INTERVIEW :
Propos recueillis par : Alexandre Tonus
Photos : Benoit Collin
le mercredi 12 avril 2006 - 10 789 vues
Au lendemain de son show parisien aux côtés de Lukie D., c’est un General Degree radieux que nous sommes allés retrouver dans son hôtel. Ravi de l’accueil que lui a réservé le public français, c’est avec plaisir qu’il a accepté de faire le point sur sa carrière avec nous. Lumières sur un deejay qui a su intégrer un peu d’humour et de fantaisie dans le monde trop souvent austère du dancehall.
Reggaefrance / Bonjour Degree. Tu es considéré comme un vétéran aujourd’hui, puisque tu chantes et enregistres depuis fin 80, début 90. Peux-tu nous dire ce que tu faisais avant ça et nous dire ce qui t’a poussé vers la musique ? / J’étais tailleur au début. C’est comme ça que j’ai commencé. Je faisais aussi de la musique, mais le métier de tailleur était mon gagne-pain. C’est comme ça que j’ai pu faire de l’argent pour aller à Kingston, car je venais de la campagne, du centre de la Jamaïque. Je me faisais de l’argent pour pouvoir aller enregistrer à Kingston. Tailleur a été mon premier métier.
Quel rôle ont joué tes parents et ta famille dans ta carrière musicale ? Ils m’ont encouragé. Mes parents étaient de confession chrétienne, donc ils n’étaient pas vraiment intéressés par la musique et tout ça. Mais quand ils ont entendu mes chansons, ils ont été d’accord. Ils m’ont encouragé et ils ont été là pour moi.
J’ai lu que ta première chanson était pour Mixing Lab et s’appelait Mother rude pickney. J’ai aussi entendu parler d’une autre chanson de tes débuts, qui s’appelait Circle Mandeville. Oui, cette chanson était un peu comme un dubplate, je l’ai faite pour moi-même. J’avais l’habitude de “mash up” avec cette chanson. Ma paroisse était Mandeville, donc quand je faisais cette chanson à Mandeville, ça cartonnait.
Qu’est-ce que ces deux chansons représentent pour toi aujourd’hui ? Je dirais que ces deux chansons m’ont vraiment donné plus de confiance pour entrer dans le business de la musique. Car quand j’ai vu la réaction des gens sur ces chansons, la façon dont ils les recevaient, ça m’a beaucoup encouragé. Ma première chanson, quand je l’ai entendue pour la première fois à la radio…c’est une expérience que je n’oublierai jamais. C’est vraiment différent de maintenant. J’entends mes chansons à la radio, mais j’y suis habitué. Alors que quand tu t’entends pour la première fois à la radio, c’est vraiment génial.
Tu étais déjà en relation avec Danny Browne à cette époque ? Non, c’est venu quelques temps après, je dirais un an ou deux. Alors que je traînais à Mixing Lab, Danny Browne est passé. Fatta, l’ingénieur, lui a joué ma chanson et Danny Browne a apprécié. Il a alors dit qu’il m’enregistrerait un jour. Peu de temps après, j'ai reçus un appel de lui qui me dit qu’il voulait que j’enregistre pour lui. Il me semble que cette chanson s’appelait You look good, sur le label Power Matic. Je crois qu’elle est sur le premier album.
Et puis, tu as sorti Granny… Oui. Quelques mois après ça, Granny est sortie. Et à partir de là, ce fut historique. Granny est la chanson qui m’a mis sur la route, en Jamaïque, dans les Caraïbes, aux Etats-Unis. C’était vraiment un énorme succès.
J’ai entendu dire que c’était à cause de Granny que le label Main Street a été créé… Oui. Granny fut la première chanson sortie sur le label Main Street.
Comment t’est venue l'idée de créer ton propre label après la période Danny Browne ? Deux ans après la création de Main Street, Danny Browne a arrêté. Il s’est tourné vers le gospel. Avant ça, j’avais fait un album qui s’appelait “Degree” pour VP Records. Il y avait un titre qui s’appelait Spark plug dessus, c’était ma première production. J’avais produit cette chanson pour l’album et à partir de là, je me suis rendu compte que je pouvais faire certaines choses par moi-même. Quand Main Street a fermé, j’ai décidé que je m’investirais plus dans la production. Le premier riddim que j’ai sorti était le Pot cover, qui a très bien marché en Europe. Certaines chansons sur le Pot cover étaient de moi, comme celle de Crissy D par exemple. C’est là que j’ai vraiment commencé la production.
Tu viens juste de parler de Crissy D. Il me semble que c’est quelqu’un qui a eu une place importante dans ta carrière, peut-être même dans ta vie, je ne sais pas… On ne sait pas beaucoup de choses sur elle. Crissy D. était juste une de mes très bonnes amies. Nous étions très proches en ce qui concerne la musique. Partout où j’allais, elle voulait venir avec moi. Nous étions de bons amis. Elle voulait toujours être à mes côtés. Je prenais toujours soin d’elle. A chaque fois que je posais sur un riddim, je tâchais d’écrire une chanson pour elle, pour qu’elle puisse poser sur le riddim elle aussi.
Et as-tu toujours utilisé le nom de General Degree depuis tes débuts ? D’où te vient ce nom ? Le “General” vient d’un autre artiste qui s’appelle General Trees. A cette époque, il marchait bien en Jamaïque, en 84-85. Et quand je me rendais dans les danses pour chanter, à chaque fois les gens disaient : «Voici le jeune General». A tel point que ce “General” m’a collé à la peau. Tout le monde m’appelait le General. Jusqu’à ce que j’aie besoin d’un grade dans la musique, et c’est comme ça que le “Degree” est venu. Je dirais aux alentours de 87-88.
Avec Main Street, tu as ouvert la porte à plein d’artistes, mais tu as aussi créé ton propre style, le “high pitch style” avec cette voix grave de baryton. Est-ce que tu as travaillé là-dessus ? Non, je pense que c’est venu naturellement. Avant que je rentre vraiment dans la musique, je ne savais pas si je voulais chanter ou toaster. J’étais hésitant et je faisais les deux. Je chantais et je toastais aussi. C’est comme ça que mon style s’est développé. Mon père chantait comme un baryton et j’ai toujours adoré le faire aussi.
C’est pour ça que tu as pu te livrer à ce petit jeu hier soir sur scène avec Lukie D., en te mettant à chanter pendant que lui faisait le DJ ? Oui, exactement. Car j’ai cette voix de baryton qui me permet de le faire.
En même temps que cette période chez Main Street et pendant les dix premières années de ta carrière, tu as sorti pas moins de quatre albums pour VP Records. Pourquoi as-tu cessé de travailler avec eux ? Non, je ne me suis pas vraiment arrêté. J’ai juste bougé vers d’autres horizons. Ce qui s’est passé, c’est que j’ai laissé le choix à VP. Il me restait encore une option à tenter et quand je leur ai demandé s’ils étaient prêts pour cette option, il s’est avéré qu’ils ne l’étaient pas.
Est-ce pour cela que tu es parti chez Greensleeves ? Oui c'est pour cela que j'ai donné l'album suivant à Greensleeves. Mais ça devait être un album VP de Degree.
Tu as gagné d'ailleurs un award avec 'Bush baby'… C'était mon dernier album chez VP. Oui j'ai gagné un award reggae/soca en Floride pour cet album. C'est effectivement un très bon album, qui a apporté beaucoup de choses à tout le monde. Je pense que c'est un des meilleurs albums que j'ai fait.
Tu penses que c'est ton meilleur album ? Oui d'une certaine manière.
En 1999, juste après avoir quitté VP, tu as crée Size 8… J'avais déjà mon label, Pretty boy, un surnom qui m'avait été donné par Dave Kelly de Madhouse. Cette idée est arrivée alors que je voulais être plus créatif avec quelque chose d'unique.
Ressentais-tu le besoin d'être indépendant ? Oui, c'est vrai. Et aujourd'hui j'ai récupéré mes droits d'édition qui sont maintenant au nom de Size 8 Music. Donc tout va bien. Quand j'ai crée le label, je me sentais libre et indépendant car après toutes ces années de management, de contrats, cela faisait du bien d'être libre.
Juste avant 'bush baby' pour Greensleeves, tu avais également sorti un album pour Donovan Germain (Penthouse, ndlr) Oui, c'est un des premiers albums, même avant l'album Degree.
Tu veux dire l'album 'Fi real' ? Oui, cet album est sorti en 1995 ou 96. Je n'étais signé chez personne à l'époque. Je suis allé voir Donovan Germain, du label Penthouse, alors que j'avais déjà toutes les idées pour l'album. Je lui ai donc demandé de le sortir. C'est un de mes premiers pas dans la production au niveau de la sélection et de l'agencement des morceaux.
Ton dernier album 'The General' est également produit par tes soins… Oui, j'ai produit cet album et la plupart des chansons qui y figurent. Je suis en train de le sortir pour l'Europe. Il sera sorti pour le Summerjam où je serais également à l'affiche. L'album sera disponible en Europe, il sera donc disponible en France.
Tu as travaillé avec de nombreux producteurs, quel est celui qui a réussi à capturer le meilleur de Degree ? Je dirais Danny Brownie.
Et le pire ? (Rires) Il n'y pas de pire en fait. Il y a ce qu'on appelle "good, better, best" (les bons, les très bons et les meilleurs). J'ai même rencontré des producteurs qui avaient moins d'idées que moi. Etre producteur ce n'est pas seulement avoir un label, c'est aussi avoir des idées, savoir ce qui n'est pas bon, corriger…
Tu as fait beaucoup de collaborations en Allemagne, il semble que le public allemand ait une importance spéciale pour toi. Tout à fait. Une de mes chansons les plus connues en Europe, il y a quelques années, était Cartoon Caracter. A Berlin, cette chanson a été le meilleur titre dancehall l'année de sa sortie.
J'ai réalisé que le public m'aimait bien en Allemagne. C'est pareil pour la France, c'est ma première venue en France depuis que j'ai explosé, pour ainsi dire. J'étais déjà venu en 1990 mais à cette époque, j'ai un inconnu. Maintenant, je réalise que les sounds, le public m'apprécient ici.
Tu es venu en Allemagne avant la France. Oui c'est vrai, mais cela a pris du temps pour arriver en Allemagne. J'ai du y aller la première fois en 2001. J'avais bien sûr été en Angleterre avant. Mais en ce qui concerne l'Europe je commence tout juste à pouvoir m'épanouir ici.
Penses-tu qu'il s'agit d'un manque de promotion ? Oui, bien sûr. La promotion est la clé. Si j'étais venu en France deux ans plus tôt avec un peu de promotion, la situation serait différente aujourd'hui, plus de gens se seraient familiarisés avec Degree.
J'aimerais aborder un point qui doit être important pour toi: les textes. Avec les artistes de Mainstreet, tu as développé des textes humoristiques. Que penses-tu des textes d'aujourd'hui? C'est vrai que les temps ont un peu changé. Je pense que le public demande un peu plus d'humour dans le business. Il ne tient qu'aux artistes de faire ce que nous faisions à Mainstreet. Tous les nouveaux artistes se rendent compte que les artistes hardcores marchent bien donc tout le monde suit cette tendance. Ils pensent qu'ils obtiendront plus de respect en étant durs. Mais les gens ont aussi besoin de divertissement. Je me considère comme un entertainer, j'amène du comique dans la musique. Un peu de hardcore, mais en même temps de l'humour, des textes réalistes ou culturels. Je pense que c'est comme ça qu'il faut faire. Je continue toujours dans cette voie et tu remarqueras que je fais toujours Trafic blocking.
Mais tu ne fais plus Granny… Non, c'est vrai. J'ai arrêté de faire Granny car cette chanson n'est pas très populaire ici, même si c'est un de mes plus grands succès. Par contre si je joue à Trinidad ou ailleurs dans les Caraïbes, je suis obligé de la chanter.
Que vas-tu faire une fois rentré en Jamaïque ? Je travaille sur une ligne de vêtement en Jamaïque qui s'appelle Rehgeh. J'ai déposé cette ligne et ça marche bien: Bounty en porte, Beenie Man aussi, Elephant Man, Beres Hammond. J'en donne à des amis qui les portent. J'en apporterais quelques échantillons en Allemagne pour hommes et pour femmes: la ligne pour homme s'appelle Rehgeh Hardwear, et celle pour les femmes s'appelle Rehgeh Softwear. En fait, j'étais tailleur de profession avant d'être dans la musique.
|
|