont emmenée partout dans le monde. Je n'enregistre même plus ces chansons maintenant. Je pourrais enregistrer un album entier sans chanter des textes slackness, je suis versatile.
Tu as fait partie de Shocking Vibes. Aujourd'hui, es-tu toujours liée à un crew ? Je suis totalement indépendante maintenant. Pourquoi ? J'étais une artiste de Shocking Vibes auparavant, mais ils ne me donnaient pas ce que j'estimais mériter. Donc j'ai du les quitter. Je n'ai pas de crew parce que je n'aime pas les personnes ingrates. Tu peux aider des artistes à se faire connaître et respecter, grâce à ton nom. Mais dès qu'ils deviennent connus, qu'ils gagnent de l'argent, ils prennent la grosse tête et se mettent à crâner. Je ne veux pas d'eux comme amis. J'ai quelques amis comme Spice, dont je parle aux gens. Mais je ne veux pas être de nouveau mêlée à un crew.
On raconte que plus jeune, tu te déplaçais avec un pic à glace sur toi… J'ai grandi à la campagne, où tout était tranquille, basé sur l'amour et l'unité. Quand tu arrives à Kingston, tout le monde veut se battre avec toi parce que tu viens de la campagne. Je me suis battu avec des mecs plus âgés que moi, et même des femmes. Je me défendais. Oui, j'étais une combattante. Je devais faire savoir que je n'étais pas quelqu'un de qui on peut se jouer. Maintenant, j'ai grandi, je ne vis plus dans le ghetto, je n'ai plus besoin de me battre. Là-bas, tu survis.
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