INTERVIEW
Propos recueillis par : Sebastien Jobart
le samedi 15 mai 2004 - 13 156 vues
Elève de l’Alpha Boy School, Rico Rodriguez a eu pour professeur Don Drummond, membre fondateur des Skatalites. Tromboniste formé au jazz dans les collines de Wareika sous la houlette de Count Ossie, Rico Rodriguez devient musicien de session, pour Coxsone ou Duke Reid. Après s'être envolé pour l’Angleterre, il se joint en 1979 aux Specials, principal avatar du revival ska. Depuis, il parcourt le monde en tournée, une seule idée en tête : jouer.
Reggaefrance / Vous avez débuté dans la musique à l’Alpha Boy School, célèbre pour les musiciens qui en sont issus. / Oui c’était une école pour les mauvais garçons. On y apprenait plusieurs métiers, comme devenir jardinier ou ébéniste. J’y ai appris les cuivres : la trompette, le trombone…
Et vous n’aviez jamais touché à un instrument avant d’aller dans cette école ? Non. J’ai tout appris là-bas.
Vous avez eu un très grand professeur : Don Drummond lui-même. Don Drummond était un excellent musicien. Il était aussi mon ami. On vivait à deux rues d’écart. Il était si bon, mais il est devenu fou. Nous étions très proches.
Votre style est très orienté vers le jazz. Comment l’avez-vous découvert ? Je l’ai découvert quand je suis allé à Wareika Hills, chercher Count Ossie. Il jouait des percussions. Pas de guitares, ni de claviers… juste des percussions. Et pour jouer des cuivres juste sur ce rythme, cela demande beaucoup de concentration. J’avais des doutes, à l’époque, quand je jouais. Et Count Ossie me répétait : "joue avec le cœur". C’est pourquoi j’ai découvert le jazz à Wareika Hills avec Count Ossie & The Mystic Revelation of Rastafari, parce que je jouais librement. A l’école, je lisais ce que je devais jouer. En allant à Wareika Hills rencontrer Count Ossie, j'ai appris beaucoup plus. Je ne me préoccupais pas des accords, c'était du feeling.C159
Avez-vous enregistré des disques de jazz ? Yeah man, j'ai enregistré des disques de jazz, quand j'ai joué avec les Jazz Jamaïca (groupe anglais formé en 1991, NDLR). J'aime tenter de nouvelles choses, et si on ne m'en donne pas la possibilité, j'ai le sentiment de stagner.
Quand êtes-vous entré en Studio pour la première fois ? La première fois… il me semble que c'était avec Derrick Harriot. Il m'a emmené au studio, et on a fait Over The River, où j'ai joué du trombone. C'était la première fois.
Vous avez aussi joué avec les Skatalites… Oui, ce sont aussi de bons amis. Récemment, on a fait deux concerts ensemble à Toronto, et au Japon. J'aime beaucoup les voir. Vous savez, si je les vois, j'ai envie de jouer avec eux. Parce que je vis en Angleterre, nous avons des chemins différents et nous ne nous rencontrons pas souvent. C'est pourquoi c'est une joie de se retrouver. Un des meilleurs musiciens de Jamaïque se nomme Cluett Johnson. Lui et Ernest Ranglin ont commencé à jouer cette musique que l'on a appelée Ska. J'étais toujours accepté parmi eux. J'ai eu la chance de pouvoir jouer du jazz avec eux. Ils étaient les meilleurs musiciens de jazz en Jamaïque.
Coxsone était parmi eux quand ils ont inventé le ska. Que représentait-il pour vous ? Coxsone Dodd était un homme qui adorait la musique et s'y intéressait beaucoup. Il a su s'entourer des meilleurs musiciens. Il avait des compositeurs, des gens qui écrivaient la musique.
Vous êtes parti vivre en Angleterre, et vous êtes devenu membre des Specials… D'abord je n'ai pas voulu rejoindre le groupe. Mais ils m'ont appelé sans relâche, jusqu'à ce que j'accepte d'enregistrer un LP. A partir de ce jour, je suis devenu un membre des Specials. On a démarré une tournée : aux USA, en Irlande, Ecosse, au pays de Galles, à Dublin… Ca m'a fait beaucoup de bien de jouer avec eux car à l'époque, je ne jouais pas régulièrement. Seulement ils étaient plus jeunes que moi.
Ils faisaient des hits, et gagnaient beaucoup d'argent. Peu à peu, on s’est éloigné.
On vous sent nostalgique… J'ai passé du bon temps avec les Specials. On est allés à New-York, San Francisco, Los Angeles… des tournées de six semaines. On a beaucoup voyagé. Quand ils se sont séparés en 1982, je n'y ai pas cru, ils étaient tellement bons. Et les gens dans la rue non plus n'y croyaient pas. J'ai enregistré un album après ça, "Love of the common People", qui est devenu un hit. Dans ce même laps de temps je suis retourné en Jamaïque.
C'était en 1981. Pourquoi ne vous y êtes-vous pas définitivement installé ? J'y suis retourné pour voir des vieux amis, je jouais, je travaillais. Avant de quitter la Jamaïque la première fois, je faisais beaucoup de sessions. Mais en 1981, c'était différent. La jeune génération de joueurs de trombone s'était installée. Je voulais juste revoir mes amis : je suis retourné voir les Mystic Revelation of Rastafarai à Wareika Hills, pour jouer avec eux. J'ai toujours trimballé mon trombone. Quand je ne l'ai pas avec moi, les gens disent : "Rico, où est ton instrument ?" C'est ce qui m'a permis d'éviter les ennuis, d'une certaine manière. Depuis 1981, je vis à Londres.
Vous avez des projets ? Pour être honnête, je n’ai pas beaucoup de sorties, même si je fais toujours beaucoup d’enregistrements. Je sortirai quelque chose quand le temps viendra. Un jour peut-être.
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