INTERVIEW :
Propos recueillis par : Benoit Georges
Photos : DR
le dimanche 08 avril 2007 - 314 333 vues
Derrière le B de Nicky B se cache une illustre famille de la musique jamaïcaine : celle de Mikey Bennett, compositeur et producteur fameux. Un premier enregistrement au côté de Beenie Man lance la carrière du jeune Nicholas Bennett, mais c’est Don Corleon qui révélera au public sa voix fraîche, influencée par le RnB, qui sied si bien aux riddims dancehall. Assumant parfaitement ce métissage, dans un style qu’il appelle Riddim and Dancehall (RnD), Nicky B est tout aussi à l’aise lorsqu’il s’agit d’expliquer le choix de ses thèmes de prédilections.
A l’instar de Chico, il aurait pu rester un chanteur underground, connu seulement des amateurs de singles jamaïcains, s’il n’avait croisé la route de Lord Kossity qui l’a mis à l’honneur sur l’album "Danger zone".
De passage en France à l’occasion du tournage du clip Hotel room, Nicky nous parle avec enthousiasme de sa jeune carrière, débutée en 2004.
Reggaefrance / Parlons d’abord de tes origines : ton père, Mikey Benett est un musicien et un producteur célèbre. A-t-il contribué à ton éducation musicale ? / Grandir dans un environnement musical comme le mien, autour de Maxi Priest, de Shabba, de la grande Roberta Flak ou de Cindy Lauper laisse toujours des traces. Je crois aussi qu’il y a les gènes : mon père est un excellent parolier, je pense qu’il est l’un des meilleurs paroliers jamaïcains. Tout cela a bien sûr contribué au fait que je me retrouve aujourd’hui à faire de la musique.
Y a-t-il autre chose qui y a contribué ? Je pense que ma personnalité a aussi contribué à ce que je fasse de la musique. Je suis quelqu’un qui a l’esprit libre : j’aime faire ce que je veux, quand je le veux. Je n’ai pas trouvé la musique, c’est la musique qui m’a trouvé, parce qu’à l’origine je voulais être chef cuisinier. C’est drôle, non ?
En fait, il y a quelque artistes qui ont vraiment travaillé comme cuistot, je pense à Hawkeye par exemple … C’est vrai. Moi, je voulais aller à l’école pour apprendre ce métier. Mais j’ai perdu ma maison dans un incendie. J’ai alors décidé d’arrêter l’école pendant un an et de rester traîner au studio à Kingston. Je suis resté au studio pendant mon année sabbatique en espérant pouvoir travailler avec père. J’ai donc décidé de faire de la production parce que ce n’était pas dans ma personnalité de me mettre en avant : j’étais plus dans l’idée de rester à l’arrière plan, faire des hits sans recevoir les honneurs, faire juste de la musique. Un jour, Beenie Man est venu au studio, il travaillait pour des producteurs de Suède. Il avait des couplets mais toujours pas de refrain. J’étais dans le studio en train de fredonner et tout le monde s’est retourné vers moi en demandant : « qu’est-ce que c’est que ça ? ». J’ai répondu que ce n’était rien mais Beenie Man a insisté : « fais-moi écouter ça ». Ensuite, il voulait me faire enregistrer. Je lui ai répondu : « non, je ne suis pas chanteur, appelles un chanteur et je lui donnerais cette mélodie ». Finalement, ils m’ont forcé à enregistrer et c’était incroyable. J’ai aimé ces sensations. C’est là que ma carrière a commencée, What it feels like fut mon premier enregistrement professionnel.
Quelle est la chanson que tu considères comme ton premier hit ? Mon premier hit en radio, celui qui m’a apporté une vraie reconnaissance en Jamaïque, qui a fait que le public a commencé à me prendre au sérieux en tant qu’artiste est Are you ready ?, enregistré pour Don Corleon sur le riddim Good to go. Don était vraiment chaud à l’époque et tout ce qu’il enregistrait était beaucoup joué. C’était la première fois qu’une de mes chansons était jouée constamment à la radio. J’ai également tourné un clip : ça a fait décollé ma carrière en termes de « fan base », surtout auprès des jeunes filles jamaïcaines.
Don Corleon t’a poussé à enregistrer d’autres morceaux pour lui… Don Corleon et moi avons de très bonnes relations, comme avec Steven McGregor (le fils de de Freddie McGregor ndlr). J’ai tendance à avoir de bonnes relations avec les producteurs qui aiment la musique autant que moi. Don Corleon peut m’appeler à 4 heures du matin parce qu’il va au studio bosser sur une chanson : je vais me lever et aller le rejoindre. Nous partageons le même amour pour la musique. Je suis resté au studio avec lui des nuits entières, je l’ai vu apprendre : je pense qu’il a évolué vers l’excellence en termes de production. Je l’ai vu alors qu’il était à peine capable de faire un son et aujourd’hui il produit des hits pour Sean Paul ou Keisha Cole. Je pense qu’il a vu que j’amenais un autre style, unique à l’époque. Je le décris comme du RnD : Riddim and Dancehall. C’est aussi le nom du premier album que je sortirais.
Justement, une de tes spécialités est que tu chantes presque uniquement sur du dancehall. Oui, j’ai trouvé qu’il serait intéressant d’amener un nouveau style de chant. Il y a beaucoup de chanteurs très différents qui viennent de Jamaïque. Tu as les Barrington Levy ou Pinchers qui ont un style très particulier, qu’on pourrait définir comme style jamaïcain. Puis tu as d’autres chanteurs, plus classiques, comme Beres Hammond ou Maxi Priest. Je me suis donc demandé comment je pourrais me positionner entre ces deux styles. Craig David est un de mes chanteurs préféré, parmi les jeunes. Ces albums ont beaucoup contribué à mon style : écouter beaucoup de Craig David m’a permis d’accélérer ma musique. J’ai appris à accélérer mon flow puis à le ralentir et ainsi de suite. Je suis donc arrivé avec un style différent dont le dancehall avait besoin.
Quand le « one drop » est revenu en force en Jamaïque, n’as-tu pas pensé à enregistrer plus de titres reggae ? J’ai fait plusieurs chansons « one drop ». On m’a souvent dit d’ailleurs que je chantais bien mieux sur du « one drop ». Je suis d’accord avec cette affirmation. Mon père, par exemple, préfère que je chante sur du « one drop » : tous les producteurs de sa génération croient que les chansons « one drop » ont une plus grande durée de vie. C’est vrai : le dancehall va et vient, alors que certaines chansons de reggae, d’il y a 15 ou 20 ans, sont encore jouées et appréciées du public. Le dancehall bouge si vite : les producteurs sortent quantité de riddims, presque le double des riddims « one drop ». C’est complètement différent. Il est difficile pour moi de me faire remarquer sur un riddim dancehall, parmi les Beenie Man, Bounty Killer, Vybz Kartel, Elephant Man… J’aime toujours le reggae et je n’arrêterais pas d’en faire, mais j’ai créé mon propre style, qui est le RnD.
Une autre de tes caractéristiques, quand on regarde tes singles, c’est que tu abordes presque exclusivement les thèmes des filles et des fêtes, pas de « badman tunes » comme beaucoup de jeunes artistes dancehall. Je pense que la musique doit être une représentation de toi-même, de ce que tu ressens et d’où tu viens. Tu es un rappeur, tu as grandi dans la rue en vendant de la drogue pour survivre, tu fais du rap sur ce thème, c’est bon. Tu vis par le flingue, tu veux chanter sur ce thème, c’est cool. Je ne pense pas que je devrais chanter et agir comme quelqu’un que je ne suis pas. Je ne suis pas un badman, je ne me balade pas avec un flingue. J’ai déjà fait des chansons qui disaient en gros : « ce n’est pas parce que je n’ai pas de flingue à la ceinture que je ne peux pas me défendre ». Mais je n’ai jamais été plus loin, au point de dire « tu vas te prendre une balle dans la tête » ou des choses comme ça. Ce n’est pas moi. Je parle de ce que j’ai vécu, de ce que je connais : j’ai été blessé en amour, j’ai perdu des proches à cause de la maladie. J’ai aussi beaucoup fait la fête, parce que je suis jeune (rires).
Nous sommes d’accord. Beaucoup d’artistes ne s’embarrassent pas de ces préoccupations. Ils jouent simplement un rôle… Oui, mais ce qui se passe, c’est que beaucoup de personnes aux Etats-Unis pensent que tout cela est vrai. Beaucoup d’Américains pensent que la Jamaïque est un endroit où tu te fais braquer directement à l’aéroport, où les gens se tirent dessus continuellement dans la rue. Quand ils entendent quelqu’un chanter ça, ils se foutent de savoir si c’est vrai ou pas, ils le croient. Je pense que ma musique doit représenter ce que je fais et comment je vis. Je fais de la musique surtout et vraiment pour les femmes : je me préoccupe des femmes, plus que tout autre chose. C’est donc important pour moi de parler de choses vraies. Je parle de ce que j’ai expérimenté : j’ai aimé, j’ai perdu des amours, j’ai pleuré et bien sûr j’ai fait la fête !
Il y a deux ans, tu faisais la première partie de Kanye West aux Etats-Unis… C’était une expérience très intéressante. Ma sœur était à l’université du Massachusetts et ils organisaient un concert avec Kanye West. Ils cherchaient une première partie pour le concert et ont proposé à Kanye beaucoup d’artistes hip-hop. Mais il a décidé de faire quelque chose de différent, d’un autre genre. A cette époque, il y avait Elephant Man et Sean Paul qui cartonnaient. Il voulait donc s’orienter vers du dancehall. Ma sœur qui faisait partie du comité d’organisation m’a proposé. Mon voyage est assez mémorable : j’étais malade deux jours avant de prendre l’avion. Le médecin m’a dit de ne pas prendre l’avion car la pression pouvait endommager mes tympans. Mais c’était une énorme opportunité. J’ai donc pris l’avion de Jamaïque jusqu’à Miami, je devais ensuite prendre un autre avion jusqu’à Boston. Pendant le vol, j’ai eu mal aux oreilles et je ne pouvais plus entendre à droite. Tout le monde m’a conseillé de ne pas prendre un autre avion et de rester à Miami. Je n’ai rien dit à personne, j’ai pris un ticket de bus Greyhound, pour 32 heures de voyage jusqu’à Boston. Ces 32 heures ont été horribles : j’avais de la fièvre, j’éternuais, je toussais. Je suis arrivé à Boston et ça valait le coup, nous avons fait le concert puis d’autres shows dans les environs. Je pense que c’est à ce moment là que mes parents m’ont vraiment pris au sérieux pour la musique.
Pourquoi n’as-tu pas saisi cette occasion pour t’implanter aux Etats-Unis afin d’y mener carrière, comme beaucoup d’artistes jamaïcains? Tu as toujours des occasions de rester aux Etats-Unis. Je fais beaucoup l’aller-retour: je suis resté plusieurs mois à Miami et six mois à LA pour bosser sur mon album. Nous avons un dicton en Jamaïque : « if you want dance abroad, you haffi dance a yard » (si tu veux danser à l’étranger, tu dois d’abord danser en Jamaïque). Ce qui veut dire que l’authenticité est nécessaire dans la musique jamaïcaine : si tu es jamaïcain, tu vas sonner jamaïcain, d’une façon ou d’une autre. Si tu restes aux Etats-Unis, tu es immergé dans la culture américaine et tu risques d’oublier d’où tu viens. C’est important pour moi d’être en Jamaïque, dans l’atmosphère et la culture jamaïcaine. Et cette culture change quotidiennement. Ce qui était « big » en Jamaïque, quand je suis parti pour la France, ne le sera plus à mon retour : il y aura de nouveaux mots d’argot, une autre façon de se saluer… Si tu veux être à la page, tu dois être en Jamaïque, personne ne peut le faire pour toi. Plus tu restes aux Etats-Unis, plus tu risques de perdre cette culture et d’être exposé à des sons comme Chris Brown, ce que je ne veux pas.
Je vais aux Etats-Unis mais je ne reste pas trop longtemps, je dois toujours revenir en Jamaïque pour prendre les vibes.
Parlons de la France maintenant. Comment as-tu rencontré Lord Kossity ? J’ai rencontré Lord Kossity en Jamaïque, alors qu’il venait travailler sur l’album "Danger Zone". Je ne le connaissais pas. C’est Chico, avec qui je suis proche, qui nous a mis en contact. En fait, Chico avait ramené la vidéo de Hey sexy wow en Jamaïque. Il avait tourné un clip avec Alozade et Kiprich et s’était cassé les talons : il ne pouvait pas marcher. Chico cherchait donc quelqu’un pour s’occuper de Lord Kossity, qui devait arriver en Jamaïque. Il m’a alors proposé de l'accompagner en soirée. Je l’ai rencontré à l’hôtel et je me suis présenté comme Nicky B. Lionel et Olivier de Mek it happen avaient déjà produit un titre avec moi, mais ils l’ont fait enregistrer en Jamaïque : je ne les avais jamais vus ! Quand je me suis présenté, ils m’ont dit : « nous te connaissons, tu as enregistré pour nous ». J’ai dit : « non, jamais » mais quand ils ont parlé de la chanson, j’ai réalisé que j’avais travaillé sur leur projet. Nous sommes sortis dans un club et nous avons passé une très bonne soirée. Lord Kossity m’a alors proposé de faire un morceau avec lui. Plus tard, nous sommes donc allés en studio : la première chanson que nous avons enregistré était Gangsta girl. Don Corleon leur avait donné un cd avec cinq titres, dont le morceau Stand up. Je l’ai enregistré avec Kossity et il a choisi ce morceau comme single de l’album.
Ensuite, nous avons été en France pour faire de la promo pour l’album. Dans le studio, il posait sur un autre riddim de Don qui sonnait plus soca. Chico a lancé la mélodie, j’ai suivi et ça a donné Hotel room. Ce thème nous a vraiment inspiré : nous avons enregistré le titre en 20 minutes. Quand je suis retourné en Jamaïque, Mek it happen m’a appelé pour me dire qu’après Booty Call, le premier single avec Chico, le prochain single serait Hotel room et non pas Stand up. Quand je suis revenu en France je me suis entendu à la radio française pour la première fois ! Nous venons juste de tourner le clip à La Réunion, qui est une île magnifique. Je pense que Lord Ko est un très bon artiste, très rapide : je l’ai vu travailler sur l’album et il a enregistré quatre chansons en un jour.
Que vas-tu faire en revenant en Jamaïque ? Mon objectif reste mon premier album, RnD. J’ai été très sélectif sur les chansons : je pensais l’avoir fini mais j’ai ajouté des chansons, pour qu’il soit bien représentatif. Ce ne sera pas un album seulement pour les adolescents ou pour les jeunes. J’essaye de toucher tout le monde avec des titres de différents producteurs : Don Corleon, Ballers, qui a produit Hey sexy wow, Lenky, Birch, Track Masters, Steven McGregor… Je pense que Steven McGregor est l’un des meilleurs producteurs du moment, il n’a que 17 ans mais c’est un musicien incroyable, il joue de tous les instruments. Je compte sortir de plus en plus de titres avec lui.
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