INTERVIEW :
Propos recueillis par : Sébastien Jobart
Photos : DR (haut) - Benoit Collin
le jeudi 05 octobre 2006 - 12 274 vues
Dans une formation remaniée après les départs de Justin et Ange et l'arrivée de Lord Bitum (ex Lokos), K2R Riddim reprend sa route. Après le très élaboré "Décaphonik" réalisé sous l'égide de Tyrone Downie, exit les gros studios et retour à une réalisation plus artisanale pour "K2aiRlines". Rencontre avec une partie de l'équipage, Loïc, Dorothée et Bitum.
Reggaefrance / ''K2Rlines'' est le premier album depuis le remaniement de la formation. Quel était l'état d'esprit au moment de l'enregistrement ? / Loïc : ''Décaphonik'' était un peu l'album étape où il fallait faire nos preuves. ''K2Rlines'' est le résultat de toute l'expérience antérieure, après avoir essayé différents styles de studios et d'enregistrements. C'est un peu ce qui nous mettait la pression. L'ambiance était très bonne pour composer, avec cette nouvelle formation. Bitum est arrivé, on a eu aussi quelques modifications de claviers, et un nouveau tromboniste. On a décidé de revenir à un enregistrement ''à la roots'', de lâcher les gros studios pris et d'aller faire ça chez un ami, notre ancien sonorisateur. De travailler de manière plus tranquille, sans redemander l'aide d'un réalisateur (comme Tyrone Downie sur ''Décaphonik'', ndlr).
Dorothée : ''Décaphonik'' correspondait à une période où on ressentait le besoin d'être guidés, chaperonnés par quelqu'un d'expérience. Alors que pour ''K2Rlines'', on a beaucoup maquetté en amont, donc on n'a pas ressenti le besoin d'un réalisateur. Tu parlais de l'état d'esprit ; on est parti sur l'idée de l'équipage parce qu'on avait le sentiment d'un nouveau souffle. C'est ce qu'on a essayé de mettre aussi dans l'album, une nouvelle énergie. D'ailleurs c'est le premier album où on nous voit de face sur la pochette. Je pense que ce n'est pas pour rien, on en avait envie, Ce n'est pas pour se mettre en avant, mais on voulait que les gens identifient K2R. Parce qu'il y avait une image avec Ange et Justin qui était posée et qui aujourd'hui, avec l'arrivée de Bitum, n'est pas le visage de K2R.
Ca vous permet, en quelque sorte, de faire table rase. Dorothée : Exactement. Il n'y a pas eu de rupture non plus, mais on se sent dans une nouvelle énergie, y compris au niveau scénique. J'anticipe sur la tournée à venir mais on a envie de proposer autre chose aux gens : pas seulement un concert reggae où les morceaux s'enchaînent, mais où il y a un habillage autour. On a essayé de penser un peu les choses.
Loïc : Pour l'album, l'idée était de revenir dans le home studio, de prendre le temps de travailler la composition. On ne voulait pas refaire ce qu'on faisait au tout début, on a évolué avec chaque album en voulant toucher à autre chose, en puisant dans la musique jamaïcaine ou dans nos inspirations personnelles. C'était répondre à la demande du public. Retrouver la spontanéité de l'époque, s'éclater, montrer qu'on est toujours soudés : du old style comme du new style, avec la maturité actuelle.
Comment s'est passée la transition, notamment par rapport à l'écriture, entre le départ de Ange et Justin et l'arrivée de Bitum ? Bitum : Ca s'est fait vraiment naturellement. Quand j'ai rejoint K2R sur la tournée ''Décaphonik'', c'était provisoire : faire un petit bout de route ensemble, s'amuser, faire des scènes. Et puis finalement j'ai intégré le groupe officiellement. Pour le travail de l'album, on a mis les textes à plat avec tout le monde, pour que tous les membres du groupe adhèrent à ce qui est dit. Un gros travail de concertation a été fait pour que tout le monde soit d'accord.
Loïc : Ce qui n'est pas toujours facile dans un groupe. Le chanteur a son égo et sa manière d'exprimer les choses. Et si quelqu'un lui demande de dire les choses d'une autre manière, il a l'impression que son idée n'est plus défendue. Là avec Bitum, il n'y a eu aucun problème.
Du coup, Bitum, tu as mis ton groupe Lokos entre parenthèses ? Bitum : Entre plusieurs parenthèses, même (rires). A la base je suis de Lille, maintenant je vis à Cergy-Pontoise avec les K2R, tandis que Lokos est resté là-bas. On était trois dans ce groupe, maintenant les deux autres font des choses de leur côté.
Sur l'album, Homoriginal parle des textes homophobes dans le dancehall. C'est assez rare pour être souligné. Dorothée : On est contents d'avoir fait ce morceau. On fait partie des gens qui se positionnent par rapport à ce débat là, qui a été un gros débat en France. Et aussi à l'intérieur du groupe, on en a beaucoup discuté pour savoir si on le faisait ou pas, et ensuite de la manière dont on allait le faire.
Mais le débat a été peu abordé par les artistes français. Dorothée : Je ne sais pas pourquoi ils peinent à se positionner. Ou alors ils le font d'un côté qui n'est pas le nôtre. C'est sûr qu'on ne va pas se faire des amis, mais on n'a pas envie de renier nos convictions. On voulait se positionner en expliquant que le reggae a une tradition de défense des opprimés. Que de la même manière qu'on va défendre une minorité africaine par exemple, on estime que les goûts en matière de sexualité relèvent de l'intimité. Le reggae prend parfois une tournure d'appel à la violence qui nous ne nous correspond pas. L'idée n'est pas d'aller voir des Jamaïcains et de leur expliquer la vie : ils ont leur culture et leur histoire, et on doit le respecter. Mais c'est différent quand eux viennent en Europe et en France en particulier. On voulait surtout se positionner par rapport aux jeunes qui viennent en concert. En ce moment on parle beaucoup d'un reggae conscient. Eh bien soyons conscients jusqu'au bout, écoutons les paroles et traduisons-les. Chacun a son opinion, c'est sûr, mais tout le monde doit être conscient de ce qu'il écoute. De la même façon qu'on pas tolérer qu'un lepéniste chante qu'il faut brûler tous les arabes, on ne peut pas accepter les textes homophobes. Tu as cet espèce de folklore du reggae jamaïcain qu'on devrait accepter en France parce que c'est comme ça. Mais il y a plein de mots en ''isme'' qu'il faut combattre. On ne peut pas accepter ces dérives, et ce n'est pas parce qu'on fait du reggae qu'on va se mettre à chanter ce genre de textes.
Bitum : Il y a tellement d'autres sujets à aborder. Quand tu vois certains artistes sortir vingt morceaux sur ce sujet, c'est hallucinant. D'autant plus que ces artistes auraient beaucoup plus à dire sur leur pays.
Il y a aussi des thèmes plus ''classiques'' sur l'album, comme les enfants soldats, ou la classe politique (Maître du jeu). Quel est votre sentiment sur l'actualité politique en France ? Dorothée : Moi je trouve ça plutôt marrant. Quand tu vois Ségolène Royal et son propre camp qui la descend, c'est vraiment les Feux de l'amour. Avec en plus la campagne américaine de Sarkozy… Les campagnes électorales sont d'ailleurs de plus en plus américanisées. Notre engagement en tant qu'artistes est de rejoindre un collectif qui s'appelle Tous aux urnes, que des groupes comme Marcel et son Orchestre ou les Ogres de Barback ont déjà rejoint. Le but est d'inciter les jeunes à aller voter, un peu à l'image de ce que fait de plus en plus le mouvement hip hop avec Diam's par exemple. Aujourd'hui, on a un moyen de s'exprimer par le vote, il faut l'utiliser.
Ce texte aborde aussi le non-accès aux médicaments génériques dans les pays du Tiers-Monde. Loïc : C'était important de mettre ça en avant, le manque d'investissement de la politique française sur ce sujet. C'est flippant de voir le ravage de cette inactivité, c'est presque un génocide. Ce qu'explique le morceau, c'est l'anormalité d'un système qui voit des mecs de l'Organisation Mondiale du Commerce s'occuper de quelque chose qui devrait être fait par l'Organisation Mondiale de la Santé. C'est des histoires de thunes alors qu'on parle de santé et d'humanisme.
Dorothée : Des choses à dénoncer sur un album, il y en a un milliard, il suffit d'allumer la télé. Nous on a essayé de voir ce qui était porté par l'ensemble du groupe. Il y a aussi des morceaux plus personnels comme T'es parti que Bitum a écrit, mais qui touche tout le monde, et qui est partagé par tout le groupe.
|
|