INTERVIEW
Propos recueillis par : Sebastien Jobart
Photos : Benoit Collin
le lundi 04 octobre 2004 - 229 112 vues
Jim Murple Memorial, des français ? A écouter leur musique, on s'en étonnerait presque. Avec ses chansons en anglais, un son digne d'un vieux 2 pistes jamaïcain des années 60, et ce parfum de nostalgie, la formation s'applique depuis huit ans à partager son amour pour les musiques populaires jamaïcaines et américaines. Du ska au rocksteady en passant par le jazz, cet orchestre de huit personnes n'a qu'une seule idée : faire danser.
Rencontre dans leur studio aux portes de Paris avec Romain, guitariste et pilier du groupe.
Reggaefrance / Comment est né Jim Murple ? / Au départ JMM s’est créé sur la réunion de musiciens de diverses influences. Au départ, Denis, le batteur avait monté un groupe qui s’appelait La Barabounta avec le chanteur de Patate. En 1991, on était dans la mouvance rock alternatif, et les mecs qui jouaient du rocksteady façon puristes n’intéressaient que quelques parisiens. Jusqu’à ce que les Skatalites deviennent un connus par un public plus large en France, disons en 1998, personne ne connaissait les différents aspects de la musique jamaïcaine. J’avais joué avec Denis dans un groupe de ska, Les Singes Hurleurs, qui reprenait le répertoire des Skatalites : Man In the Street, Al Capone, Dick Tracy… On a vadrouillé dans toute la France à l’époque, et personne ne connaissait les Skatalites. Mais tout le monde était d’accord pour dire que le groove était bon, tout le monde appréciait cette joie dans les cuivres. Ce côté populaire qui avait disparu dans le jazz. Nanou à l’époque avait déjà un background de chanteuse, elle écoutait du calypso, du jazz… Fabrice, le bassiste, était parti sur du rock ab', puis avait poussé dans le rythm & blues, la musique black de New-Orleans, Detroit… Le blues, quoi, les racines. Pti Louis à la guitare était très branché soul music, avec le label Stax. Marco était un saxophoniste qui avait une grosse culture rock n’roll et reggae. Autour de cette petite équipe de 6 personnes, on a décidé de faire un orchestre de danse. Avec une chanteuse, bien entendu. Et de proposer une musique traditionnelle : des reprises et des adaptations de standards jazz remis à la sauce plus dansante. Une reprise de Summertime, par exemple. On adapte la mélodie sur un autre beat. Le leitmotiv du groupe c’est de faire danser.
Jim Murple est un chanteur inconnu. Avec ce nom de scène, l’idée est donc de faire découvrir aux gens des perles méconnues ? L’idée c’était vraiment ça. Dans les années 60, la musique a été maquée par quelques business man en France. Ces mecs ont sorti leurs poulains et allaient s’alimenter dans la musique populaire américaine. Ils prenaient les mélodies puis les réadaptaient dans leur studio avec leurs musiciens, leur producteur. C’est du copinage. Dans les années 60, ce phénomène a occulté toute la bonne musique qui sortait par ailleurs. Ces gens-là avaient la mainmise sur un business : ils ont sorti les Sylvie Vartan et Sacha Distel, mais on n’avait pas la possibilité d’entendre les artistes qui les avaient influencés. Sauf pour les vrais mélomanes, qui voulaient découvrir cette musique. Le grand public n’en a jamais entendu parler. Jim Murple en faisait partie. Mais lui c’est encore pire, il n’a jamais rien enregistré. C’’est pour ça qu’on a choisi son nom pour pas avoir de problèmes avec son nom vis à vis de ses descendants. C’était une manière de dire : « le jazz, le petit doigt en l’air, la tasse de thé, y’en a plein le cul. On est jeune, on veut s’éclater ». Les musiques à la mord-moi-l’nœud du genre j’ai inventé l’eau tiède, idem. Par contre, faire une musique avec une orchestration traditionnelle, jouer senti, avec le cœur, et rendre hommage aux gens qui l’ont créée, c’est la moindre des choses.
Quand on a commencé, les gens nous regardaient comme des martiens. Ils ne savaient dans quelle catégorie nous classer. Notre étiquette c’est de faire danser, et d’amener du bonheur.
On ne vous imagine pas jouer autrement qu’avec des instruments… C’est le son qui est important. N’importe quel instrument a été inventé par des gens qui se sont pris la tête pour le concevoir en partant d’une matière brute. Tout instrument est un aboutissement incroyable en soi. Pour nous qui voulions un son ancien, la question ne s’est pas posée. En plus, selon moi, la musique se partage : l’idée de l’orchestre, c’est des gens qui jouent ensemble. C’est la communion, chacun prend ses parties, alors que la machine a un côté plus individualiste.
On a l’impression que vous enregistrez avec vieux 4 pistes… C’est le cas ? En Jamaïque, c’était une production de bouts de ficelle, il n’y avait pas de vrais moyens. C’est ce qui a donné ce son : c’est en rapport au matériel. Nous, à la base, on n’a pas de moyens. Aucun. Donc on a réagi de la même manière : on joue tous ensemble et on enregistre. Et comme on a des musiciens qui savent faire sonner leurs instruments, la prise est bonne.
Justement, comment ça se passe en studio ? Il y a plusieurs méthodes de travail. Il faut aussi considérer que les musiciens ont changé. Un groupe par définition, c’est une harmonie, comme dans la musique. Du groupe de départ, on n’est plus que trois. Il a donc fallu trouver des gens qui acceptent notre projet : non seulement de faire vivre une musique, mais aussi d'y rester fidèle. On a une contrebasse, une batterie, une guitare et une section cuivres, qui sont là pour accompagner la chanteuse ou les solistes. Personne ne tire la couverture à lui, tout le monde est là pour « l’intérêt commun ». On revient à ce qu’on disait tout à l’heure sur les modes de fonctionnement de production dans la musique aujourd’hui : ils sont très individuels par le biais de la machine. Il y a aujourd’hui une dérive individualiste dans notre société, et ça n'a pas été facile de trouver des gens qui soient prêts à jouer le jeu. Quand, en studio, tu sais comment les musiciens vont jouer et avec quelle énergie, tu ne te poses pas de question : tu branches le micro et tu enregistres. Quand sur certains styles les musiciens sont pas à l’aise, on est obligé de travailler plus pour arriver à jouer la musique de manière authentique.
On sent que c'est quelque chose de fondamental pour vous… Ce sont des musiques black, populaires. Ces mecs ont joué de la transe : avec des tambours, avec du saxophone, de la basse, des chants. Si tu veux s’éclater sur ces musiques simples, il faut pouvoir entrer en transe. Toute musique populaire a un rythme qui fait que tu oublies la conscience du présent, et tu pars dans la musique. Avec ou sans psychotropes. Normalement, on peut y arriver sans (rires). C’est un aspect des musiques populaires qu’il ne faut pas négliger. Je le définirai comme sacré : un sentiment fort et partagé par tout le monde, le fait que l’homme avance et que la musique doit avancer. Avec la musique, tu dois rentrer dans des modes de communication abstraits mais basés sur les sentiments, des choses qui te touchent. Ca paraît anodin, comme ça. Si en plus il y a des jolies chansons bien écrites, avec des messages d’espoirs… c’est encore mieux. Mais juste avec la musique, il y a déjà quelque chose. Un orchestre, ce sont des gens qui jouent ensemble : un beat, une respiration, un battement de cœur…
Qui écrit les morceaux ? Chacun a ramené ses thèmes, ses arrangements… Tout le monde y partage la même conviction. Ce sont des musiques très génériques. Ces beats, ces manières de chanter… On s’inspire d’un état d’esprit d’une musique qui a été créée il y a 40, 50 ans. Nous on compose, on crée des nouvelles mélodies. Chacun amène ses parties, et après on signe tous ensemble.
Le concept a convaincu non seulement le public, mais aussi les critiques musicales, qui saluent toutes votre travail. Aujourd’hui, en l’an 2000, il n’y a plus de groupe. Je ne parle pas d’un mec entouré de quatre lascars, mais d’un groupe, un vrai. Ce qui est produit, mis en avant, dans 90% des cas, ce sont des individus. Avec derrière des musiciens, des gens qui savent jouer d’un instrument et qui jouent ce qu’on leur demande. Avec Jim Murple, on sent les gens impliqués. Je pense que les gens ressentent une force. C’est l’union qui permet aux gens qui ont une manière de vivre un peu différente, de se préserver. De pouvoir concrétiser cette indépendance intellectuelle. Aujourd’hui, plus ça va et plus le média ou les écoles ont tendance à donner comme seul objectif une méthode d’émancipation personnelle. Et basée sur l’individualisme, puisque l’école est basée sur la compétition. Les gens sont contents de voir une équipe de foot qui joue bien ensemble, et qui gagne. Du collectif, quoi. Ca devient presque de l’utopie.
Peut-on s'attendre à vous voir à la télévision ? Je n’ai pas envie de rentrer dans le business. On a fait le 4 titres, Trop Jolie, une belle chanson en français. La version du disque était triste, alors que l’original est un peu canaille. Quand on enregistrait à l’époque, notre bassiste et arrangeur était déjà condamné, et tout le monde le savait. On a décidé de refaire une version plus gaie, plus enlevée. La tentation aurait été grande de se dire : « ce morceau est un tube ». Avec la voix de Nanou, un son de studio, un mec qui a l’habitude de bosser sur des gros trucs, et boum c’est parti. Mais pour moi ce sont des choses dangereuses pour un groupe. On n’est pas là pour faire un tube, mais pour exister. Etre dans une bonne moyenne, pour faire en sorte que les gars nous programment parce qu’on doit tous bouffer. L’idéal, c’est de pouvoir tenir un maximum de temps comme ça. Si tu fais un carton, ton image est ruinée. Tu fais 100 000 exemplaires, et puis tu fais partie de l’inconscient collectif. Les gens te mettent dans une boite.
Vous avez été approché par une maison de disques ? Non. Tout simplement parce le mode de production est rudimentaire. Avec en plus des chansons en anglais, ça n’intéresse pas grand monde. Aujourd’hui, les maisons de disques sont de plus en plus frileuses. Elles ont d’abord gagné beaucoup d’argent, puis perdu beaucoup. Là, personne ne sait ce que va devenir la musique. A force de gaver les gens, tu dévalorises. La production quotidienne aujourd’hui est telle qu’on manque de temps pour écouter tout ce qui sort. Et je ne te parle même pas de tout ce qui est sorti par le passé. C’est aussi un mode de consommation. Aujourd’hui les jeunes ils écoutent, si ils aiment ils enregistrent, sinon ils l’oublient. Il n’y a plus ce phénomène de focalisation sur un artiste, ou un genre musical, comme quand on avait 20 ans. C’est peut-être le bon côté du truc.
Est—ce que vous vous considérez comme faisant partie de la scène reggae française ? Complètement. On joue du reggae, du rocksteady… Nous, on a vu le truc plus large. Il n’y a que les grands artistes qui peuvent faire un concert de reggae où tu as les oreilles grandes ouvertes pendant une heure et demie. C’est très difficile, en restant dans le même domaine musical, d’arriver à emmener les gens. Quand on varie les styles, on peut maintenir le public en éveil. On ne se limite pas au reggae. Ce qu’on amène, c’est une énergie populaire jouée à l’ancienne. Pas jouée fort, avec une chanteuse qui tient son orchestre, tout le monde au service du mec qui fait son chorus, des improvisations… Et ça vit, c’est parfois loupé, on s’en fout. Depuis 8 ans que le groupe existe, je dirais qu’on a joué 90 morceaux en concert, avec plein de reprises. On ne veut pas rester sur un modèle figé.
Après avoir fabriqué votre dernier 45 Tours en Jamaïque, est-ce que vous pensez à enregistrer là-bas ? Moi je n’aime pas trop prendre l’avion : ça pollue, y’en a plein le ciel et c’est l’air qu’on respire. Ca me déprime. Si je peux éviter, j’évite. Partir enregistrer là-bas, ça me ferait délirer. Mais je pense qu’à la base, il y a maldonne. Nous les Occidentaux…(il marque une pause) Il y a un passif. Moi j’ai du mal à voyager, partir en Afrique… Je ne me sens pas responsable du malheur du monde, ni mes ancêtres. Tout ça, c’est dilué par le temps. Mais la responsabilité est partagée. Arriver là-bas avec son pognon… Le voyage a coûté l’équivalent d’un an de travail d’un mec de là-bas. Il est difficile pour moi de partir là-bas et de me sentir à équité. Je me trompe peut-être. Amener de la musique, du bonheur ça me plairait, mais on verra si ça se fait. Je ne suis pas un globe-trotter.
Vous restez donc sur des dates en France ? France, Europe… j’aime voyager par la mer ou par la terre. Mais l’avion ça me fait vraiment chier. Ca peut paraître ringard à mort, mais pour moi c’est une nuisance. Et en plus ils veulent le développer puisque c’est le plus rentable pour eux. Les modes de transport rapides ne font que réduire les distance pour les gens qui ont du pognon, mais ils les rallongent pour eux qui n’en ont pas. Moi ça me fait chier, tout se qui se passe. On ne le voit pas dans nos chansons, parce que justement on est là pour oublier tout ça mais il y a des choses qui m’emmerdent. Et je n’ai pas envie de participer à certains trucs. Faire de la musique, prendre mon pied, donner du bonheur aux gens… Pour moi c’est ça qui est bon. Le reste, mieux vaut ne pas en parler.
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