INTERVIEW :
Propos recueillis par : Alexandre Tonus
le jeudi 10 novembre 2005 - 15 292 vues
Révélé par la bombe Handcart bwoy, Perfect est sans aucun doute l’un des espoirs les plus prometteurs de la jeune génération jamaïquaine. Depuis l’énorme succès qu’il a connu avec ce titre, ses singles de qualité ne cessent de se multiplier et sa notoriété n’en finit pas de grandir. Déjà aperçu en Europe cet été, en première partie d’Anthony B, et avant un retour attendu de pied ferme par nombre de fans à la fin du mois de novembre, ce jeune et humble chanteur nous a accordé un moment, dans une de ses journées jamaïquaines, pour répondre à nos questions par téléphone.
Yo ! this is Perfect, live & direct from Jamaica….
Reggaefrance / Nous sommes ravis de pouvoir parler avec toi. En premier lieu, est-ce que tu peux nous expliquer pourquoi tu as choisi ce nom ? Est-ce quelqu’un qui te l’a donné ? / Le nom Perfect fait référence à la Création, car la Création est parfaite et je fais partie de la Création, donc je fais partie de la perfection. Il est possible que parfois je n’aie pas été parfait dans mes actions ou dans mes pensées, mais au fur et à mesure que les jours passent, on essaye de faire les choses au mieux, on essaye de suivre le droit chemin. Je sais que personne n’est parfait, mais utiliser le nom Perfect sert à me motiver sur scène, à réfléchir à ce que je fais et à le faire correctement. Perfect, ce nom, est vraiment là pour me renforcer. Prends Bounty Killer, il va te parler du ghetto et des voyous dans les rues, Snoop Doggy Dog va te parler de ses potes et de ses déboires avec la police. Toujours est-il que Snoop Doggy Dog n’est pas un chien, Bounty Killer n’est pas un tueur, Ninjaman n’est pas un ninja. Moi, Perfect, je ne suis pas parfait ; j’utilise juste ce nom pour améliorer ma performance, pour renforcer ma carrière et toute ma condition d’artiste.
Peux-tu nous en dire plus sur ton éducation musicale ; comment as-tu pris goût à la musique et quelles sont tes principales influences ? J’ai débuté la musique à un très jeune âge. La première fois que j’ai fait un concert, c’était au collège, en 1988 par là. C’était la première fois que je montais sur scène. Ensuite, après le collège, j’ai commencé à faire quelques petites danses dans mon quartier. Je chantais dans un sound system et ainsi les gens apprenaient à me connaître. Mais bon, c’étaient vraiment les débuts, mes premiers pas dans la musique. J’ai abordé tout ça d’un point de vue plus professionnel à partir de mes 20 ans. J’avais une boîte à rythmes et un ordinateur et j’ai donc commencé à créer des instrus pour moi-même. Et puis, j’ai aussi commencé à écouter une grande variété de musiques, car il ne faut jamais rester bloqué sur une seule musique ; j’écoute du r n’b, de la pop, du reggae, de la musique alternative, de la country. Je dois apprendre de tous ces genres de musique et tirer des leçons de chacun d’entre eux, afin d’être moi-même unique.
C’était vraiment un apprentissage. Mes premières années dans la musique consistaient surtout à écouter, plutôt qu’à chanter. J’écoutais beaucoup, j’allais dans les studios. Sans même dire aux producteurs ou aux promoteurs que j’étais un artiste, je m’asseyais dans un coin et j’écoutais une discussion sur la musique, j’observais comment les artistes travaillaient en studio. C’était vraiment un apprentissage dans les premières années, jusqu’à ce que j’enregistre la chanson Lock me up. J’avais un contact avec un des DJ d’Irie FM, Ron Muschett. Il a commencé à jouer cette chanson et à la faire entendre dans les danses. Perfect est devenu mon nom à cette époque, car c’est le nom qui était utilisé quand on jouait Lock me up. Après ça, j’ai enregistré la chanson Johnny shouldn’t trim, une belle chanson que les gens reprenaient et qui continuait à faire de moi un artiste apprécié. Puis est arrivée Handcart bwoy, qui est la chanson la plus connue. Mais c’était vraiment un combat pendant toutes ces années. Ca prendrait trop de temps de raconter tout ce qui s’est vraiment passé pendant ma jeunesse.
J’ai lu que les paroles d’Handcart bwoy avaient été écrites longtemps avant d’être enregistrées. Oui, les paroles d’Handcart bwoy ont été écrites il y a quelque chose comme 5 ou 6 ans. J’étais handcart bwoy (ndlr garçon au caddie) sur la place du marché de Brownstone. Je poussais un caddie avec des fruits et des légumes au marché de Brownstone ; Brownstone est situé à St. Ann, c’est une ville avec un grand marché. Je vivais à Bamboo et je prenais régulièrement le bus de Bamboo à Brownstone où je vendais mes fruits et mes légumes, ce que je faisais comme travail à l’époque. Puis, j’ai rencontré cette fille. Son père était médecin et sa mère était prof, elle appartenait à la classe moyenne ici en Jamaïque - alors qu’un handcart bwoy est quelqu’un qui vient de la rue, un enfant du ghetto. C’est un des jobs les plus mal payés et considérés en Jamaïque. Elle est donc tombée amoureuse de moi. Je n’avais que le refrain de la chanson alors, mais quand j’ai eu le riddim de Rebel Chris de Digital B., je me suis posé et j’ai sorti ces lyrics qui étaient en fait déjà en moi. C’est comme ça que ça s’est passé.
En fait, c’est une chanson très personnelle. Très personnelle, oui. C’est ma vie, j’ai vécu ça. Ce sont des moments de ma vie que j’enregistre.
Il y a une autre chanson dont j’aimerais parler avec toi, c’est Amerimaka. Est-ce que c’est quelque chose de personnel aussi ? As-tu déjà rencontré des problèmes pour obtenir un visa ? Oui. Je me suis vu refuser le permis de travail par l’ambassade américaine et à cause de ça, j’ai perdu des milliers de dollars. A ce jour, je pense que j’ai raté 62 shows aux Etats-Unis, dans différents états. Je ne fais partie d’aucun groupe terroriste, je ne trempe pas dans la drogue ou quelque chose comme ça. C’est juste que mon père avait rempli quelques années auparavant un formulaire pour que je sois citoyen de ce pays et par conséquent, l’ambassade refuse de vous délivrer un permis de travail quand vous avez fait une telle demande. Je veux que mes fans et Reggaefrance sachent que ce n’a rien d’illégal. Perfect n’a pas de problème. C’est juste à cause de ce formulaire de l’immigration.
Et pour venir en Europe au mois de novembre, aucun problème ? Non, pas de problème. L’Europe sera ma maison pendant que je serai absent de chez moi. Et puis je me rapproche de l’Afrique ; une fois en Europe, ce n’est plus très loin.
Es-tu déjà allé en Afrique ? Non, je n’y suis jamais allé, mais j’espère l’année prochaine… J’ai dans le projet de faire un show au Sénégal.
Revenons à ta carrière. Comment vis-tu le gros succès que tu rencontres depuis Handcart bwoy ? Ca va très vite pour toi depuis ce jour. Pour être honnête, j’y travaillais depuis longtemps. Même quand je vendais des fruits en poussant mon caddie sur le marché, je faisais toujours ma musique. Tous les soirs, quand je rentrais, je retournais voir mes amis qui avaient un sound system et je faisais de la musique, car la musique était mon principal centre d’intérêt. Il faut avoir certaines choses pour survivre, comme avoir les moyens d’acheter des vêtements et d’acheter de la nourriture, c’est pour cela, qu’il faut parfois travailler en même temps. Mais la musique a toujours été la priorité principale. C’est comme un charpentier ; si un charpentier est en train de façonner une belle table ou un meuble, après avoir travaillé tous les jours et une fois obtenu le résultat final de la table qu’il désirait, il ne doit pas douter, car il y a mis tout son coeur. Je savais qu’un jour le succès se présenterait, mais je ne savais simplement pas quel jour ce serait, j’ai donc continué à travailler. Aujourd’hui, je connais plus de gens, et plus de gens me connaissent. Il y a beaucoup de photos, de lumières… je suis toujours le même handcart bwoy. Je vais toujours au même petit magasin du coin m’acheter de quoi me faire à manger. Ce n’est pas comme si je mangeais dans le restaurant le plus classe de Jamaïque. Je garde toujours une attitude naturelle, dans la rue, avec mes fans. La majorité des appels que je reçois sont des appels de fans, car j’ai mis mon numéro de portable sur les photos que je distribue pour ma promotion. Depuis quand un artiste fait ça ?!? Je reçois des appels de jeunes écoliers, d’ouvriers, de personnes des institutions gouvernementales, de gens de la rue, de rastas…
Des appels de jolies filles aussi ? Des appels de filles aussi... Tu sais bien qu’en Jamaïque, nous avons certaines des plus belles filles du monde… Au fait, en ce moment, je suis avec un ami français à moi. Nous travaillons ensemble. Il s’appelle Sherkhan et possède le label Tiger Records ici en Jamaïque. Nous allons faire pas mal de choses ensemble prochainement. Il est jeune, mais je l’aide à sortir son label de la rue. Je viens d’enregistrer le titre Hit them pour lui, sur une instru hip-hop ; c’est sa production, Tiger Records. Une autre chanson, 7 is the number, est sortie sur Tiger Records aussi.
Comme tu viens de le mentionner, tu as plein de styles différents. Tu peux faire du reggae, du dancehall, du hip-hop et même des chansons d’amour, comme ton tune Rainbow sur le Lava ground riddim. Comment trouves-tu cette inspiration ? Toute cette inspiration que j’ai vient de la vie elle-même. De la façon dont les gens vivent, de la façon dont les gens se traitent les uns les autres, de la façon dont je vis et de la façon dont je traite les gens aussi. L’expérience des gens est mon expérience. Ce sont vraiment les gens qui m’inspirent le plus. Honnêtement.
Et comment écris-tu tes lyrics ? As-tu toujours un papier et un crayon sur toi ? Non. Le papier et le crayon, c’est surtout pour les pense-bêtes, pour noter un ou deux mots que tu as peur d’oublier. Pour être honnête avec toi, il y a tellement de choses à dire ces temps-ci que ce n’est pas la peine d’en écrire beaucoup. Il s’agît seulement de savoir ce que tu vas dire, d’aller en studio, de te poser sur le riddim, de chanter juste, d’être bien portant et de te lâcher, de donner le meilleur que tu as. C’est ça la chose la plus importante pour le moment. Il s’agît vraiment de ce que tu as appris, de ce que tu vis et de ce que tu vas vivre ; voilà ce dont j’essaye de parler aux gens quand j’enregistre.
Tu parlais de ta venue prochaine en Europe, mais tu es déjà venu en Europe, l’été dernier, avec Anthony B. Tu as joué dans de gros shows, devant de grandes foules, notamment en Allemagne ou en Italie. Comment était la vibe là-bas ? C’était de la bombe. La vibe était vraiment, vraiment irrésistible. Parce qu’honnêtement, j’avais beaucoup entendu parler de l’Europe, on m’avait dit que vous aviez un public d’amoureux du reggae comme nulle part ailleurs. Mais cette fois, c’était ma première expérience, je l’ai vu de mes yeux. Et puis, j’étais en tournée avec Anthony B et Anthony B a beaucoup de succès en Europe. J’ai pu faire tous les plus gros shows avec Anthony B ; nous sommes allés en Espagne, en Belgique, nous sommes même allés jusqu’en Slovénie. Je te le dis, c’était vraiment énorme, c’était plein d’“irie vibrations” en Europe, crois-moi. Je veux le refaire. C’est pour ça que je le refais. Je serai en Europe aux alentours du 22 novembre. J’espère vraiment qu’un show pourra avoir lieu à Paris, car il faut que je donne aux parisiens quelques fruits et légumes de mon caddie.
Tu as enregistré une chanson avec lui, le tune No shelly, et puis, tu es venu en Europe avec lui. Quels sont tes rapports avec lui ? Anthony B est comme un frère pour moi et je suis comme un frère pour lui. Je crois que ce qui nous garde vraiment si proches, c’est qu’aucun de nous n’est de Kingston. Anthony B est de Trelawny et Perfect est originaire de St. Ann. St. Ann et Trelawny sont deux paroisses voisines et nous avons cette sorte d’amour pour la campagne en commun. Nous ne faisons qu’apporter l’amour de la campagne à Kingston, mais nous le faisons bien. Il est mon frère, vraiment.
Quels rapports as-tu avec les autres artistes de ta génération, comme Fantan Mojah, I Wayne or Bascom X ? Sont-ils des amis ou des rivaux ? On s’entend bien avec Fantan, on s’entend bien avec Bascom X, avec I Wayne aussi. Je ne vois pas souvent I Wayne, pour être honnête avec vous, car il est plutôt tourné vers les Etats-Unis. Moi, je m’intéresse plus à l’Europe. Donc, on ne se voit pas beaucoup, mais on s’entend bien. Turbulence aussi. Il n’y a pas de séparation entre les jeunes artistes. Nous écoutons tous les lyrics des autres, nous respectons tous les chansons des autres, car nous transposons tous la réalité, nous parlons de la vie et essayons de faire les bonnes chansons pour rendre les gens bien, pour faire du monde une place meilleure.
As-tu un album en projet ? Car tu as sorti beaucoup de chansons à présent et tu pourrais sortir deux albums en même temps. L’album sortira sans aucun doute l’année prochaine. Je ne peux pas encore vous donner de date précise, car on en est encore à chercher le label qui sera vraiment intéressé par la production de cet album, mais c’est sûr qu’il sortira l’année prochaine.
Est-ce que tu penses qu’il se présentera plutôt comme une compilation de singles ou projettes-tu d’écrire des chansons spécialement pour l’album ? Il y aura des nouvelles chansons sur l’album, que personne n’aura encore jamais entendu. J’ai un large répertoire, vous savez, et on prendra soin de choisir le meilleur du Perfect gardé caché jusque là. Evidemment, il y aura aussi des chansons que les gens connaissent, car on ne peut pas sortir un album ne contenant que des nouveautés. Donc, nous mettrons aussi sur l’album certaines des chansons qui sont déjà sorties. C’est sûr qu’Handcart bwoy sera sur l’album, on ne peut pas éviter ça.
Pour finir, as-tu un message particulier à faire passer aux Français et à tes fans en France ? Je veux qu’ils sachent que Perfect restera toujours vrai. Je continuerai à sortir de bonnes chansons, qui élèvent aussi bien les hommes que les femmes, aussi bien les enfants que les personnes plus âgées. On essaye de faire des chansons que tout le monde peut chanter et que tout le monde peut transmettre. On veut faire des chansons qui peuvent passer toutes barrières. Les gens peuvent donc toujours s’attendre à ce que Perfect leur donne de bonnes choses. Je tâcherai toujours de délivrer le message correctement. Et puis, il faudra qu’ils viennent et qu’ils me voient sur scène, car c’est une autre facette de ma personne. Je leur donnerai tout ce que j’ai, à 100 %.
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