INTERVIEW :
Propos recueillis par : Sébastien Jobart
le mardi 20 septembre 2005 - 15 589 vues
Très occupés, Bost & Bim cumulent leurs activités de musiciens (respectivement saxophone et guitare) et de producteurs de riddims. Aux côtés du label français Special Delivery, ils ont sorti les riddims Clean Vibes, Storm Alarm, Dis Ya Time, et le récent Joyfull, et participé aux albums de Lyricson et de Queen Omega. Musiciens de tournée (Tous les deux jouent dans le 21st Century Band, et Bim est membre du Homegrown Band et de My Band), ils sont aussi très souvent en studio sur différents projets francophones : l'album de KSS, "Caribbean Sessions" (les morceaux d'Admiral T et Tanya Stephens), Saël, Tairo, Big Famili, Matinda… Ils ont même écrit un album mort-né pour Toma. Tout récemment, la mixtape "Yankees A Yard" démontrait leurs talents de réalisateurs. Rencontre avec deux touche-à-tout.
Reggaefrance / Comment produit-on un titre à deux ? / Bost : il y a plusieurs cas de figures. Quand un chanteur nous demande un morceau, on sait qu'on va travailler sur un titre précis. On s'y met tous les deux. Le reste du temps, pour les riddims qu'on réalise sans trop savoir où ça va aller, ça part généralement d'une idée d'un des deux, plus ou moins avancée, avec des idées plus ou moins précises sur les arrangements.
Bim : Ensuite on réalise ensemble. Entre la composition, l'idée de base et la réalisation, il y a beaucoup de travail de studio : les arrangements mais aussi les sonorités.
Est-ce qu'il y a parfois des divergences entre vous ? Bost : Oui, ça arrive. Mais on essaie toujours de tomber d'accord, de trouver un compromis, ce à quoi on arrive généralement.
Bim : Et quand on trouve un truc qui plaît à tous les deux, c'est bon signe.
Bost : Parfois, celui qui a eu l'initiative du morceau peut le recadrer par rapport à son idée initiale. Il faut aussi avancer, et donc trancher. Une fois c'est l'un, une fois c'est l'autre.
C'est vous qui choisissez les noms des riddims ? Bost : Nous donnons des noms à nos riddims mais ils peuvent changer : le Clean Vibe et le Storm Alarm ont été choisis par Special Delivery. Clean Vibes, c'est parti d'un morceau de Radjef, Mettre ça clean. Pour le Storm Alarm, on avait pensé à un autre nom, mais quand ils ont entendu la sirène sur le riff en intro, ils ont dit :"C'est le Storm Alarm !". Le Dis Ya Time, c'est le nom de la chanson des Ital. Avant, on était parti sur le Ital Riddim.
Quelles musiques écoutez-vous ? Bost : Du Reggae/Dancehall bien sur, du hip hop de la soul, du jazz, de la salsa, du soukouss… On fait aussi des morceaux autres que reggae, même si c'est beaucoup plus rare. Sur l'album de Queen Omega, il y a deux morceaux à l'influence soul. On a fait des hip hop aussi.
Bim : Le reggae a toujours été influencé par la musique américaine. C'est donc logique de connaître tout ça. Si tu connais le son d'une guitare wa-wa de Curtis Mayfield, tu connais celui des Wailers, et ainsi de suite. Tous les musiciens, reggae ou autres, écoutent des musiques différentes.
Est-ce que le plus beau compliment qu'on puisse faire à un musicien de reggae français, c'est que ça sonne comme du reggae jamaïcain ? Bost : Oui, c'est sûr que ça fait plaisir. Mais pleins de gens ici font du reggae qui ne sonne pas comme du reggae jamaïcain, et que le public aime. Nous avons une culture différente donc nous pouvons faire des choses différentes. Après, le véritable but est que ca plaise, peu importe la nationalité du public et que ca ressemble ou non à du reggae jamaicain.
Bim : On essaie juste de faire sonner ca comme le reggae qu'on aimerait bien entendre, sachant qu'on ecoute surtout du son de la bas qui est "la" référence.On espère quand même innover dans notre travail, pas seulement copier en moins bien ce qu'ils font là-bas. Le but c'est de faire quelque chose de leur niveau, avec de nouvelles idées.
Comment expliquer cette tentation à imiter ? Bost : Je pense qu'il est plus difficile d'innover ici que là-bas. Pour des raisons culturelles, et des raisons de marché. Ici, il n'y a pas beaucoup d'albums qui sortent. C'est compréhensible que les gens qui le font soient un peu plus frileux que les Jamaïcains. Là-bas, leur production est telle que les risques sont minimes, ils peuvent essayer pleins de choses. Pour le public, le choix est énorme et c'est lui qui fait la sélection. Ici, la sélection se fait avant même la diffusion du disque. Autant pour un label que pour un artiste. Nous, on n'a pas ce problème : ce ne sont pas "nos" albums. Dans notre studio, on fait des trucs un peu plus bizarres. Mais c'est rare qu'ils soient pris (rires).
Dans la même idée, beaucoup de riddims sont des reprises. Bim : Ca fait partie de la tradition. Dans le reggae, les producteurs jamaïcains se piquaient des riddims d'une semaine à l'autre. En tant que réalisateurs, de jouer un truc qui n'est pas à toi, ça te permet aussi de faire tes preuves. Sortir une super nouvelle version d'un riddim connu.
Bost : C'est un challenge. Artistiquement c'est intéressant.
Bim : Et ça ne peut que faire ressortir ta manière propre de jouer le truc.
Vous avez fait des dubs ? Bost : Pour s'amuser, oui. Quand on avait du temps en studio. Ca pourrait être marrant de faire un jour un album de nos riddims remixés en dub… Ou un album d'instrumentaux.
Bim : Pour les instrumentaux, on a de la matière. Y a des titres qui attendent des voix depuis tellement longtemps qu'on se dit qu'on va mettre de la guitare et du saxophone (rires).
Vous avez déjà quatre séries à votre actif… Bim : Les riddims existaient déjà. C'est Special Delivery qui en a fait des séries. La reprise du Dis Ya Time est une idée donnée par Alpheus, qui voulait poser dessus. C'est une reprise du titre des Itals, et encore auparavant des Tenors avec Baby Come Home. Pour la petite histoire, les deux groupes sont les mêmes. Le Joyfull, c'est un morceau qu'on a fait depuis longtemps, et qui est sur l'album de Queen Omega (Joyfull Moment).
Ca fait longtemps que vous travaillez avec Special Delivery, comment évolue votre collaboration ? Bim : On avance ensemble. On profite de leur travail, et eux sont contents de travailler en direct avec des compositeurs, sans avoir à acheter des riddims super loin. Et puis c'est notre famille. C'est un bon échange, on avance vraiment ensemble. Et il n'y a pas de raison que ça s'arrête.
Tous seuls, vous avez sorti la compilation "Yankees A Yard", avec des remixs de hits américains façon reggae. Bim : Au début, c'était pour se faire plaisir. On a monté des voix sur des riddims qu'on avait déjà, pour faire écouter aux potes. Au fur et à mesure, on en a fait de plus en plus. Pendant un moment, on s'est dit qu'on allait sortir un 4 titres en vinyle. Mais on a eu tellement de mal à les sélectionner qu'on a décidé de sortir tout ceux qu'on avait. On a gardé les plus marquants, et on a poussé le truc pour faire des mini-séries. On a encore d'autres morceaux qu'on sortira un peu plus tard, des titres plus intemporels. Quand tu sors un Marvin Gaye, tu n'es pas à un an près.
L'accueil a été très positif… Bim : On est contents, un des effets de ce projet a été de "convertir" pas mal de gens qui écoutaient du reggae et qui se sont passionnés pour Al Green ou Erykya Badu, et à l'inverse, d'autres qui étaient complètement rétifs au reggae, et qui par le biais d'une chanson qu'ils connaissent, se se mis à danser. Le but était aussi de montrer les similitudes entre ces musiques. C'est l'histoire de Studio One ou de Treasure Isle, qui ont toujours repris des standards américains. On reste dans cette continuité, en montrant que ce sont les mêmes voix. Les chanteurs jamaïcains s'inspirent beaucoup de la manière de chanter des Américains. C'était un moyen de le montrer aux gens, et c'est passé dans pleins de médias qui d'habitude ne s'intéressent pas au reggae.
Vous travaillez sur quoi en ce moment ? Bim : Il y a plusieurs chanteurs qu'on connaît depuis longtemps qui travaillent en ce moment sur leurs projets personnels. On travaille avec eux sur quelques morceaux de leurs albums respectifs : Lyricson, Brahim, Taïro, et Admiral T bientôt…
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