INTERVIEW : MICKEE 3000 & CAPORAL
Propos recueillis par : Benoit Georges / Sébastien Jobart
Photos : Benoit Collin
le jeudi 05 janvier 2006 - 14 708 vues
Nouvelles têtes dans le dancehall, Mickee 3000 et Caporal ont décidé de ne pas attendre qu'on vienne les chercher. Avec Spyda Ting, disponible en téléchargement sur plusieurs sites, ils ont fait clairement le choix de l'autopromotion. Un choix judicieux qui, devant l'herméticité des maisons de disque, a permis de les faire connaître. Rencontre en duo.
Reggaefrance / On vous voit rarement l'un sans l'autre. Est-ce qu'il est plus facile de percer à deux ? Mickee 3000 & Caporal / Caporal : Je ne pense pas. C'est une force mais…
Mickee : A ce moment-là, comment font les groupes qui sont dix ? Ils ne percent jamais ?
A deux ou à plusieurs, il peut y avoir une émulation, une entraide… Caporal : Moi, je dirais le contraire.
Mickee : C'est plus facile d'être seul, parce que tu es présenté sous le nom de "untel". En groupe, c'est un travail collectif. On ne va pas se voiler la face, la plupart des groupes s'arrêtent au bout d'un moment. Et là, tu as toute une identité personnelle à reconstruire, parce que les gens ne te connaissent que comme faisant partie de tel groupe. Ton travail personnel est forcément moins mis en valeur.
Mais ça peut aussi être deux artistes solo qui s'associent, qui font des dates ensemble, des combinaisons… comme vous. Caporal : Oui, c'est notre cas.
Mickee : On n'est pas un groupe, on a chacun nos parties solo, chacun écrit ses textes. Parfois, on a des thèmes en commun, mais le plus souvent, c'est Caporal qui les apporte. On traite ces thèmes chacun à notre manière et sur scène, ça apporte une diversité positive.
Mickee, qu'est-ce qui t'as impressionné chez Caporal, qui t'as poussé à travailler avec lui ? Mickee : C'est quelqu'un qui travaille, qui a un tempérament de bosseur… Qui n'attend pas. Il n'est pas là pour attendre, il n'a pas de temps à perdre. J'étais un peu dans le même état d'esprit. Je travaillais avec d'autres artistes qui n'étaient pas aussi "pros" : savoir où on va, se donner des objectifs, les réaliser… Ca se dégage de lui, il n'est pas un "joker". Quand on a commencé à se côtoyer, j'ai regardé autour de moi, et j'ai vu ce soldat. Le flow, les lyrics… (à Caporal) Toi-même tu sais. Efficace quoi. Et quand tu bosses avec quelque qu'un d'efficace, tu prends du plaisir. Quand tu as un grand joueur de football dans ton équipe, tu as envie de jouer avec lui. C'est pas le même contexte, mais c'est le même état d'esprit.
Et toi, Caporal ? Je n'avais rien planifié, le truc s'est fait naturellement. Le type est fort. Honnêtement, il n'y a pas d'amitié dans ce truc-là. J'ai déjà fait du son avec des amis, ça ne m'a rien apporté. Dans la vie, Mickee est mon pote, mais il fallait que le type soit "tough", et il l'était. Il fallait qu'on soit pros, il faut que ce soit carré sur scène et en studio. En plus il a un côté que je n'ai pas, c'est le côté entertainment. De moi-même, je ne vais pas faire un son marrant. Si Mickee n'avait pas été là, y a plein de trucs qu'on n'aurait pas fait.
Vous avez choisi de vous faire connaître par Internet, ça ne risque pas de vous pénaliser à un moment ? Caporal : On cherche à connecter des liens, de n'importe où. Internet, c'est le seul truc qu'on a pour l'instant pour qu'un mec m'appelle de Turquie en me disant qu'il aime mes sons, qu'un label anglais nous appelle pour nous dire qu'ils veulent nous produire. On fait des sons, mais on n'a pas Sony derrière nous. Et au bout d'un moment, si tu veux sortir un album…
Plutôt que de distribuer gratuitement des Cd, on les met à disposition sur Internet. Ca nous coûte rien, les gens peuvent se le procurer facilement et ça nous permet de nous faire connaître. Mais on ne va pas faire toute notre carrière sur Internet. On laissera toujours quelques sons sur Internet, mais à terme, le but est de sortir nos projets dans les bacs. On a tout un tas de mixtapes qui sont dans les bacs, et on a l'intention de sortir Spyda Thing aussi.
Mickee : C'est d'abord un outil de diffusion. Après, si tu as un cd dans les bacs, avec la structure qui suit derrière, dans les contrats il y a des clauses prévues pour le téléchargement payant. Mais on n'y est pas encore. On n'en est pas à se dire qu'on va mettre des titres en vente. Ca se fera quand le cd sera dans les bacs, on pourra proposer quelques titres à l'achat.
Caporal : On fait du son pour que les gens l'entendent. Le son ça se voit pas, ça s'entend. La finalité est la même. Evidemment, ça fait plus plaisir quand les gens achètent la mixtape. On a des trucs dans les bacs et d'autres sur le net, histoire de dire qu'on donne du son gratuitement. On sait donner. Mais au bout d'un moment, il faut que les gens donnent de la force pour qu'on sorte des trucs dans les bacs, si le son leur fait plaisir.
Le téléchargement a bien marché ? Caporal : Plutôt bien. On a fait toute notre promo sur un premier site (mickeecaporal.free.fr) qui a du fermer parce qu'il y avait trop de téléchargements. Il y en a eu des milliers… Sur notre site, il y a 5000 visites. Sachant qu'on peut l'écouter aussi sur le site de Party Time, sur reggaefrance, et qu'il y a tout un tas de sites qui nous proposent en lien.
Mickee : Et il y a d'autres sites qui l'ont, et qui le proposent en téléchargement. Il faudrait relever les compteurs de tout le monde.
Vous êtes passés par pas mal de crews. Aujourd'hui, vous avez encore cette notion de crew ? Caporal : Je n'aime pas trop dire que je fais partie de tel ou tel crew. Je préfère bosser avec qui je veux.
Mickee : C'est une dynamique de travail. Demain, il va y avoir tel ou tel label qui va nous proposer tel riddim, et on va travailler avec eux pendant un moment. Mais c'est pas pour autant, même si tout se passe bien, qu'on va faire partie de leur crew. On n'a pas d'appartenance. Il y a des amis, des rencontres, des relations de travail…
Caporal : Des gens comme Little Francky, Little Freddy, Maeva, Manitou, Alien D… Et les sounds Back to Zion, Soul Stereo, Party Time… Il y a pas mal de sound systems qui nous font jouer par-ci par là, comme Unity Promotion de Bordeaux.
Qui est le plus demandé en dubplates ? Mickee : Pareil, je dirais.
Caporal : Ouais, égalité. Parfois c'est moi, d'autre fois c'est lui, ça s'équilibre. C'est pas de la fausse solidarité : on est aussi demandé l'un que l'autre. Le plus souvent, celui qui connaît l'un de nous deux connaît l'autre.
Mickee : Et si ce n'est pas le cas, par exemple je fais une session et les gars connaissent pas Caporal, je leur propose, je leur fait écouter.
Vous êtes plutôt Bounty Killer ou Beenie Man ? Caporal : Bounty Killer. Pour son débit, son style…
Mickee : Tu as pris les deux qu'il ne fallait pas pour moi ! (rires) Fallait en prendre un autre… Je dirais Bounty aussi, même si j'ai toujours aimé Beenie Man. C'est le seul dont j'ai retenu une anecdote : à 6 ans, ses parents allaient le chercher en studio, et les gars du studio leur disaient de le laisser encore un peu ! C'est difficile de choisir…
Vybz Kartel ou Elephant Man ? Mickee : Elephant Man, pour le côté entertainment.
Caporal : Elephant Man, direct, pour les mêmes raisons.
Je croyais que tu allais répondre Vybz Kartel, pour son flow… Caporal : J'en étais sûr ! Par rapport à mon flow et mes lyrics, les gens pensent que je suis comme ci ou comme ça, mais en fait non !
Il y en a d'autres qui sont censés travailler ensemble : Villepin ou Sarkozy ? Caporal : Je faya autant l'un que l'autre !
Mickee : Aucun des deux…
Caporal, tu as fait un morceau sur Sarkozy, mais qui finalement n'est pas très critique, tu te contentes de l'insulter… Caporal : C'est clair que c'est le rôle facile. D'autres personnes m'ont dit la même chose. Comment te dire ? Je n'ai pas assez décrit la situation, expliqué les choses. Mais la situation, tout le monde la connaît. C'est un morceau où je me défoule. Moi la musique c'est ma thérapie. Je peux chanter ma haine, ma peine, mon amour… Là j'avais envie de me défouler. J'assume ce titre.
Tu as posé sur beaucoup de mixtapes. Y a-t-il des limites ? A force, il y a un risque d'être catalogué comme un artiste de mixtape, qui pose gratuitement… Tu pousses d'ailleurs un coup de gueule sur ton site… Caporal : Moi mon but est de diffuser mon son au max. Si tu me proposes de poser sur une compilation chez une grosse major, il n'y a aucun problème. Mais si tu viens avec un projet plus humble, plus limité, je l'accepterai aussi. Il y a pas mal de mixtapes sur le net, je ne dénigre pas. Mais bon… Internet c'est bien marrant mais au bout d'un moment, il faut sortir le truc dans les bacs. C'est plus abouti. Ce n'est pas mon but d'être que sur des mixtapes. Mais sur les grosses compilations, il y a un boycott. Il le faut le dire. Il y a des gens qui tiennent le dancehall entre leurs mains et qui ont décidé que c'est untel et untel qui passeront et personne d'autre. Même si l'artiste est plus couchal que toi, ça changera rien. C'est le but du coup de gueule sur mon site, c'est contre les grosses compilations, pas contre les mixtapes.
Quels sont vos projets ? Mickee : je prépare mon album solo, ça fait déjà un petit moment que je suis dessus, j'ai tout remanié.
Je travaille avec différents compositeurs donc il y a une partie qui est faite chez Manitou ??? et l'autre chez DK Mastering. Il n'y aura que des compositions originales, on veut en faire une carte de visite pour montrer ce dont on est capables.
Ce sera très ragga / hip hop, avec du bogle. Il y aura des délires de personnages fictifs, qui ont chacun un point de vue différent sur les choses, ce qui me permet d'en faire des satires. Il y a par exemple Duppy, qui est un espèce de mac qui arrive dans le business en venant de nulle part. Il paraît imposant en apparence, mais en fait il est un peu bête. J'ai aussi Grizzla Jumanji, qui a fait sa première apparition sur les "Roots du Sound", de Manitou et Tarzan. Lui c'est une satire de Sizzla Kalonji, comme son nom l'évoque : c'est très criard, très délire…
C'est mon côté joueur, pouvoir changer de facette et mettre un jeu sur tout… C'est plus simple, c'est peut-être une facilité mais j'aime faire des satires des choses que j'aime beaucoup. Il y en aura peut-être une sur les sound systems… Pour le moment, il y a une douzaine de titres en chantier, on est dans le mix des morceaux. J'espère que tout sera prêt pour la fin du mois de février.
Caporal : Moi j'ai un maxi en solo, "Malade mental", qui devrait arriver en février. Il devrait tourner autour de 10 titres. Il y a deux morceaux soca, dont Jamadom avec Papa Tank. Il y a d'autres featurings avec Maeva, Mickee 3000 et Dragon Davy. On bosse à fond dessus pour faire les choses proprement. On essaie de corriger toutes les erreurs qu'on a commises avant, pour arriver à un mix propre.
Mickee : Quand tu veux faire un truc carré, dans les règles de l'art, c'est comme quand tu signes un contrat : ça se fait pas en cinq minutes. Tout ce qui doit être bien fait prend du temps.
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