INTERVIEW :
Propos recueillis par : Benoit Georges
le vendredi 15 octobre 2004 - 12 090 vues
Le Dj et producteur Bobby Konders est un des maillons qui relie le hip-hop à la musique jamaïcaine des dancehalls. Son émission de radio "On da reggae tip"‘ diffusée par Hot 97 à New York et dans les états voisins depuis 1992 a fait tomber des barrières musicales en popularisant le reggae et le ragga auprès du public hip-hop.
Ce yankee natif de Brooklyn a fêté cette année le 14ème anniversaire de son label Massive B, qui est plus que jamais le label de référence pour le reggae made in USA. A la tête d’un collectif de 6 personnes, Bobby Konders est sur tous les fronts : sound system ambulant pour la fête du travail, soirées en club chaque semaine, tournées internationales et production (notamment le Rah Rah Riddim l’année dernière).
Au téléphone, il m’annonce : ‘"on peut faire l’interview dans ma voiture ? J’ai encore beaucoup de promotion à faire pour ma soirée". Alors que nous prenons place dans son 4x4, je comprend aisément pourquoi il a besoin d’une grosse voiture : le coffre et la banquette arrière sont pleins d’affiches, de flyers, de CDs. Il y a même un seau de colle...
Reggaefrance / C’est dingue, après 14 ans c’est toujours toi qui es sur le terrain. Ca doit te faire des grosses journées ! / Tu m’étonnes ! Mes journées ne finissent pas… J’ai pourtant payé des jeunes pour mettre les affiches et diffuser les flyers mais ils ne font pas toujours le boulot. Je préfère me rendre compte par moi-même. Là on va faire un tour pour voir si toutes les affiches ont été collées, s’il n’y en a pas ou si elles sont recouvertes, j’en collerais de nouvelles. Attends, mets en pause, je vais vérifier si il y a mes flyers ici. Tu vois ce salon de coiffure là ?… C’est bon ils y sont déjà. (En passant devant la boutique, les gens interpellent Bobby et klaxonnent). Tu dois connaître la rue, les endroits où les filles vont, tu vois ce que je veux dire. On ne dort pas, on est dans la rue et les gens aiment Massive B. Ils aiment Massive B, parce que s’ils connaissent Bobby Konders de Brooklyn, et on me connaît dans la rue depuis 20 ans, ils savent que je ne suis pas une star du showbiz, je divertit les gens sur scène quand il s’agit de jouer du reggae mais ils peuvent m’aborder dans la rue, discuter avec moi. Je ne suis pas quelqu’un qui se la raconte, j’aime les gens, je les divertis… Et c’est pas ça qui t’empêche de faire de l’argent, tu sais comment ça marche !
Quels ont été tes premiers contacts avec la musique jamaïcaine ? Ca remonte aux années 70, avec les sons de Studio One. Ici on a toujours eu des radios pirates ou des radios alternatives universitaires voir des stations publiques, qui diffusaient ce genre de son. J’aimais bien ça mais c’est venu plus tard. A l’époque mes potes n’étaient pas trop là-dedans et on s’est rué sur le hip-hop à la fin des années 70, lorsque ça a commencé.
Quelles sont tes fondations justement sur le rap ? Déjà, quand tu entends parler de Bobby Konders certains vont te dire : c’est un DJ reggae. D’autres savent par exemple que j’ai produit de la house, d’autres savent que j’ai même fait du hip-hop et du reggae/hip-hop. J’aime tous les styles de musique, je ne suis pas fermé, j’aime Fêla, Gil Scott-Heron, Patsy Cline et la country music, j’aime la musique, tous les styles de musique. Maintenant pour le hip-hop, à la fin des années 70, j’étais adolescent et ça venait de la rue, c’était LE nouveau truc. Je me rappelle que j’avais tous les premiers disques de rap, avant Sugar Hill gang, j’avais : Funky 4+1, Kool Kyle the star child, Spoonie Gee, the Treacherous Three, tous les disque originaux. J’avais des cassettes, les cassettes Zulu Nation, et tout ces sons. C’est des sons qui sont sortis je dirais entre 1978 et 1980.
Qu’est-ce que tu penses de la nouvelle garde à New York ? Je n’approuve pas tout leurs discours, mais c’est ça la société américaine : on perpétue la violence… C’est ce que les jeunes ressentent et ils perpétuent en même temps cette violence et cette culture des flingues. Je dois dire que j’aime bien 50 Cent, mais bon il y a tellement de rappeurs terribles à New York… Je parle des sons dansants car quand on joue devant les jeunes du Bronx, de Brooklyn, de Harlem ou n’importe où, on doit jouer du hip-hop, même si c’est une danse jamaïcaine. Pareil quand je vais dans les universités, je leur sors les Sizzla, les Bounty Killer, mais tu dois jouer du hip-hop… Et pour ce qui est des danses, c’est les sons de Lil John qui rendent les gens dingues à New York, c’est de la vraie ‘‘ party music ’‘ ! Après je me fiche de savoir d’où ça vient, si ça tue alors je le joue, que tu sois jamaïcain ou pas c’est pas ça qui compte. Massive B, le sound, vient pour distraire les gens, on peut jouer de la musique ‘‘ foundation ’‘, on peut jouer de la music ‘‘ hype hop ’‘, on s’adapte au public. Notre premier amour c’est le reggae, mais à New York si tu veux durer tu dois être versatile. Tu joues pour un public des West Indies mais il y a les Haïtiens, les gens de Trinidad. Tu as des Jamaïcains jeunes ou vieux qui aiment le hardcore… tu dois donc être versatile parce que les sounds qui restent bloqués sur un truc se retrouvent tout simplement au chômage ! C’est un truc de kids et les kids contrôlent la rue.
Ton émission de radio ‘‘ On da reggae tip ’‘ sur Hot 97 a marqué son époque et est toujours au top, c’est de là qu’est né Massive B ? Bien avant Hot 97, j’étais DJ sur WBLS et je passais de la house, du reggae et du hip-hop, des mixes très différents. Vers 91/92, je me suis mis vraiment dans le dancehall. Avant c’était Bobby Konders de Massive sounds et j’étais un Dj américain. J’ai été le premier DJ yankee à mettre du reggae et du dancehall sur une grosse station dans des mixes de musique américaine. J’ai été l’un des premiers DJ Yankee à jouer des dubplates ! Et puis mon cœur a complètement basculé dans le reggae et le dancehall. C’est devenu Massive Sound System. Et puis Massive B, le sound sytem est un sound international, et le public nous approuve. C’est par ce biais que j’ai fait connaître Burro Banton au public. On s’est connu à la fin des années 80 et on a commencé à enregistrer. Maintenant il a des fans partout dans le monde, on lui a permis de rester dans le coup grâce à Massive B. Il a permis à Jabba, mon partenaire, de faire ses classes avec Massive B. Jabba c’était un gamin du Bronx d’origine jamaïcaine et tu peux voir sa progression en commençant par être MC pour Massive B, maintenant c’est un promoteur, il produit des clips…c’est devenu une personnalité. Massive B, c’est quelque chose dont on peut être fier, de nombreux sounds sont arrivés dans le business et sont repartis… Nous on est connu dans le monde entier, on peut jouer des dubplates mortelles de n’importe quel artiste, Bounty Killer, Half Pint ou Supercat, on a tous les dubplates et puis nos productions. J’ai pris cette direction là et voilà où j’en suis depuis maintenant 14 ans.
Entre-temps tu es devenu producteur et plus seulement DJ, pourquoi ? Disons que c’est une suite logique. Je traînais dans les studios, j’ai toujours fait pleins de remix et j’en sors encore. J’avais notamment bossé avec Supercat sur des remix. Maintenant pour le label, j’ai toujours aimé la musique ‘‘ foundation ’‘, le reggae ‘‘ foundation ’‘, et c’est ce genre de musique que j’ai voulu produire sur mon label Mais je fais toujours des riddims ‘‘ hype-hop ’‘, habituellement un riddim ‘‘ hype-hop ’‘ par an. Au fil des années j’ai produit un grand nombre de sons avec un beaucoup d’artistes sur ce label. On a aussi sorti l’album de Nicodemus, l’album de Burro Banton, je vais en ressortir un bientôt, et puis tous les trucs ‘‘ bashment ’‘, on a le Heavenless riddim qui est disponible en ce moment avec Sizzla, King Kong, Burro, Morgan Heritage, Bounty Killer, et puis le Rah Rah riddim qui cartonne dans la rue, je m’en rend compte.
Tu peux nous parler des artistes Massive B ? J’ai enregistré sur Massive B des gens qui m’ont toujours encouragé. Bon, je peux aussi faire des morceaux avec 1 ou 2 artistes ça et là… Mais quand je dis encouragé, je pense à des gens comme Nicodemus, Burro Banton. Half Pint, qui a beaucoup enregistré pour moi, m’a aidé à démarrer le label quand on a fait ‘‘ The winner takes it all ’‘ il y a 14 ans. Anthony B a toujours chanté pour Massive B. Chronicle, je lui ai fait connaître avec ‘‘ My god ’‘. C’était une chanson que j’avais entendue en dubplate pour Metromedia Skyjuice où il disait ‘‘ My sound is the greatest… ’‘ J’ai eu l’idée d’en faire une chanson sur Dieu, comme une bénédiction. On l’a posé sur le Sick riddim et ça l’a bien boosté ! J’aime beaucoup le dancehall des années 80, c’est pour ça que j’ai enregistré des artistes de cette période. Quand j’étais à Londres en 91/92 j’ai rencontré King Kong. Il est venu me voir à New York en 1997 et je lui ai dit : ‘‘ maintenant j’ai un label et des riddims pour t’enregistrer ’‘. Il a enregistré Rumble jumble life pour moi, et c’est un beau hit. Evidemment quand tu penses à Massive B, aux dubplates et aux 45 tours, tu penses à Bounty Killer et à Elephant Man. On a mis Bounty Killer à la mode à New York dans les années 90. Mon premier morceau de lui, Suicide or murder, est un duo avec Jeru da Damaja. On a aidé Elephant Man à démarrer sa carrière. Il a commencé en 95 en faisant des styles rappés, on l’a enregistré en dubplates, en 45 tours et tu peux constater par toi-même le niveau d’Elephant Man aujourd’hui : c’est une superstar. Grâce à ça on est connecté avec Vybz Kartell, tu sais Bounty Killer, Eli, Kartell c’est l’Alliance et il sont connectés avec Massive B, c’est un peu comme une famille. Sizzla est venu me voir pour poser et on a fait quelques morceaux, Morgan Heritage, c’est des artistes de Brooklyn alors ils ont fait des morceaux pour moi.
Et en ce qui concerne les artistes locaux ? On aide à promouvoir les artistes locaux. J’ai fait les premières productions de Red Fox. J’ai produit Dem a murderer pour son album ragga/hip-hop chez Elektra. On a boosté Yankee B, il a décroché un contrat, j’ai produit des morceaux hip-hop pour lui et puis il est devenu plus ou moins chrétien… J’étais dans les premiers à produire Mad Lion, pareil pour Shaggy. Shaggy et moi on est de bons amis. Donc tu vois on a aidé les artistes locaux. Après il y a tellement d’artistes ici qu’il ne faut pas enregistrer pour enregistrer. Il faut le faire de manière réfléchie.
En tant que producteur, qu’est-ce que tu penses du P2P et du téléchargement par Internet ? Fuck the internet ! Non sérieusement on a un site, www.massiveB.com, c’est cool. Mais y a des fils de p…. qui téléchargent à tout va et ces ‘‘ pussy ’‘ se prétendent vendeurs de musique, faut pas prendre les gens pour des cons ! Vends des mixtapes, des mixcd, mais il ne faut pas télécharger directement les chansons et les vendre ! Tout le monde se débrouille comme il peut, c’est ok, je sais ce que c’est et j’admet ça. Mais si tu vends des CD téléchargés, tu niques non seulement le business mais toute la scène musicale. C’est réel.
Tu fais toujours des mixtapes… Dès que je sors un riddim, je fais une mixtape, ça aide à le promouvoir. Mais c’est une épée à double tranchant car finalement ça ne fait pas acheter des disques aux kids, c’est les sélecteurs et les collectionneurs qui en achètent. Si on n’avait pas ces mixtapes, le public retournerait aux compilations. Donc les mixtapes on a en toujours fait et on en fera toujours car si tu n’es pas dans le jeu, on t’abandonne… Je le fait pour promouvoir les artistes, les labels, les sound systems, pour nous promouvoir et promouvoir tout le monde.
Merci. One love et paix dans la rue, dans le monde entier, c’était Massive B family, Bobby Konders et rappelez-vous que c’est du divertissement. Pour les jeunes crews de rap : c’est du divertissement, ne croyez pas les paroles, ne croyez pas le style, la plupart des rappeurs ne sont pas des gangsters. Alors allez à l’école et écoutez vos parents !
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