INTERVIEW :
Propos recueillis par : Benoit Collin Traduction : S.Jobart / B.Georges
le dimanche 19 juin 2005 - 38 058 vues
En plein dans le tumulte de ses multiples annulations, Capleton s'est montré particulièrement disponible pour revenir avec nous sur toute cette affaire. Il nous livre ici sa version des faits, et revient longumement sur les points qui lui paraissent importants : la bonne interprétation des mots, la connaissance du contexte jamaïcain, et l'influence de la Bible.
Entretien avec le fireman sur un sujet brûlant.
Reggaefrance / Quelle est ta position sur l'annulation du concert (du Zénith puis de Vitry, le 26 juin, ndlr) ? / Ce n'est pas le premier concert à être annulé. Il y a une mauvaise interprétation des paroles, les gens les prennent au sens littéral. Alors qu'il s'agit de métaphores, comme celle du feu, dont on a déjà parlé ensemble (voir interview du 10 mai 2004). C'est un problème d'interprétation du sens des mots. Ce feu est biblique, ce sont des flammes purificatrices. Il sert aussi à combattre l'injustice, les inégalités, l'oppression de l'humanité. Yuh understand ?
Tout serait lié à la non-compréhension du ''feu'' ? Exactement, c'est une interpretation d'un mot prononcé en patois, un dialecte... On ne peut pas traduire littéralement ces mots.
Tu nous expliquais que tu brûles plus le péché que le pécheur. Tout juste, c'est ce que je veux dire, mon combat est dirigé vers tous les opresseurs du systeme, on se bat contre les assassins, l'injustice sociale, la pauvreté...
Penses-tu que la Bible a toujours raison ? Je ne dit pas ça, tu sais, nous avons grandi avec la Bible, elle nous apporte la sérénité. Nous avons grandi à l'Eglise, avec la Bible... et la Bible condamne Sodome et Gomorrhe, ces deux villes pécheresses. C'est pourquoi nous le chantons.
Mais dans le Lévithique, on trouve aussi la légitimation de l'esclavage... Oui, c'est un peu contradictoire. Tu peux lire la Bible et y trouver la verité, ta vérité. C'est strictement personnel, personne n'a dit de faire tout ce que la Bible dit. Je dis juste qu'un homme doit lire la Bible avec l'esprit ouvert, le coeur la conscience purs, et alors il pourra trouver la vérité qu'il cherche. C'est quelque chose qu'on adapte.
Les associations ont réclamé des excuses... ...Il n'y a pas d'excuses, c'est une mauvaise interprétation !
Ils ont demandé des excuses et tu ne l'as pas fait, pourquoi ? Je pense que c'est immoral. On ne peut pas violer les droits des gens. Si un homme pense que c'est sale qu'un homme en aime un autre, peut on aller contre ses opinions ? Tu sais c'est aussi un combat contre la musique et contre son pouvoir. L'an dernier, nous avons fait un festival à Bercy, c'était complet, et puis un autre en Allemagne. Et cette année toute cette propagande a démarré. Mais ce n'est pas comme ça et les hommes sages le comprennent. Souviens-toi, Bob Marley utilisait le mot ''brûler'', Jacob Miller également, Peter Tosh, Bunny Wailer, Burning Spear, Culture ou encore Toots & the Maytals, tu vois. Ce que je dis, c'est que quand ce sont des icônes ou des pionniers qui utilisaient les mêmes termes, ils étaient considérés comme des métaphores ; pourquoi ce serait littéral quand il s'agit de Sizzla, Capleton et d'autres artistes ? C'est vraiment un combat.
Avec les pressions que la Jamaïque subit, penses-tu que les lois pourraient changer ? Je ne sais pas... Je ne pense pas que les lois puissent changer, ces lois datent de l'esclavage, nous avons grandi avec. L’esclavage, les plantations, ça découle d’un système.... non, je ne pense pas que ca puisse changer comme ca.
Aucun homme ne peut en condamner un autre, l'homme se condamne lui-même par ses actes, par ses mots. Je ne peux pas laisser les hommes se détruire eux-mêmes. Si tu veux combattre contre le righteousness, tu veux te battre contre quelque chose de positif. L'argent de Capleton sert pour les hopitaux, les écoles, pour éduquer des jeunes, pour aider les personnes de la rue qui en ont besoin. Donc si tu m’empêches de mettre de l’argent dans ma poche, tu dois savoir également que beaucoup de personnes, de gens qui souffrent, dépendent eux aussi de cet argent. Toute cette histoire, ces annulations de concerts, c’est d’abord une attaque contre notre porte-monnaie.
Les rapports deviennent de plus en plus tendus en Europe, pourrais-tu ne plus y venir ? (Sa manageuse intervient dans la discussion) : C'est ce qu'on essaie de clarifier. Vous devez passer un message à quiconque interprête mal les paroles, et leur dire que les paroles de Capleton sont saines. C'est ce que nous devons clarifier. Ces paroles n'appellent pas à tuer les gays et les lesbiennes. Ce n'est pas à propos de l'Europe. C'est à propos de mensonges qui sont dits, et qui affectent notre musique.
(Capleton reprend :) Je ne laisserai pas les ligues gays m'empêcher de venir en Europe alors que des fans veulent me voir, je ne dirai pas ''Ok, on oublie l'Europe, on oublie la France''. C'est le bien contre le mal.
Nous luttons depuis longtemps, on ne va pas abandonner. On se bat pour le la droiture et l'élévation de l'esprit, pour tous les gens, pas seulement pour les Noirs, mais pour toutes les nations. Cette musique rassemble les gens de tous horizons. C'est ce dont il s'agit : Uplifment, righteousness, salvation, redemption, repatriation, liberation, self esteem, self awareness, self reliance, self control...
Tu as accepté de ne plus chanter tes chansons anti-homosexuels sur scène... Oui, par rapport aux paroles qui sont déjà publiées depuis longtemps, je dois dire que je n’interpréterai plus ces morceaux sur scène. La plupart sont de vieux morceaux qui datent d’une autre époque. D’ailleurs, en Europe, les gens ne me connaissent pas pour ces titres, ils sont moins dans le style dancehall. Des chansons qui viennent du cœur, le « one beat » le « nyabingi » c’est ce qui m’intéresse et c’est ce qui intéresse les gens. Si des gays viennent aux concerts de Capleton, ils n’entendront aucun titres homophobe, ils n’entendront plus certains morceaux. Capleton a des milliers de chansons et beaucoup d’entre elles sont du roots rock reggae
Mais seules quelques chansons sont visées. Ils devraient essayer d'en savoir davantage avant de se jeter sur des disques, de dresser des conclusions hâtives et de discriminer les gens.
Outrage ! et Amnesty et plusieurs maisons de disques ont déjà trouvé un accord. Tout ça révèle le retard de la France, tout a déjà été réglé.
C'est une violation de mes droits. Ce n'est pas juste ni pour les artistes, ni pour mon pays. Derrière cette musique, il y a un héritage, une culture, une philosophie, un parcours. On ne peut pas prendre une chanson hors de son contexte, en ignorant comment et où elle est née, et pourquoi elle est devenue célèbre. Les gens doivent apprendre.
La scène musicale jamaïcaine est très particulière... C'est très compétitif. La plupart des artistes ont des rivalités entre eux. Quand ils chantent, ils ne s'adressent pas au monde entier, mais à leurs amis. Tu as quelq’un comme Bounty Killer, qui dit être un gunman et parle de descendre des gens. Mais il faut savoir que Bounty Killer se voit comme un revolver, et considère ses paroles comme des balles.
Les gens ne comprennent pas. En Jamaïque, quand on dit ''kill'', ça ne signifie pas ''tuer'' au sens littéral du terme, Un artiste va dire : ''I just killed a show last night'', pour dire qu'il a fait une très bonne prestation. Il ne va pas tuer le public ! En Jamaique quand on tue vraiment, on n’en parle pas, on le fait… C'est la propagande, et la barrière de la langue donne une mauvaise interprétation. Je dis qu'il ne faut pas prendre tout ça littéralement, ce sont des métaphores. Si on est d’accord pour dire qu’on peut utiliser une arme à feu pour des métaphores, il faut accepter que tout n’a pas un sens littéral. Bob Marley utilisait les mêmes termes. Il a chanté : ''I Shot the Sheriff''. Il ne l'a pas tué de façon littérale ! Pourquoi quand Capleton dit ''tuer'' cela devient littéral ? Bob Marley disait ''brûlons les églises, il n’a jamais brulé d’église. Il a brûlé l'Eglise avec des mots, du son et du pouvoir, en disant que le prédicateur mentait. Ce n'était pas littéral.
Un dernier mot à dire aux Français ? Pas seulement aux français, à tout le monde. Pour les jeunes générations, je les appelle à construire un monde meilleur car ils sont l’espoir de demain. Je les exhorte à aller à l’école, à s’éduquer et ça veut dire aussi respecter ses parents, sa famille et les autres. Et qu’importe si personne ne peux t’enseigner, tu dois chercher à te connaître parce que tu ne peux pas te mentir à toi-même ! (rires) More love, more blessings, more prosperity... Keep the fire burning, fire is for the purification.
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