INTERVIEW :
Propos recueillis par : Alexandre Tonus
Photos : Benoit Collin
le mercredi 05 avril 2006 - 12 791 vues
Connu par la plupart pour ses récents hits one drop, Lonely girl en tête, Bascom X n’en est pourtant pas à son tour d’essai. En effet, ce talentueux DJ a longtemps chevauché les riddims dancehall les plus hardcore avec des textes pas toujours recommandables avant de voir enfin le succès lui sourire. De passage à Londres aux côtés d’I Wayne, Turbulence et Jah Mason pour le Living in love tour, il a donc accepté de prendre quelques minutes pour répondre à nos questions et revenir sur une carrière déjà bien remplie.
Reggaefrance / Bascom X, pour commencer, peux-tu nous expliquer ce que veut dire ton nom et comment tu l’as choisi ? / Mon surnom remonte au début des années 90. A cette époque, il y avait ces T-shirts colorés qui sont apparus ; il y en avait sur lequel il y avait marqué Funk, ou encore Brothers and Sisters, et puis il y avait ceux avec Malcolm X ou Marcus Garvey. C’est à cette époque qu’on entendit parler de Malcolm X, ce mec de Harlem. Puis il y eut des livres sur lui qui nous apprirent de quoi il était vraiment question. Mon père m’avait donné le prénom de Jimmy et en Jamaïque, quand quelqu’un s’appelle Harvel, on le surnomme Vila, quand il s’appelle Jimmy, on le surnomme Bascom ; j’étais donc Jimmy Bascom. Mais quand j’ai commencé sérieusement à faire ce que je fais, je ne pouvais plus me faire appeler Jimmy Bascom. J’ai donc gardé Bascom et j’ai ajouté un X pour faire Bascom X, car je défendais la même cause que Malcolm X, j’étais un révolutionnaire.
Tu es dans le métier depuis un moment, mais tes débuts ont été plutôt dancehall ; peux-tu nous parler de cette période, nous expliquer pourquoi ? A cette époque, je prenais une plus grosse voix, j’étais plus arrogant, mais c’est parce qu’en Jamaïque c’est ce qui se vendait, c’était la loi du marché. Les artistes qu’on avait l’habitude d’entendre étaient Ancient Monarchy aka Frisco Kid ou Vybz Kartel.
Tu mentionnes Vybz Kartel ; il a joué un rôle bien particulier dans ta carrière grâce à cette combinaison que vous avez faites, OK, et grâce au Sumfest, lors duquel il t’a invité à le rejoindre sur scène… Vybz Kartel et moi étions proches avant ça, car nous venons de Portmore. Vybz Kartel est de Waterford, moi je suis de Westmeade ; ça doit être à 7 minutes l’un de l’autre. On se voyait souvent du côté de chez lui, avec ses amis, et on chantait ensemble. C’était avant même qu’il monte sur une scène, c’était un peu underground. Et puis, il venait aussi vers chez moi et on chantait aussi avec mes amis. Puis le moment est venu ; il enregistra pour Baby G. à cette époque, une chanson qui faisait “You know we roll…Tell dem say we badder than dem, real badman style madder than dem”. Après ça, il y eut ce riddim qui s’appelait Battery : “Dem want fi know make we a deal we dem say brutal. Me chat dem up, me mash dem up, as usual” (Yeh yeh ndlr). Et enfin, on a fait “Say dutty nigga how we stay, OK”.
Tu as aussi parlé de Frisco Kid ; il me semble qu’il vient de Portmore lui aussi. Etes-vous aussi amis depuis longtemps ? Oui. Frisco vient du même coin qu’I Wayne, Garveymeade, et moi de Westmeade. Ce sont deux quartiers voisins. J’allais souvent dans le quartier d’I Wayne et ils venaient souvent dans le mien.
Frisco aussi a joué un rôle dans ta carrière, car c’est lui qui t’a emmené la première fois en Angleterre. Comment était-ce cette fois-là ? C’était super. On était avec Ghost et General B. On avait fait plus de shows que cette fois à l’époque. On était allé à Nottingham, à Southampton, à Londres, dans plein d’endroits.
Tout comme Frisco, tu es devenu rasta il y a peu et tu as changé ton message… Oui, nous avions fait assez de hardcore et je me suis rendu compte que ce message que je fais passer aujourd’hui avait toujours été en moi.
Est-ce que tu considères ça plutôt comme une mode ou est-ce un véritable revirement spirituel ? Comme je te le disais, même quand je faisais du hardcore, cette vibe était déjà en moi. Je faisais déjà ce genre de chansons one drop, mais comme tu le sais, à cette époque, ces chansons n’étaient pas vraiment ce que recherchaient les producteurs. Ce qu’ils voulaient vraiment, c’étaient ces “boom boom boom”, ces riddims électroniques. Un ou deux producteurs seulement étaient intéressés par les riddims instrumentaux, car comme ils n’avaient pas beaucoup de succès en Jamaïque, personne ne voulait prendre le risque. Aussi, quand tu es un artiste qui essaye de percer, il faut te plier à ce que les producteurs veulent et c’est pour ça que j’ai posé sur plein de riddims électroniques. Mais à un moment, il fallait que ça change ; j’ai donc pris un moment pour me retrouver et revenir avec un style différent.
C’est donc un peu à cause des producteurs qu’est survenu ce changement dans ta carrière ? Non, ce n’est pas à cause d’eux. C’est juste qu’à un moment, je me suis dit que j’allais faire ce que je voulais faire et arrêter de faire ce qu’eux, voulaient que je fasse. A l’époque, je n’avais pas encore d’impact et je ne pouvais pas choisir le riddim sur lequel je voulais poser, car personne n’avait encore entendu parler de moi. Maintenant je suis en place et je peux choisir si je veux faire cette interview ou pas, si je veux poser sur tel riddim ou pas. Si tu viens me voir avec une bonne vibe et que je le sens, alors je suis prêt, mais si tu viens me voir avec une mauvaise vibe et qu’en fin de compte je ne suis pas gagnant, alors je ne le ferai pas.
Tu es donc un artiste accompli aujourd’hui ? Oui, car mes années de dur labeur ont payé. Aujourd’hui plein de gens connaissent le nom de Bascom X un peu partout. Les gens attendent avec impatience de me voir. Voyons ce que Bascom a à offrir. On le connaît à travers sa musique, voyons ce que sa personnalité recèle en plus de sa musique, voyons le en live. Il y a plein d’artistes qui font de bonnes choses en studio, mais quand on les voit sur scène en personne, c’est quelque chose de différent.
Entre artistes de la nouvelle génération ? J’ai vu beaucoup de photos de toi avec Fantan Mojah et Perfect, vous avez l’air assez proches… A mes yeux, il y a beaucoup de choses qui sont vraies et beaucoup d’autres qui ne le sont pas vraiment, car je suis là depuis longtemps. Peu de gens le savent. Je sais donc ce que c’est qu’être en dehors du business et frapper aux portes. Il y a cinq styles d’artistes dans le business et on n’en laisse pas entrer d’autres. Chaque année, ils répètent le même schéma. Puisqu’ils sont dans le viseur des médias, c’est ce genre d’artistes qu’on continue à recycler. Si on laisse quelqu’un de nouveau entrer et qu’il a une vibe, il devra la changer, et ainsi il sera retenu dans ce business. Je sais ce que c’est, j’ai été moi-même un des plus jeunes artistes avant. Je ne prétends pas être un plus grand artiste que les autres, mais je peux parler des débuts. Il faut aller de l’avant, aller en studio, aller parler au boss sans peur. Je l’ai fait, aller en studio sur mon vélo, de Portmore à Kingston, puis revenir, ou bien dormir au studio, car je n’avais pas assez d’argent pour rentrer. Et ça a été mon choix ; j’ai arrêté l’école. A chaque fois que je vois un jeune artiste, que j’entends sa chanson et que je sais pertinemment que ça va être un hit, j’essaie toujours de lui donner un coup de main, de lui dire quel chemin prendre. Car j’y suis passé, je sais ce qui peut arriver. Je suis comme un guide et c’est ce que j’ai toujours voulu.
C’est un peu ce que tu as fait avec Gyptian… Exactement. Comme avec Gyptian. Quand ils viennent de Portmore, il y a des gens que je mets en garde et que j’encourage. Parfois certains jeunes me disent : «je n’ai pas besoin de ton aide Bascom, retourne dans ta campagne, rentre chez toi». Je leur réponds qu’ils ne savent pas de quoi il s’agît ; ils ont semé une graine et elle pousse. Je le vois, eux ne le voient pas. Je vois qu’ils ont planté et que ça pousse, car je bouge dans plein d’endroits et j’entends les gens parler. Quand je vais à des shows, j’emporte des CDs et j’essaie de les faire jouer à la radio, en disant : «écoutez ce jeune-là, il va cartonner». Certaines personnes me disent «ouais, ouais..» et ne me croient pas, mais d’autres me disent : «t’as raison, il est terrible». Si tous les artistes faisaient ça, ça marcherait. Mais il y a certains artistes qui se fichent des autres et qui veulent tout pour eux ; ça ne peut pas marcher. Si tu es bon, tu resteras bon. Je ne cherche pas à faire copain-copain, mais si tu es bon, tu es bon. Ce qui est à moi est à moi et ce qui est à toi est à toi, car chaque artiste sonne différemment.
Il y a une autre chose bien spécifique dont je voudrais parler avec toi ; quels sont tes rapports aujourd’hui avec Sizzla ? Sizzla est d’humeur changeante. Aujourd’hui il te veut, demain il ne te voudra plus. La prochaine fois, il te voudra de nouveau. Il faut savoir traiter avec les gens, même si tu es quelqu’un de très individualiste, il n’y a pas de différence. Il faut savoir lui parler, il faut savoir te présenter à lui sans arborer un style qu’il n’apprécie pas. Sizzla est un icône, il fait un paquet de très bonnes chansons depuis des années. Son catalogue est énorme et je le remercie pour ça, car j’ai appris de lui. On apprend tous les uns des autres. Il a appris de quelqu’un lui aussi, tout comme quelqu’un a dû apprendre de moi. On ne peut pas le nier, il est génial. Nous ne sommes pas de grands amis, mais on est en bons termes.
J’ai également lu que parmi tes mentors, parmi les gens qui t’ont influencé, il y a Bounty Killer… Que représente-t-il pour toi ? Bounty Killer représente quelque chose pour chaque artiste qui est dans le business. Car c’est quand il s’agît de business qu’il est un modèle. Personne ne plaisante avec Bounty Killer quand il s’agît de faire un show ou un dubplate. C’est quelqu’un qui sait gérer ses affaires et son temps ; s’il te dit midi, ce sera midi, tu ne pourras venir le voir à 11 heures. On apprend cette espèce de dureté avec lui. Quant à Beenie Man, on apprend à être souriant et amical grâce à lui.
Peux-tu parler de tes projets ? Un futur album peut-être… Je ne pense pas vraiment au futur, je pense à maintenant. C'est grâce à ce qu'on bâtit maintenant que le futur sera bon. Si je pouvais me projeter dans le futur, je verrais si je vais “mash up”. Pour l'instant, j'agis pour ce futur. Je bâtis mon futur aujourd'hui. Mon futur c'est maintenant ! Je travaille donc dès maintenant sur plus de hits, plus de chansons pour l'esprit, pour résoudre les problèmes, aider les gens. J'ai fait des titres dancehall, maintenant c'est plus du one drop. Il y a un type de one drop qui sonne bien pour la radio alors qu'il y a des riddims one drop qui sont vraiment dancehall dans leur style. Tu as des chansons pour les amateurs de reggae qui ne passeront jamais dans les dancehalls alors que des morceaux dancehall ne passeront jamais à la radio. Partout dans le monde la musique est ainsi: chacun y trouve son compte et certains seront toujours là pour bouger sur leur artiste préféré.
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