INTERVIEW :
Propos recueillis par : Alexandre Tonus & Ben
Photos : Frank Casali
le mardi 20 décembre 2005 - 19 417 vues
Hissé en haut des charts avec No Guns To Town, Natty King est l'une des révélations roots de l'année dernière, qu'un premier album de qualité a solidement installé. Héritier de Dennis Brown, Luciano et de Bushman, ce jeune artiste conscient a naturellement trouvé sa place sur la scène du Ja'Sound, lors de la deuxième édition du festival cet été. Entretien avec l'une des plus belles voix de la nouvelle génération.
Reggaefrance / Bienvenue Natty King. Est-ce ton premier séjour en France ? / C’est la première fois que je viens pour un concert, mais je suis déjà venu avant pour enregistrer.
Quand as-tu été attiré par le reggae ? Je suis né avec la musique mais j’ai suivi les traces de Dennis Brown, de Burning Spear, de Bob Marley ou de Jimmy Cliff. Mon père écoutait beaucoup de roots, j’ai donc grandi avec cette musique qui jouait chez moi. J’en ai aimé les vibrations.
As-tu des influences hors du reggae ? Oui, j’ai écouté Stevie Wonder, Michael Jackson, quand il était plus jeune, R Kelly ou Randy Travis qui est un chanteur de country-western. J’ai beaucoup écouté ces artistes.
Tu parles de Dennis Brown, mais tu as aussi des influences de Luciano… Luciano est vraiment un artiste que j’admire. Avant, j’avais même pris le nom de Luci B, B pour « brother ». J’avais l’habitude de reprendre des chansons de Luciano sur scène. Steady Ranks qui est un ami, avec qui j’ai fait No guns to town, m’a conseillé d’arrêter de faire des reprises de Luciano et de développer ma créativité. J’ai donc commencé à écrire des chansons.
Comment as-tu changé ton nom de Luci B à Natty King ? D’abord, je chantais à l’école, pour les spectacles et les concerts. Les fêtes religieuses sont fêtées dans les écoles et j’étais très connu dans la mienne. A cette époque je m’appelais Singing Kev. C’était mon premier nom parce qu’en réalité je m’appelle Kevin Roberts. Ensuite j’ai changé pour Luci B, Luci Brother. Puis, j’ai encore changé de nom pour Breadjah, « the bread of Jah ». J’ai enfin rencontré Steelie & Cleevie qui ont changé mon nom pour Natty King. Ils m’ont enregistré sur leur label Studio 2000 sur le riddim Bad Weather en 2000. J’ai donc eu quatre noms différents mais le nom final est Natty King.
Cette chanson sur le riddim Bad weather, c’est ton premier single ? Oui, mon tout premier single. Le titre s’appelle Badness hype. Je suis sur la face B du titre d’Anthony B.
Tu viens de St Thomas. Il semble qu’il y ait un style vocal partagé par tous les artistes de cet endroit (Gramps de Morgan Heritage, Bushman …). Peux-tu nous en parler ? Je suis né à St Thomas. St Thomas est un endroit puissant, c’est une ancienne ville d’esclaves. On y trouve donc des personnes et des choses un peu spéciales. C’est un endroit mystique aussi car il y des sources d’eau chaude qui jaillissent des rochers, la rivière, la mer. C’est un endroit agréable, un endroit naturel et rasta. De grandes voix viennent de St Thomas. Bushman, par exemple. Des jeunes talents aussi, que vous ne connaissez pas encore mais que vous allez bientôt entendre.
Qu’est-ce qui t’as fait déménager pour Kingston ? Ma grand-mère habite à Bull Bay, à côté de Kingston. Comme je voulais aller plus loin dans la musique, j’ai passé beaucoup de temps à Bull Bay. C’est là que j’ai rencontré Steady Ranks, que je connais depuis longtemps. Il tournait sur le sound system Caveman avec Doniki. Steady Ranks m’a donné le micro une nuit et m’a dit de monter sur les enceintes. J’ai tout déchiré, j’avais 12 ans… J’ai donc passé du temps à Bull Bay avec ma grand-mère, comme cela je pouvais voir Steady Ranks. Il m’a emmené dans les studios, m’a conseillé d’écrire des chansons et il m’a aussi aidé à en écrire. Il m’a vraiment épaulé pour écrire beaucoup de chansons de l’album. J’ai aussi travaillé avec un autre ami sur cet album, Donovan Francis.
C’est grâce à Trinity que j’ai rencontré les gens qui m’ont aidé à faire cet album, le label Insight. Il a un ami en Allemagne, Lennart, qui a un sound system qui se nomme Ital Acoustic. Lennart est venu en Jamaïque et m’a donné une belle guitare. Il a dit qu’il voulait m’enregistrer. Nous sommes allés en studio, à Cell Block studio. Il voulait me faire faire un duo avec Trinity, qui est un Dj vétéran. J’ai fait cette collaboration avec Trinity et il a aimé mon style. On a échangé nos coordonnées et il m’a beaucoup aidé dans ma carrière. Il m’a parlé de son cousin, Jimmy Ricks. Trinity s’appelle Wade Brammer. Le cousin de Trinity m’a donné le riddim de No guns to town et autre riddim sur lequel j’ai chanté Love me. Ce sont les deux premières chansons que j’ai faites pour eux. No guns to town a été un vrai succès, numéro un partout.
Tu abordes des thèmes conscients dans tes chanson, mais on reste étonné par la modernité de ces thèmes : tu parles par exemple du capitalisme et de l’environnement. Je cite en particulier la chanson Environmentalist. Oui, je parle des déchets toxiques, de l’air pollué et de beaucoup de dangers que nous devons combattre en Jamaïque. Ces pollutions sont porteuses de maladie, les gens meurent et ne savent pas ce qui les tue. J’insiste donc pour qu’on garde les rivières, la mer, les lacs, propres. Les arbres aussi jouent un rôle très important pour la planète, pour les oiseaux etc. Aujourd’hui, ils coupent des arbres pour faire du bois. Ce sont des sujets importants que je chante. Je remercie d’ailleurs Donovan Francis car Environmentalist, c’est vraiment son inspiration.
Pour la chanson Cut down the price, tu aborde également des sujets très concrets… Oui, ce sont des choses qui se passent en ce moment. La chanson dit :
“My cousin tell me she a trod down a market
A man beef no more she can take it
She get a money and she say she nah leave it
If a ackee she a haffi bite
She tell me say ya 60 $ for a dozen now”
(Ma cousine m’a dit qu’elle était allé au marché / Qu’elle ne peut plus se permettre d’acheter du bœuf / Elle a eu de l’argent mais ne veut pas le gâcher / Elle préférerait manger des ackees / Elle me dit que maintenant ça coûte 60 $ la douzaine.)
Au début c’était 60 $ et ensuite le prix descend car les ackees ne se conservent pas longtemps. On devrait les donner car si ils ne sont pas vendus, ils se perdent vite. Cut down the price, c’est pour dire de baisser les prix. C’est ce qui se passe en ce moment sur les marchés. Le prix des produits augmente sans cesse et les gens en ont assez. Je chante sur des choses qui me sont arrivées, qui sont arrivées à des gens autour de moi. Et c’est ce qui se passe tous les jours.
Que penses-tu de la nouvelle génération de chanteurs à laquelle tu appartiens ? C’est une bonne chose. Avant de percer, j’entendais déjà les remarques des gens qui se plaignaient de voir tout le temps les mêmes artistes et accusaient les animateurs radio de passer toujours les mêmes artistes et pas les nouveaux artistes. J’ai percé avec No guns to town et j’étais le plus jeune artiste dans le « top ten » jamaïcain à ce moment là, à côté de Capleton, Sizzla, Sean Paul, Vybz Kartel, Elephant Man... J’étais le seul petit jeune. Personne ne me connaissait. Les gens ont voté pour moi pour que je devienne numéro un. Les personnes qui contrôlent les charts en Jamaïque essayent toujours de placer les gros artistes et non les jeunes. C’est le public qui a décidé que je devais être numéro un car j’avais une bonne chanson. Ce n’est pas l’argent qui a assuré ma promo en Jamaïque mais uniquement le public. Quand la chanson est passée à la radio, les gens appelaient pour savoir qui chantait, pour demander de rejouer cette chanson. J’ai été contacté par la télévision pour faire des apparitions. Beaucoup de jeunes ont écouté ma chanson. Elle dit : « Ne laisse pas les armes entrer dans la ville ». Dans tous les ghettos où j’ai été, les gens ont aimé cette chanson et ont écouté les paroles. La police m’honore en Jamaïque ! La dernière fois, je voulais faire assurer ma voiture. Normalement c’est assez compliqué, cela prend du temps. Quand je suis arrivé au commissariat, les policiers m’ont dit : « pas de problème, boss ! »
Sur ton album, il y a un duo avec Sizzla. Est-ce un vrai duo ? Je veux dire : as-tu rencontré Sizzla pour enregistrer ? Non, j’ai fait la chanson d’abord, ensuite, ils ont enlevé un de mes couplets en studio et Sizzla a rajouté sa partie.
Quelle est la signification d’un tel duo pour toi ? Y a-t-il un lien avec le fait que Luciano ait fait lui aussi des duos avec Sizzla au début de sa carrière. C’est une bonne vibe. Sizzla est un artiste jeune et puissant. Beaucoup de personnes l’admirent. Il n’y a pas de lien avec Luciano. En réalité, ce n’était pas mon idée. C’est une idée du management.
Tu as également fait une combinaison avec Singing Melody et un artiste français, Lyricson… Oui, Lyricson est bad.
Peux-tu nous parler de ta collaboration avec le label Special Delivery ? C’est encore grâce à Trinity ! Respect à lui ! Il m’a appelé en Jamaïque. A ce moment là, mon management ne voulait pas que j’enregistre car ils avaient un contrat avec moi pour un projet, je n’étais donc pas sensé enregistrer pour un autre label. Trinity m’a parlé de ce label et m’a convaincu d’enregistrer sur le riddim. J’ai donc accepté. J’étais dans ma voiture en train d’écouter ce riddim. Il y avait des gens, des filles, des enfants, dans la rue et autour de ma voiture qui ont ressenti cette vibe. C’est comme cela que la chanson m’est venue. « One time for my people » c’est pour dire que j’aime les gens et les fans qui me soutiennent. C’est une bonne chanson. C’est pour cela que Special Delivery m’a ensuite proposé une combinaison avec Singing Melody pour l’album de Lyricson. Il m’a plu dès la première fois. C’est un bon artiste. Mais il n’a pas enregistré sa partie avec nous. Nous avons enregistré avec Singing Melody et il a enregistré sa partie après notre départ. Je crois qu’il était un peu intimidé de chanter devant nous. Mais ça reste une bonne expérience d’avoir fait ce titre avec lui.
Quels sont tes projets après ta tournée européenne ? Je vais prendre un peu de temps pour enregistrer un nouvel album. J’ai déjà une quinzaine de titres. Je vais donc rentrer en Jamaïque pour prendre du temps, gérer les contrats et écrire encore. Ici, je me couche tard, mais en Jamaïque, j’ai un autre rythme de vie. Je préfère enregistrer ma voix tôt le matin.
|
|